TikTok faisant la une des médias depuis plusieurs mois, l’association Les Clionautes se devait de donner son point de vue sur un réseau social qui fédère nombre de nos jeunes. 

Les Clionautes se sont positionnés depuis leur création lors de l’éclosion de l’internet à la fin des années 80 comme des praticiens raisonnés et critiques des outils numériques. Cette ligne de conduite les a amenés à tester pour eux-mêmes et leurs collègues enseignants les possibilités qu’offraient ces outils pour la recherche scientifique et les travaux pédagogiques, afin d’en définir une « ligne de crête », ni naïve, ni technophobe. 

Enseignants, parents et citoyens, nous sommes concernés directement par l’importance qu’ont pris les réseaux sociaux dans la vie de nos jeunes, et les conséquences de leur fréquentation à l’école comme dans les familles. 

Tout d’abord quelques chiffres 

 

Selon la répartition par classes d’âge de la population française, les 13-24 ans représentent 15% du total.

Ce sont ceux que l’on appelle la génération Z, celle née avec l’internet. Ils plébiscitent Instagram et TikTok, loin devant X (ex. Twitter) et surtout Facebook Sources Statista, via Awitec.fr .  

 

Les réseaux sociaux, du paradis de la démocratie communicante à l’enfer dystopique ? 

Les réseaux sociaux ont envahi notre vie quotidienne, professionnelle et personnelle, pour le meilleur, la souplesse ergonomique et la connaissance à portée de clic. 

Mais aussi pour le pire avec nos données personnelles prélevées, stockées et vendues par Google, Amazon et Facebook en particulier, les fils d’échange dominés par les fake news et les diverses théories du complot fleurissant sur la Toile.

Les pays autoritaires en profitent eux pour restreindre les accès à leurs population, jusqu’à la Chine qui tisse la sienne derrière sa grande muraille numérique, tout en s’autorisant la possibilité d’avoir sa part du gâteau des Big Data… 

Des GAFAM aux BAAAM 

Il va falloir changer l’acronyme de la BigTech et ajouter aux géants d’outre-Atlantique Alphabet, Amazon, Apple, Microsoft, le géant chinois ByteDance.

ByteDance crée en 2016-17 deux réseau sociaux jumeaux : Douyin pour l’intérieur du pays, verrouillé sur les questions considérées comme sensibles par le pouvoir chinois, et TikTok pour l’extérieur, libre, mais soupçonné d’être un vecteur d’espionnage et de confiscation des données. 

Mais que reproche-t-on à TikTok ? 

Des agences fédérales américaines au Parlement danois en passant par la Commission européenne et les administrations britanniques, françaises et allemandes, les interdictions d’utiliser le réseau social chinois TikTok se multiplient en Occident ces derniers mois, après son bannissement en Inde, depuis les incidents frontaliers meurtriers avec l’armée chinoise en 2020. 

Le volet géopolitique, argument massue

Bannissement de TikTok
Mike Johnson, le Speaker de la Chambre des Représentants, DREW ANGERER / AFP

 

De plus, depuis hier, le Sénat des Etats-Unis a confirmé À noter que c’est un des rares points d’entente entre les Républicains et les Démocrates, malgré l’appel de Donald Trump à ne pas bannir le réseau social préféré des jeunes électeurs susceptibles de voter pour lui…  le vote de la Chambre des Représentants, obligeant ByteDance à vendre TikTok et à le faire racheter par une entreprise américaine. Le président Biden devrait signer le texte et promulguer la loi dès ce mercredi.

 

 

Le groupe chinois ByteDance disposera alors de 9 mois pour céder son réseau social. S’il refuse, TikTok sera banni des magasins d’applications de Google et d’Apple. Ce qui de fait l’interdira dans un pays où il compte 170 millions d’utilisateurs, dont près de deux tiers des adolescents américains. 

Le reproche de l’espionnage de données par le gouvernement chinois est donc le premier des griefs, liés à la « Nouvelle Guerre Froide » entre les Etats-Unis et la Chine, dont le sort de TikTok n’est que le plus récent épisode. 

Mais il n’est pas le seul.

Tik Tok, des libertés coupables avec le RGPD

Le réseau TikTok s’est vu infliger une amende de 345 millions d’euros par l’Union européenne, le 15 septembre 2023. Il lui est reproché de ne pas avoir respecté des règles de protection des données concernant les mineurs en 2020. Les infractions concernées portaient sur la période comprise entre le 31 juillet et le 31 décembre 2020. L’autorité relève notamment dans sa décision que l’inscription des enfants sur la plateforme se faisait de telle manière que leurs comptes étaient définis comme publics par défaut. D’autres problèmes tenaient au mode « connexion famille », qui permet de relier le compte TikTok d’un parent à celui de son adolescent. Selon la décision, l’entreprise ne vérifiait notamment pas si l’utilisateur associé était réellement le parent ou le tuteur. En outre, si la plateforme est en théorie réservée aux utilisateurs d’au moins 13 ans, la DPC estime que TikTok n’a pas correctement pris en compte les risques posés aux personnes plus jeunes ayant tout de même réussi à se créer un compte Source : la-croix.com .

Un algorithme qui endort la curiosité et l’esprit critique

Et pour nous enseignants, le plus problématique est probablement la capacité de l’algorithme de l’application à favoriser l’enfermement dans un quant à soi peu propice à l’éveil au monde et à l’apprentissage de la critique constructive. Encore plus grave, il est accusé par des associations de familles d’avoir conduit leurs enfants fragiles psychologiquement au suicide. 

Spirale dépressive et contenus suicidaires : enquête sur la face obscure de TikTok

En quelques années, TikTok s’est imposé comme le réseau social le plus populaire chez les jeunes. Mais derrière cette ascension fulgurante, de plus en plus de personnes alertent sur ses dangers potentiels pour les jeunes utilisateurs.

Une class action de parents contre TikTok

Récemment, en France, des parents réunis sous le collectif « Algos Victima » ont annoncé vouloir porter plainte contre TikTok après le suicide de leur enfant. Ils accusent le géant chinois d’être en partie responsable de leur mort en promouvant, via ses algorithmes, des contenus nocifs, faisant par exemple la promotion de l’automutilation ou du suicide. 

Sur le site Vakita, spécialisé dans l’info et l’entraide aux personnes en danger, l’une des mères de ce collectif, Stéphanie Mistre, lance l’alerte et appelle les pouvoirs publics à agir pour protéger les plus jeunes. Elle dénonce une modération défaillante qui enfermerait de jeunes utilisateurs, à la santé mentale fragile, dans une spirale dépressive pouvant conduire au pire.

Un phénomène décrit par des scientifiques spécialistes de la haine en ligne. Dans son étude « Deadly by design » (Center for Countering Digital Hate, décembre 2022), le directeur de recherche Callum Hood a analysé en combien de temps un utilisateur de TikTok, âgé de seulement 13 ans, pouvait être exposé à des contenus liés aux troubles de la santé mentale. Résultat : en moins de 2 minutes, TikTok leur proposait des contenus suicidaires.

TikTok promet de tenir compte des critiques… 

Après la sortie de ce rapport, TikTok avait annoncé la mise en place de mesures censées mieux protéger ses utilisateurs. 

… Mais n’en fait rien !

Vakita a refait l’expérience en suivant la méthodologie de recherche de Callum Hood. En seulement 30 minutes, le réseau social a proposé 31 vidéos sur le thème de la dépression, de l’abandon, ou encore sur la mort. Laurent Pinel, psychiatre à la Fondation Santé des Étudiants de France dénonce le risque de « boucle infernale » et de « glamourisation de la souffrance et de la dépression » sur le réseau social.

Alors ? Nous ne sommes pas angéliques

L’école que nous défendons n’a pas peur de se confronter à une révolution autant culturelle que technologique, qui touche de toute façon l’ensemble de la société. Or TikTok peut se contenter de protester et de payer des amendes qui n’affectent pas sa rentabilité, sans véritable promouvoir un modèle respectueux d’échanges.

Reste que si on laisse de côté la question du conflit sino-américain, il n’y a pas pour les autres griefs qu’un seul vilain petit canard…