Aux Rendez-vous-de-l’Histoire de Blois, le 8 OCTOBRE 2022 avait lieu la présentation de l’ouvrage « L’Afrique et le monde : histoires renouées ». Animé avec brio et pédagogie par Emmanuel LAURENTIN, avec beaucoup de sérénité par Anne LAFONT, historienne de l’art et directrice d’études EHESS et au pas de charge par François-Xavier FAUVELLE historien et archéologue, professeur au Collège de France devant une salle comble.
Il s’agissait d’abord de présenter d’un livre-programme ambitieux pour une histoire longue entre des Afriques et des mondes, ensuite de remettre en cause une dizaine d‘idées reçues, afin d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche de la préhistoire à la période contemporaine. Cette belle vision par sauts de puces chronologiques suit les chapitres du livre et laisse entrevoir de nouvelles perspectives sur le plan historiographique et géographique. Ce travail à plusieurs mains est d’autant important que la question est au sujet pour l’agrégation externe d’histoire en 2023 : « LES SOCIÉTÉS AFRICAINES ET LE MONDE : UNE HISTOIRE CONNECTÉE (1900-1980) »
Un enregistrement de cette conférence est disponible.
Voici une liste de stéréotypes à battre en brèche :
1) L’Afrique berceau de l’humanité est un cliché incomplet (il y a eu de multiples départs) qui prête à confusion (l’histoire se continue perpétuellement).
Il est possible de trouver d’autres récits des origines notamment africains et d’autres archives : des traces de pas, des tessons, des langues relatent d’autres histoires et révèlent la co-présence de l’Afrique avec d’autres sociétés du monde et la co-pertinence des passés.
Justement, dans les temps anciens, les sociétés ne se sont pas ignorées. Le royaume au Mali au XIVe siècle était connu des autres sociétés du monde pour François-Xavier FAUVELLE. Dans la « maison commune » de Marie Laure DERAT il est question des dynamiques d’échanges diplomatiques, religieux*, de circulations de matières premières (Or, ivoire…esclaves) entre les Afriques et le reste du monde. Voir *L’islam de l’ouest africain de Souleymane Bachir Diagne.
L’Atlantique noir est aussi un vaste marché africain avec déjà des ateliers de production d’ivoire sapi au XVIe siècle pour une clientèle européenne ! Le crucifix congolais du XVIIe-XVIIIe siècle, dans la culture Kongo, était aussi une iconographie locale ancienne de la croix liée à la communication entre le monde des vivants et celui des morts.
L’Atlantique est déjà un espace de métissages au XVIIe avec des signares, agentes entre deux mondes. Ces élites féminines sénégalaises pratiquaient le métissage. Ces sociétés matriarcales installées à Saint-Louis et à Gorée faisaient des partenariats matrimoniaux avec des Portugais et des Français.
Pour François-Xavier FAUVELLE il y a encore beaucoup de vestiges archéologiques à découvrir avec les nouvelles techniques : Des analyses biochimiques de l’émail des dents d’un éléphant peuvent révéler la composition de la nourriture consommée sur une longue période. Par ailleurs, pour Anne LAFONT il n’est pas possible que 90 % du patrimoine africain ait été spolié. La question patrimoniale passe aussi par d’autres formes. Il existe d’autres types de patrimoines que les masques et les statues dans les musées.
2) L’idée de la prédation au paradis !
(Voir chapitre 7 de Guillaume Blanc). Pour François-Xavier FAUVELLE, comme dans le dessin animé « le roi-lion », le cliché colonial de la nature préservée est dû aux administrateurs coloniaux chargés de protéger la nature, les parcs, parfois contre les Africains eux-mêmes. Les mêmes coloniaux, après la décolonisation, se mettent au service des organismes internationaux qui ont en charge la patrimonialisation de la nature !
Pascale Barthélémy, dans le chapitre 8, constate des rapports de domination mis en cause par des formes de résistances. Pour Anne LAFONT, des individus ont résisté à la déshumanisation. Des modalités de détournements ont existé. Des formes d’indocilités se sont manifestées, parfois à l’échelle individuelle, et ont conduit aux indépendances dans les années 1960. Par ex les « nègres marrons », les marronages ou des formes de résistances artistiques.
3 ) La culture de l’oralité :
Pour François-Xavier FAUVELLE il s’agit d’une vision bienveillante. Elle occulte la place de l’écrit, notamment en Éthiopie et dans la civilisation islamique, à Tombouctou ou sur des pierres gravées. Il faut par conséquent faire appel à des approches pluridisciplinaires avec l’aide des philosophes, des historiens et des historiens de l’art. Il faut utiliser toutes les sources malgré l‘exotisation à travers les photographies des années 1950-1960 de la part des Européens (chapitre 9 Erika Nimis et Marian Nur Goni pour une histoire transnationale des photographies africaines).
Les clichés anthropologiques doivent être utilisés avec toutes leurs contradictions comme le témoignage livresque par exemple celui d’Amadou Hampâté Bâ évoqué par Pascale Barthélémy (chapitre 8). A voir dans chapitre 2 de Marie-Laure DERAT, le chapitre 3 de Souleymane Bachir Diagne sur l’islam et le chapitre 10 de Jean Godefroy Bidina.
Dans le contexte actuel de demandes de restitutions, de demandes de justices, de déboulonnages de statues, l’historien François-Xavier FAUVELLE est aussi là pour rappeler qu’il y a déjà eu des compensations financières qui peuvent choquer…
Cette histoire traumatique est parfois dominée par des émotions. Par exemple lors d’une « performance » au Musée du quai Branly à Paris pour l’arrachage d’un objet (*12 juin 2020 ?). Ces désirs d’histoire se manifestent un peu partout de manière parfois violente. Ce livre collectif est une manière de faire acte. Ces revendications mémorielles font que l’on s’intéresse au passé.
Questions de la salle
Lors des débats, ont été évoqués les archives et l’internationalisation de la recherche historique notamment aux USA. Puis il a été question des peuples dispersés : qui écrit l’histoire de l’Afrique en diaspora ?
Un auditeur a évoqué la coupure artificielle AFN/ Afrique subsaharienne : Le Sahara n’est ni une barrière écologique, ni une barrière mentale. A été formulée une demande d’une histoire sur des royaumes précis par exemple sur le Mali au XIIIe, XIVe ?
Emmanuel ARGO, martiniquais, du réseau « Africa Mundus » estime que l’on se focalise trop sur la francophonie. Pour Anne Lafont il faut effectivement tenir compte de toutes les sociétés africaines, de tous les « afro-descendants ».
Il a ensuite été question d’identité, du déni des savoirs faire traditionnels, des traditions orales, écrites et numériques, des acteurs marginalisés, des « invisibilités sociales » de la question du genre. (cf Pascale Barthélémy).
Y a-t-il encore des manières (et non) européennes de raconter l’Afrique ? Pour François-Xavier FAUVELLE il existe aussi des écoles archéologiques, certes des laboratoires à Toulouse, mais aussi au Nigéria, en Afrique du Sud, au Zimbabwe, au Togo, en Côte-d’Ivoire.
De quoi apporter du grain à moudre pour plusieurs générations de part et d’autre des mers et des océans, traits d’unions entre les civilisations.