L’histoire est communément qualifiée de « passion française ». Signe de la place qu’elle occupe dans la société française et de l’enjeu politique majeur qu’elle constitue, elle s’invite régulièrement dans les débats politiques et les campagnes présidentielles. Que l’on tente de diminuer la part qu’elle occupe dans les emplois du temps ou que les nouveaux programmes fassent l’objet de désaccords, son rôle dans l’enseignement secondaire devient régulièrement un sujet d’actualité.
Dès le XIXe siècle, Clio et Marianne dialoguaient déjà l’une avec l’autre : nombre de supports ont permis aux Français de satisfaire leur goût pour l’histoire, grâce aux romans historiques ou aux magazines de vulgarisation comme Historia (créé en 1909 et encore publié de nos jours !). Dès leurs débuts, cinéma et télévision s’inspirent des événements du passé pour produire films, documentaires, émissions de plateau, feuilletons, dramatiques puis téléfilms historiques. À partir de 1928, la radio s’empare aussi de la thématique historique : sur Radio-Paris, la troupe de théâtre de Georges Colin propose des reconstitutions de grands drames et de procès historiques qui sont salués par la critique.
Depuis 1945, les émissions consacrées à l’histoire se sont multipliées sur les ondes françaises, notamment sur les stations publiques, et dans des formats variés : causeries ou chroniques, documentaires ou entretiens, fictions ou évocations scénarisées – la plupart des formes radiophoniques semble pouvoir se prêter à l’évocation de l’histoire. Mais pourquoi parle-t-on d’histoire à la radio ? Existe-t-il une seule manière de l’aborder ou cherche-t-on à satisfaire des publics variés en multipliant les formats et les approches de l’histoire ?
- Veyrat-Masson I., 1999, « L’Histoire », in Jeanneney J.-N., dir., L’Écho du siècle, Dictionnaire historique de la radio et de la télévision en France, Paris : Hachette/Arte Éditions/La Cinquième Édition, 414-416.
Se divertir et s’évader avec l’histoire
Au début des années 1950, la radio s’écoute collectivement et constitue, en soirée, le principal divertissement de beaucoup de foyers : dramatiques et feuilletons historiques offrent ainsi aux auditeurs des distractions instructives. La Tribune de l’histoire créée en 1951, devient rapidement une formule à succès, diffusée en première partie de soirée : la vie de grands personnages et les épisodes marquants de l’histoire, essentiellement de l’histoire de France, y sont mis en scène dans des évocations dialoguées rédigées par Alain Decaux, André Castelot et Jean-Claude Colin-Simard – remplacé en 1963 par Jean-François Chiappe. Le trio de producteurs fait « aimer l’histoire à des millions d’auditeurs », titre le magazine Radio Cinéma Télévision, ancêtre de Télérama, en août 1959 : le public se passionne ainsi pour « La fuite à Varennes », part « à la recherche de la vraie Cléopâtre » et est invité à se prononcer « pour ou contre Ponce Pilate ». L’émission parvient à se maintenir jusqu’en 1997 sans abandonner sa formule ni les thématiques qu’elle privilégie : l’histoire y est une succession de batailles, de rois, reines et chefs militaires, mais aussi de complots et d’énigmes afin de satisfaire aux exigences d’un grand public qu’ils disent friand d’anecdotes.
À partir du milieu des années 1970, c’est également par le biais d’émissions de récit que la radio parle d’histoire aux auditeurs. Sur France Inter, Alain Decaux raconte quotidiennement « l’histoire des Françaises » au cours de l’année 1975-1976 (c’est aussi l’époque de l’émission Alain Decaux raconte à la télévision) tandis qu’Henri Amouroux détaille les épisodes de la Seconde Guerre mondiale et la vie des Français sous l’Occupation dans L’histoire à 40 ans, tout au long de l’année 1982. Pierre Miquel, quant à lui, s’intéresse aux Oubliés de l’histoire en 1977-1978, une thématique qu’il reprendra dans Les Oubliés du siècle entre 1987 et 1991 après s’être intéressé, en 1981-1982, aux Faiseurs d’histoire tels « Gutenberg le mystérieux » ou encore « Bismarck le cuirassier blanc ».
L’approche biographique est également celle que privilégie Ève Ruggieri : tous les matins, entre 1979 et 1988, elle propose le récit de vies célèbres, fictives ou réelles, avec une attention particulière pour les femmes comme Catherine de Médicis ou Greta Garbo. Abordée chronologiquement, chaque biographie peut s’étaler sur plusieurs semaines, ce qui permet à Ève Ruggieri de sonder la psychologie des personnages. Plus récemment, le récit est aussi la forme adoptée par Franck Ferrand pour [Au cœur de l’histoire] sur Europe 1, que suit une discussion avec un invité sur des thématiques proches de celles qui faisaient déjà le succès de La Tribune de l’histoire.
- Robert G., 1984, « Ils racontent l’histoire. Gens de radio, historiens : 5 grands conteurs » [dossier], Multiplex, Paris : Radio France Internationale.
Donner la parole aux universitaires
Pour diffuser les savoirs historiques auprès du public, certaines émissions préfèrent donner la parole aux universitaires. Après la Grande Guerre, l’émission L’Heure de culture française, diffusée sur le Programme National – l’ancêtre de France Culture –, propose des séries de causeries de quinze minutes par des historiens principalement issus des établissements parisiens comme le Collège de France, la Sorbonne ou l’École pratique des hautes études (EPHE). Si la démarche de l’émission est louée, le format de la causerie, simple lecture d’un texte rédigé à l’avance, est régulièrement critiqué dès les années 1930, notamment dans la presse spécialisée qui juge la forme peu radiophonique.
L’entretien s’installe donc progressivement comme l’une des formes privilégiées pour les émissions d’histoire, notamment pour les émissions créées dans les dernières décennies comme 2000 ans d’histoire, Concordance des temps, La Fabrique de l’histoire (qui comprend également un documentaire par semaine), La Marche du monde, La Marche de l’Histoire. Pour donner plus de dynamisme à l’émission, la discussion entre le producteur de l’émission et son ou ses invités, est souvent entrecoupée d’illustrations sonores, extraites de films ou d’archives audiovisuelles, mais aussi de lectures de textes et de musique en lien avec le sujet traité.
Ce format existait déjà dans les années 1960, dans des émissions d’histoire destinées au grand public « cultivé » de France Culture comme Les Idées et l’histoire (1963-1970), Les Lundis de l’histoire (1966-2014), ainsi qu’avec Mémoire d’un continent, diffusée sur RFI depuis 1969. En conviant des universitaires dans leurs studios, les émissions d’histoire s’assurent d’être au plus près des renouvellements de la discipline historique (même si certains courants historiographiques y sont mieux représentés que d’autres) tandis qu’historiens et historiennes y trouvent un moyen pour répondre à la demande d’histoire de leurs contemporains.
- Favier J., 2005, « Des ambiguïtés et des espoirs de la médiatisation de l’histoire », in Mathien M., dir., La Médiatisation de l’histoire. Ses risques et ses espoirs, Bruxelles : Bruylant, 7-18.
Faire dialoguer passé et présent
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, l’histoire est devenue à la fois un sujet d’actualité, notamment lorsque se succèdent les procès des criminels de guerre Touvier, Barbie et Papon, et une préoccupation face à la crainte de la société française de perdre son passé. Plus récemment, certaines émissions d’histoire, comme La Fabrique de l’histoire, se sont ainsi fait l’écho des commémorations françaises dans de courts feuilletons-documentaires quotidiens ou hebdomadaires. Le documentaire historique facilite d’ailleurs le dialogue entre passé et présent en mêlant archives d’époque et souvenirs de témoins. Car, comme l’explique Christophe Deleu, « toute l’histoire n’est pas enregistrée » : pour pallier le manque d’archives sonores sur certains épisodes de l’histoire, des témoins sont sollicités mais alors « la vérité donnée à entendre est tributaire de ces témoignages, parfois incomplets ou contradictoires ».
Bien que coûteux pour les chaînes de radio, ce format a trouvé sa place dans des collections d’émissions comme L’Histoire en direct, créée par Patrice Gélinet (1987-1999, France Culture). Composée d’un documentaire d’une heure tous les mois, et d’un débat en public la semaine suivante, l’émission a pu aborder la plupart des grands événements du XXe siècle. De nos jours, La Fabrique de l’histoire y consacre une émission par semaine, permettant d’entrer dans des questionnements historiques par des objets parfois inattendus : l’étude méticuleuse du livre de compte d’une famille pour faire l’histoire sociale des années 1950-1960 ou encore « l’autopsie » d’une robe du XIXe siècle pour retracer l’histoire de ce vêtement mais aussi celle du corps et des femmes à cette époque. Outil pour entrer dans l’histoire de manière plaisante, le documentaire permet aux auditeurs de plonger dans le passé par la parole des témoins tout en bénéficiant de la mise en perspective des événements par les spécialistes interviewés.
Enfin, d’autres émissions font appel à l’histoire pour mieux comprendre le présent et répondre à des préoccupations contemporaines. Cette démarche se retrouve dans l’émission de Jean-Noël Jeanneney, Concordance des temps, avec ses invités, souvent des universitaires : en mai dernier, avec l’historienne Claude Gauvard, il faisait par exemple écho au phénomène des « fake news » en parlant des rumeurs et fausses nouvelles du Moyen Âge. Ce dialogue entre passé et présent est aussi l’approche privilégiée dans les chroniques historiques que l’on retrouve, dans un format bien plus réduit, dans les matinales d’information et sur les chaînes d’actualité.
Si les émissions d’histoire ont recours à des formats radiophoniques variés en privilégiant différentes approches de la discipline, force est de constater que la volonté de consacrer une ou plusieurs tranches horaires à l’histoire n’a jamais été remise en cause à la radio publique depuis l’après-guerre. Certaines émissions ont disparu, d’autres se sont réinventées, mais l’intérêt pour cette thématique est allé grandissant, jusqu’à y consacrer des programmes quotidiens. De l’histoire universitaire à la petite histoire, de la causerie magistrale au récit divertissant en passant par le documentaire ou le montage d’archives sonores, les auditeurs ont pu trouver sur les ondes de quoi satisfaire une curiosité pour un passé plus ou moins récent, des histoires plaisantes pour s’évader dans l’exotisme du passé mais aussi des analyses d’historiens pour mieux comprendre le monde.
Car « la diversité n’est pas l’écueil », comme l’expliquait Jean-Noël Jeanneney, historien, producteur de l’émission Concordance des temps sur France Culture et également PDG de Radio France dans les années 1980 : « Elle traduit simplement le fait que la mission de la radio et de la télévision (notamment de service public) est de satisfaire toutes les curiosités. Le plus important, au fond, est que le spectateur sache clairement qui lui parle et de faire la meilleure histoire possible dans chacun des genres ».
- Deleu C., 2011, « Le documentaire historique à la radio », in Bertin-Maghit J.-P., dir., Lorsque Clio s’empare du documentaire. Vol. 1 : Écriture de l’histoire, Paris : L’Harmattan/INA, 51-62.
- Jeanneney J.-N., 1987, « L’historien et le « saltimbanque » , Passion du passé, Autrement, 175-177.
- Liatard S., 2012, « Quand la radio fabrique de l’histoire », Tracés, n°12, 179-190.
Crédits image à la Une : CC Flickr Francis Bourgouin et crédits image d’entrée : CC Pixabay mohamed_hassan