Montaigne In Game est une initiative doctorante portée par José-Louis De Miras, doctorant en études cinématographiques et audiovisuelles à l’Université Bordeaux Montaigne, dont les recherches portent plus particulièrement sur le cinéma interactif. Les 19 mars et 12 avril 2018, deux journées d’étude et des séances d’analyse de jeux vidéo ont été organisées dans une volonté d’interdisciplinarité et de discussion. Une première journée d’étude introductive interrogeait les nouveaux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo.
La deuxième journée d’étude conclusive de ce cycle, organisée dans le cadre de la mission centenaire 14-18, voulait réfléchir à la place du jeu vidéo comme nouvel outil pour l’histoire de la Première Guerre mondiale, pour apprendre l’histoire (en plaçant les joueurs en tant qu’acteurs de l’Histoire), mais aussi comme un outil pour penser l’histoire autrement.
Antoine Maillard propose une analyse de deux jeux vidéo en se basant sur son travail de Master 2 : Les représentations de la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo : Entre enjeux mémoriels et divertissement Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, soutenu en juin 2017..
Un conflit peu présent dans les jeux vidéo
La Première Guerre mondiale est le conflit le moins représenté dans le monde vidéoludique. D’après la base de données du site HistoriaGames, seuls 6% des jeux s’intéressant à la période contemporaine prennent comme décor la Première Guerre mondiale alors que la Seconde Guerre mondiale représente 62 % des jeux. D’après Julien Lalu et Thomas Rabino, il y aurait 3 raisons principales http://centenaire.org/fr/espace-scientifique/societe/representer-la-premiere-guerre-mondiale-dans-les-jeux-video-entre :
– la spécificité de cette guerre, une guerre de position et d’attente – même si les phases de mouvement des années 1914 et 1917-18 sont souvent laissées de côté –
– une mémoire encore vive et protéiforme, ce serait une guerre sans aucun but,
– c’est une guerre où les soldats ne dirigeraient pas leur destin. (On restera tout de même vigilant face au débat historiographie entre l’école du consentement et l’école de la contrainte).
Le centenaire de la Grande Guerre a été un moment propice à la représentation de cette guerre avec notamment deux jeux dont il a été question dans cette communication : Verdun: 1914-1918 (M2H et Blackmill Games, 2013) et Soldats inconnus. Mémoires de la Grande Guerre (Ubisoft, 2014).
Présentation des deux jeux
Soldats inconnus. Mémoires de la Grande Guerre (Ubisoft, 2014) est un jeu d’aventure et de réflexion en 2D, façon bande dessinée animée, dans lequel le joueur interprète plusieurs personnages : Emile, grand-père rappelé au front après avoir connu la guerre de 1870, son beau-fils allemand Karl, une infirmière belge prénommée Anna et le chien secouriste Walt. Une des particularités du jeu est de proposer aux joueurs de progresser par la résolution de petites énigmes et non par la violence directe. Le joueur ne tue jamais dans le jeu, c’est « la guerre qui tue ».
Verdun: 1914-1918 est un jeu provenant des Pays-Bas, développé par M2H et Blackmill Games. Le jeu se veut réaliste dans son gameplay, une balle suffit à tuer un joueur. Vu comme une référence de réalisme, c’est un de jeu de niche (contrairement à Battlefield 1 plus grand public). Le jeu propose des deathmatch par équipe. Une partie se présente comme une succession de phases d’attaques/défenses. Les équipes alternent phases d’attaque, où l’on doit assaillir une tranchée en la nettoyant et en y bourrant le plus de soldats possibles, et les phases de défense. Une tranchée sécurisée deviendra alors le point de départ pour prendre la suivante et la partie se terminera simplement lorsqu’une des deux équipes atteint le bout du champ de bataille ou quand le chronomètre tombe à zéro.
Comment recréer la guerre ? Quels outils ? Quelles inspirations ?
Lors de la production de Soldats Inconnus, Paul Tumelaire, le directeur créatif du jeu d’Ubisoft, reconnait avoir été influencé par divers médias. Le plus important semble être la bande dessinée Une aventure rocambolesque de Vincent Van Gogh : La ligne de Front de Manu Larcenet (2004). On reconnait bien sûr le graphisme BD et le jeu sur les couleurs très important. Le jeu est truffé de notices historiques écrites par Alexandre Lafont. Le jeu veut transmettre des informations véridiques sur la Grande Guerre. C’est un serious game.
Pour Verdun: 1914-1918, pas de notices historiques, mais une réalisation des cartes réalistes grâce à un long travail de recherche. Chaque carte a été documentée comme le montre les documents de pré-production. Il y a eu de la part des level designers un souci de représentation des divers champs de bataille de la guerre et ne pas céder à l’uniformité. Les cartes Artois et Aisne montrent bien des paysages différents.
Les développeurs de Verdun: 1914-1918 ne se sont pas rapprochés d’historiens spécialistes, mais plutôt d’amateurs férus d’histoire.
– Pour la reconstitution des armes et des uniformes, les développeurs ont notamment consulté la collection Men-at-arms de chez Ospreys. Ils se sont aussi rapprochés des associations de reconstitution.
– Pour la sonorisation, ils ont consulté la chaine Youtube C&Rsenal qui propose des vidéos explicatives pour de nombreuses armes anciennes.
Faire appel à des amateurs d’histoire, reconstituteurs et curieux, est un parti pris des développeurs qui voulaient toucher l’histoire sans s’attarder sur l’histoire sociale, politique ou économique.
De la mémoire de l’évènement à des communautés d’intérêt ?
Les deux jeux n’appartiennent pas au même genre et n’ont pas les mêmes objectifs. Ces deux jeux n’offrent pas le même regard sur la Grande Guerre.
A travers ces wikis, le jeu d’Ubisoft veut nous transmettre une histoire vécue de la guerre. Les graphismes et les dessins font aussi passer des messages. Par exemple, les colonnes de fumée présentes lors du niveau de l’assaut de la crête de Vimy ressemblent au monument canadien actuel commémorant la bataille. C’est un jeu qui a été conçu en partenariat avec la mission centenaire et il a été développé dans le but de participer au « devoir de mémoire ».
Au contraire, Verdun, parce que FPS (First Person Shooter – Jeu de tir à la première personne), met le joueur dans la peau d’un soldat, recrée les territoires et les mécaniques des armes Le fusil à verrou à un temps de rechargement plus long que dans Battlefield 1. C’est un jeu de guerre qui ne permet pas d’apprendre directement des informations sur la Guerre.
Mais Verdun a réussi à créer une communauté d’intérêt autour de lui et donc autour du sujet historique. La chaîne Youtube The Great War, spécialisée dans la restitution des évènements de la Grande guerre ,semaine après semaine, a noté un pic important de fréquentation et d’abonnements le jour de la sortie de la bande annonce du jeu. Le jeu crée de l’intérêt pour le sujet. De plus, une vidéo a été réalisée en collaboration avec les développeurs du jeu au fort de Douaumonthttps://www.youtube.com/watch?v=V5EfqBEc1Ks. En se rapprochant des amateurs férus d’histoire et en leur donnant une importance et une visibilité, les développeurs du jeu Verdun ont joué sur la sensibilité mémorielle de ces amateurs.
Autre exemple, un évènement communautaire est organisé au moment de Noël : Le Christmas Truce Event. Sur une carte transformée pour l’occasion, les joueurs sont armés uniquement de boule de neige, peuvent jouer au football ou assister à un enterrement autour duquel plusieurs nationalités sont représentées. Tout cela nous rappelle les évènements de Noël 1914, rendus célèbres par le film Joyeux Noël (Christian Carion, 2005). Cet évènement incite aussi les joueurs à faire des dons pour les enfants victimes de guerre par l’intermédiaire de l’association War Child: http://www.warchild.org/ (cette association avait déjà collaboré avec This War of Mine Un jeu vidéo de survie en temps de guerre développé par 11 bit studios en 2014. Il y a une volonté d’agir sur le présent. Application du principe de ne pas oublier pour que cela ne se reproduise pas. Laurent Véray parle de muséalisation des films à propos des films Joyeux Noël et Un long dimanche de fiançaillesJean-Pierre Jeunet, 2004, concept que l’intervenant se permet d’élargir pour les jeux vidéo.
Les deux jeux, auxquels on pourrait en ajouter d’autres, sont inspirants pour la création de nombreux fan-arts (= œuvre réalisée par un fan et s’inspirant ou reproduisant un ou plusieurs personnages, une scène ou l’univers d’une œuvre existante).
Conclusion
Cette communication permet de voir comment les joueurs peuvent être intéressés par des sujets historiques grâce aux jeux vidéo. Les joueurs peuvent même devenir, pour une petite partie, les auteurs d’objets culturels en utilisant les jeux et participent ainsi au devoir de mémoire. Ils s’approprient l’Histoire à travers ces médiums qui leur font découvrir des pans de l’Histoire que l’école leur fait découvrir sans forcément pouvoir développer autant que peut le faire un jeu à découvrir tranquillement chez soi.