La tour Luma suscite une polémique sur l’art contemporain à Arles, l’une des villes de France dont la romanité est inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
De retour de Montpellier et de la 1ère édition des « Clionautes sur la route », nous nous rendons aux Rencontres de la photographie d’Arles. Et, là, impossible cette année de louper la tour Luma, qui abrite également une partie des expositions des Rencontres 2021.
Dans un premier temps, nous ferons le point sur cette polémique.
Ensuite, nous essaierons de montrer en quoi la richesse du patrimoine ancien de la France peut expliquer sa cohabitation difficile avec les constructions de l’architecture contemporaine. En effet, notre pays y est plus que tout autre réactif.
La tour Luma, scandale ou renouveau pour Arles ?
Un mécénat prestigieux pour Luma
Un architecte star choisi pour construire la tour Luma
Pour l’architecte Dominique Lyon, lauréat du prix de l’Equerre d’argent 2002, « l’édifice (…) est d’une vitalité exigeante ». Il demande au public « de ne pas se presser de juger » et souligne que « la cliente (Maja Hoffmann) a infléchi maintes fois la conception à mesure que son projet culturel se précisait ».
« En effet, le bâtiment de Franck Ghery possède le double caractère de ruine monumentale et d’oeuvre contemporaine savante. Ce qui tombe à pic, quand à cette époque de doute existentiel, la préférence porte sur des architectures humbles, économes et pragmatiquesTribune parue dans Le Monde du 17 juillet 2021 ».
« L’effet Bilbao »
On ne peut que faire le rapprochement avec le musée Guggenheim de Bilbao. Car ce que l’on a nommé « l’effet Bilbao » a permis de changer complètement l’image de la capitale basque.
Mais si Arles est également une ville qui a perdu ses atouts industriels, peut-on comparer ces 2 villes à la taille et au statut différents ?
Un « machin » qui défigure le patrimoine de la ville d’Arles, mondialement célèbre
Un modèle de revitalisation économique qui laisse sceptique au temps de l’Anthropocène
Isabelle Reignier, du Monde qualifie la tour de « montagne d’inox posée à Arles », qui « impose à des kilomètres à la ronde une verticalité effrontée (56 mètres de hauteur) ». Au delà de la critique formelle, la journaliste s’étonne d’un paradigme anachronique à l’époque de l’anthropocène. Et que penser des effets censés revitaliser une ville en friche industrielle ? L’ « effet Bilbao » ne serait-il pas uniquement bénéfique à la fondation et à ses mécènes ?
Des « starchitectes » qui veulent refaire la Tour de Babel, sans en comprendre les leçons
«La tour Luma à Arles n’enlaidit-elle pas le monde ? » Carole Depasse, historienne et membre de « La Table Ronde de l’Architecture » ne cache pas sa déceptionContribution du 31-08-2021 dans La Libre Belgique.
« À Arles, la tour « babélisante » de Frank Gehry altère le paysage et ne nous inspire que tristesse et regret. N’évoque-t-elle pas la toute-puissance de l’architecture moderniste qui ne parle plus qu’une seule langue et déshumanise des villes admirables ? »
De fortes oppositions locales
« Le dégoût que provoque cette offensive esthétique »
Le média Lundi Matin évoque dans l’article «Arles, fin de partie » de Sylvain Maréchal «… le dégoût que lui provoque cette offensive esthétique ».
« Le 5 juillet dernier, la ville de Arles inaugurait la Tour Luma, « Complexe futuriste dédié à l’art, la culture et au design.
Tout le gratin local était là autour de Renaud Muselier et Roseline Bachelot pour se féliciter de l’érection de cette carcasse métallique de 56 mètres de hauteur. Pourtant, de nombreux habitants s’interrogent quant à cet énorme merdier qui trône désormais au cœur de la cité provencale. »
Exclure du musée les exclus
Julien Sauveur, dans une tribune pour le magazine L’Arlésienne, renvoie la famille Hoffmann et les artistes présents à leur statut de dominants. D’abord soucieux d’adapter le capitalisme à l’environnement, ils professent d’ouvrir la culture à tous. Mais selon le concept de distinction cher à Bourdieu, ils ne cherchent qu’ « à exclure du musée les exclus ».
Or, plus d’un Arlésien sur 3 ne se sentirait pas concerné par les activités culturelles de la ville, selon un sondage local.
Á Griffeuille, vivre « entre les deux tours »
L’Arlésienne se considére comme le « média citoyen » portant les paroles et actions alternatives à Arles. Marie-Océane Dubois interroge la coexistence entre ceux des tours, ceux du quartier Griffeuille, et cette tour qu’ils ont vu s’ériger sans comprendre. « On dirait un escargot sur un escargot ! » lance un habitant.
Entrer en conctact par la porte associative
« Pourtant la Fondation Luma ne tourne pas le dos au quartier. Au contraire, elle souhaite l’intégrer à son projet. C’est le cas avec l’épicerie solidaire Solid’Arles.
« design social » ou « éducation populaire »
En septembre dernier, un designer de l’atelier Luma est venu rencontrer l’équipe pour faire du « design social ». Du quoi ? Tout simplement « ce que nous, nous appelons de l’éducation populaire », traduit une employée de l’épicerie. » Pourtant , ensemble, Luma, Solid’Arles et certains habitants ont commencé par s’apprivoiser autour de repas partagés.
Le mieux, pour se fondre au territoire, c’était de venir sans l’étiquette « designer de l’atelier Luma », juste en tant qu’individu, curieux, pour rencontrer les habitants en toute simplicité. Depuis cette première approche, « un pique-nique sauvage, made in Griffeuille », a été préparé par Solid’Arles et ses bénévoles pour les invités internationaux des Luma Days, fin mai. Une réussite selon l’employée de l’association : « Les bénévoles étaient à l’aise avec les gens de la Fondation. Ils ont pu visiter l’atelier Luma et ils étaient invités aux cocktails… On a bien été accueilli ! ».
Pour la Maison de quartier, « Le contact est venu par évidence : la Tour est là, et dès que la Tour a commencé à prendre de la hauteur, à être visible du quartier, les gens ont commencé à se poser des questions.
Un respect mutuel nécessaire
Un besoin d’information qui a débouché sur un dialogue entre les acteurs jusqu’à l’organisation de visites de la Tour pour les habitants. Depuis un an et demi, 90 habitants de Griffeuille ont pu en profiter. « A chaque fois, on a les mêmes réactions… C’est des gens qui y vont, qui s’attendent à rien et qui se prennent une claque », s’enthousiasme le salarié. La fondation Luma est également intervenue à la Maison de quartier pour présenter le projet de la Tour. Il y a aussi une intention de co-construire un chemin pédagogique entre la Fondation et le quartier de Griffeuille. »
« L’implication de toutes les structures et notamment des acteurs du quartier, permettent de créer un relais, entre les habitants de Griffeuille et Luma.
l’avenir est ouvert, mais les craintes demeurent
« Après, la crainte de certains, c’est que le quartier soit utilisé comme un faire-valoir pour la Fondation », analyse Baptiste Guerri. Les projets sont en construction, ils commencent à peine…. Ce n’est qu’un début… »
Elargissons le propos sur la difficile cohabitation entre l’ancien et le nouveau
De nombreux « scandales » ont déjà défrayé la chronique :
Les controverses sur la place et la légitimité de l’art contemporain, en particulier avec l’architecture font florès en FranceMerci à Charlotte Yankovitch, qui a longuement développé cette idée dans Cultea : https://cultea.fr/les-plus-grands-scandales-de-lart-contemporain-dans-lespace-public.html/amp.
N’oublions pas que la France est le 2ème pays au monde (derrière l’Italie) à collectionner les inscriptions au Patrimoine mondial de l’Humanité de l’UNESCO.
Pensons également aux démarches architecturales différentes entre Paris ou Rome, et Londres, Berlin ou Rotterdam. Les premières sont les temples mondiaux du patrimoine antique et moderne. Alors que les secondes sont des villes détruites et reconstruites dans un mélange de restauration de l’ancien et d’audace contemporaine.
Il importe donc de prendre en compte le contexte de ces enjeux.
Cependant, certaines audaces contemporaines ont fini par de fondre dans le patrimoine, pendant que d’autres continuent à scandaliser…
La pyramide du Louvre s’est imposée au fil du temps
Ainsi, le projet de pyramide de l’architecte Ieoh Ming Pei, choisi par le Président Mitterrand. Voilà bien une oeuvre qui a déchaîné les passions, l’accusant de « disneylandiser » le Louvre. Pourtant un premier projet de pyramide était prévu dans la cour Napoléon pour le centenaire de la Révolution française en 1889…
Projet de pyramide pour le Louvre par Louis Ernest Lheureux
Les colonnes de Buren, une polémique qui ne passe pas
Si les colonnes du Palais royal ont avantageusement remplacé les nombreuses autos, pour le plus grand plaisir des touristes, les polémiques perdurent. Or l’artiste lui même en rajoute, en exigeant que ses colonnes soient restaurées par la ville.
Cour d’honneur du Palais-Royal, avant-après (Charlotte Yankovitch)
Le bouquet de tulipes de Jeff Koons, le cadeau empoisonné de l’amitié franco-américaine aux Parisiens
Bouquet of Tulips est « offert » à Paris en hommage à la ville de Paris, meurtrie par les attentats de 2015. Mais comme dessin et non comme oeuvre accomplie ! A charge de la ville de le faire réaliser et de l’entretenir, alors que les riverains refusent les financements sur leurs impôts locaux. Et c’est sans compter le déménagement du palais de Tokyo au jardin du Petit Palais…
A se demander si l’artiste n’a pas cherché à perturber intentionnellement un Paris un peu trop patrimonialisé à son goût.
La provocation érigée en art (Anish Kapoor, Paul Mc Carthy)
Que reste-t-il à l’avant-garde pour provoquer le bourgeois ? L’allusion à une sexualité étalée au grand jour devrait faire l’affaire.
But atteint en partie par Anish Kapoor pour Dirty Corner – qu’il aurait lui-même surnommé « Le vagin de la Reine » – installé face au châteauL’artiste était invité à installer ses oeuvres pour une exposition temporaire dans les jardins de Versailles en 2015.. Conséquences (attendues ?) : protestations, demande de retrait, dégradations, insultes antisémites…
Plein pot, par contre, pour Paul Mc Carthy et son Tree, immédiatement identifié comme un plug anal, gonflable et géant. Gageons que l’intention de l’artiste était bien que l’oeuvre fût rapidement dégonflée. Et que ce soit par des défenseurs du patrimoine, déterminés à faire cesser ce scandale pornographique.
La Fiac, opportunément, ne cherchera pas à réinstaller l’oeuvreEn 2014, à l’occasion de la Fiac, l’artiste Paul McCarthy expose hors les murs. C’est sur la place Vendôme qu’on installe son œuvre Tree……
Conclusion
Comment peut se faire la réappropriation d’un lieu culturel par les populations locales ?
Rappelons que près de 40% des Arlésiens ne se sentent pas concernés par les manifestations culturelles de leur ville. Donc, l’avenir du geste architectural ne peut se concevoir qu’en symbiose avec le patrimonial existant. Or, nous l’avons vu au travers des témoignages locaux, la seule voie possible est la reconnaissance réciproque dans une démarche humble et non arrogante.
St Etienne et sa biennale du design La Biennale a lieu sur le site de l’ancienne Manufacture d’armes et cycles (Manufrance)est certainement un des meilleurs exemples d’intégration architecturale dans le tissu économique et social d’une ville qui a dû aussi se réinventer.
Un exemple pour Arles ?
Et pour retrouver toutes les publications des « Clionautes sur la route » à Montpellier, c’est ici : https://www.clionautes.org/toutes-les-publications-de-la-galaxie-clionaute.html