La triade « Mer, Grèce et Démocratie » semble aller de soi et le but de la conférence est justement d’expliciter et de nuancer cette évidence.
L’histoire ancienne suscite toujours l’intérêt des contemporains et l’on peut considérer, avec l’historien Andrew Lambert, que dans l’histoire on compte quelques 5 seapowerstates (puissances maritimes) : Athènes, Carthage, Venise, la Hollande et le Royaume Uni. Cette liste fermée se justifie par l’obligation d’y joindre la puissance navale, un modèle politique et un modèle économique.
Intervenants
Elodie Thomas-Matricon est professeure agrégée au lycée Albert Camus de Firminy et docteur en histoire ancienne
Maître de conférences en histoire à Sorbonne Université, Jean-Marie Kowalski est détaché à l’école navale, qui forme les futurs officiers de la Marine nationale.
Un enregistrement sonore de la conférence est disponible.
M. Kowalski présente tout d’abord le sujet du point de vue scientifique puis Mme Thomas-Matricon propose la transposition pédagogique pour la classe de seconde et les classes de spécialités Histoire géographie et géopolitique.
Quel lien entre démocratie et mer ?
La Grèce ne se limite pas à Athènes et la mer n’est pas forcément liée à la démocratie. En effet, Hérodote, évoque la Crète, Samos qui ne sont pas des démocraties. De plus, la démocratie athénienne survit à l’échec de sa puissance maritime.
L’empire maritime athénien finance-t-il la démocratie ?
On pense souvent que l’empire maritime permet de donner le misthos (indemnité financière pour les plus pauvres) mais cela doit être nuancé. Il faut donc évaluer ce que coûte l’entretien de la flotte.
En 499 av JC, les cités grecques d’Asie Mineure demandent de l’aide face aux Perses. Athènes est assez volontaire. Les premières hostilités se déroulent sur terre, en 490, Marathon est une bataille terrestre. Après le remplacement de Darius par Xerxes, la force navale perse se renforce. La bataille de Salamine, en 480, se déroule devant la cité d’Athènes. La population a évacué Athènes, est installée sur l’île de Salamine et assiste visuellement à la victoire contre les Perses. C’est une situation rarissime.
Thémistocle démarre un grand programme naval : constructions de bateaux et infrastructures nécessaires.
L’alliance entre Athènes et les cités de Délos
La ligue de Délos, passe peu à peu d’une alliance volontaire à une alliance sous contrainte dans laquelle Athènes n’autorise pas les cités à s’affranchir de sa tutelle. Athènes utilise parfois la force, ce qui interroge sur la notion de démocratie. La ligue, à son apogée, compte 180 cités ce qui est considérable.
Quelle est la nature du lien entre la démocratie et l’empire maritime athénien ?
Il s’agit de sociologie politique. Selon Plutarque, Thémistocle aurait dit que l’empire était la mère de la démocratie. En effet, la mer donne aux citoyens ordinaires qui servent dans la marine, une véritable puissance. Les hoplites, qui servent à terre, appartiennent davantage à l’aristocratie. Ce système donne donc le pouvoir aux marins. Thucydide, comme Plutarque, établit la relation entre le développement de la marine et le développement démocratique.
Cela semble paradoxal puisqu’Athènes, qui use pourtant de la contrainte, promet aux cités que le fait d’appartenir à la Ligue protège contre l’oligarchie.
Les finances
L’impôt (le phoros ) versé à Athènes par les membres de la Ligue de Délos et la marine sont les deux leviers de cet empire.
Les cités de la Ligue de Délos entretiennent de moins en moins elles-mêmes leurs flottes à l’exception de Lesbos, Chios, ou Samos. En effet, elles doivent verser directement l’impôt à Athènes ce qui les rend dépendantes de la cité.
Les équipements sont standardisés
Le modèle de trière est athénien et cela facilite l’entretien ou les réparations partout. Ainsi, les lieux d’escale sont adaptés aux trières athéniennes.
L’impôt nécessaire à la flotte ne cesse d’augmenter pour entretenir la flotte et financer la démocratie. Malheureusement, il ne suffit pas. En effet, après 480, Athènes construit 20 navires par an alors que 10 ans auparavant, la flotte complète se limitait à une cinquantaine. La construction mais surtout l’entretien et le financement de l’équipage d’une trière sont coûteux. Les triérarques financent les trières. Ils paient les citoyens, 170 rameurs par trière, qui naviguent, l’entretien et le coût de l’expédition. Une trière revient à un talent par mois.
Par conséquent, l’impôt prélevé sur les cités de la ligue ne suffit pas. Il faut alors utiliser les réserves de la cité. Le misthos n’est donc pas payé par la ligue.
Pour finir, ce modèle de puissance athénienne repose sur l’impôt mais cette puissance maritime permet à presque tous d’avoir accès à des biens de consommation autrefois réservés à une élite économique.
Quel modèle économique est sous-tendu par ce lien maritime ?
L’outil naval sert à sécuriser les voies de communication donc à protéger les approvisionnements et à exporter les marchandises. En marge des circulations commerciales, se développent une prédation : la piraterie. C’est un mal nécessaire qui est aussi une source de revenus liés aux campagnes menées pour protéger les bateaux.
Les esclaves
Les sociétés anciennes ont besoin d’esclaves capturés généralement à la guerre. En cas de paix, ce besoin n’est plus satisfait donc il faut trouver une autre source. Un homme libre peut être capturé par des pirates qui demandent une rançon laquelle dépend de la qualité sociale du prisonnier. On constate l’abondance de sources épigraphiques à ce sujet. Mais cela peut indiquer que ces situations suscitent une grande émotion. Les activités crapuleuses augmentent en parallèle au développement des activités maritimes. Des personnes « généreuses », intermédiaires plus ou moins douteux, proposent leur aide pour retrouver des hommes capturés.
Piraterie et guerres entre cités dans le Bosphore
À la fin du IVe siècle av JC, de nombreuses cités pratiquent la piraterie et en tirent des revenus importants. Dans ce cas, c’est une activité de l’Etat reconnue et collective.
Face à cela, des accords inter-cités sont signés vers 260-230, où les deux différentes parties s’engagent à ne pas acheter d’hommes libres capturés dans un de ses ports.
Pour répondre à la piraterie, une activité économique de protection se développe. La piraterie a un coût pour l’Etat mais pas seulement. En effet, en -338, quand Athènes est défaite, des Rhodiens, qui apprennent que le Pirée est bloqué, en profitent pour obliger les bateaux de commerce à faire escale à Rhodes. Ils remplacent ainsi la puissance dominante dans la protection du commerce maritime. En 227, un tremblement de terre a lieu à Rhodes. Tout le monde aide financièrement les Rhodiens à reconstruire leur port car ils apportent beaucoup de sécurité dans la région. Rhodes retrouve ainsi son activité.
L’activité de piraterie rapporte aussi financièrement à Athènes. Effectivement, lorsqu’un pirate est capturé, des primes sont reversées au trésor public ce qui enrichit la cité. À Rhodes, à l’inverse, celui qui capture s’enrichit personnellement. Dans ce système tout le monde y trouve son intérêt.
Lors d’une guerre dans le Bosphore, en 220 av JC, qui oppose une cité à Byzance. La cause de cette guerre : les Byzantins ont levé un impôt sur les bateaux qui traversent le Bosphore et passent devant leurs côtes. Cette décision entrave donc la liberté de navigation. L’attitude des Byzantins choque toutes les cités maritimes.
Derrière le discours démocratique, quelles stratégies militaires ?
L’exemple de la Guerre du Péloponnèse
Athènes est protégée par les murailles de bois de ses vaisseaux et de sa cité. Les Spartiates pensent donc perdre s’ils ne réussissent pas à priver les Athéniens de leur flotte. De plus, les Athéniens menacent le territoire du Péloponnèse.
Les Spartiates ont conscience que leurs capacités d’action et les conséquences des pillages sont limitées sur terre tant que les provisions arrivent par le Pirée. En revanche, le Péloponnèse peut-il supporter des raids conduits depuis la mer ? Les risques et les chances de réussir sont déséquilibrées. Dans les premières années, Athènes mène des raids avec ses bateaux (une centaine en 430, 300 cavaliers, 4000 hoplites) autour du Péloponnèse. Les cavaliers permettent de semer la terreur à l’intérieur des terres. Cela impressionne et par conséquent, prévient les Spartiates de ravager l’Attique. Ces expéditions ont un coût considérable.
Cette stratégie permet à Athènes d’engranger des victoires. La bataille navale est, en réalité, rare. Les raids amphibies autour du Péloponnèse sont les plus nombreux, mais supposent d’avoir des alliés proches du Péloponnèse pour faire escale et réparer. Ce choix stratégique exige que l’ennemi ne dispose pas de moyens navals sur la zone car cela obligerait Athènes à déployer encore plus de moyens. Par exemple, la présence du soutien Corinthien, même faible, gêne Athènes.
Sparte va, pour affaiblir Athènes, tenter de démanteler la Ligue de Délos. Les attaques athéniennes très coûteuses sollicitent le trésor d’Athènes. En effet, dès la première année de la guerre, la cité se rend compte qu’il faut prévoir et 1000 talents sont mis en réserve sur l’Acropole. Cette somme ne doit pas être utilisée sauf si la ville est attaquée par une flotte. Athènes décide également de mettre en réserve 100 trière chaque année pour limiter le coût de l’entretien de la flotte déjà démesurée.
Les finances n’ont pas suivi
En 428, le trésor athénien s’appauvrit et il devient difficile de payer pour toutes les dépenses. La stratégie navale défensive, qui repose sur la peur de l’ennemi, est donc très coûteuse.
L’exemple de l’expédition de Sicile en fait la démonstration : la Sicile est très grande, très loin donc les moyens déployés sont démesurés. Thucydide propose une analyse de l’effondrement athénien : le thumos, c’est-à-dire les forces morales de la cité. Dans « La République », Platon explique qu’il faut domestiquer les pulsions liées à l’ambition démesurée dont l’appât du gain est un élément, pour fabriquer des philosophes qui doivent faire appel à leur raison avant tout. Dans l’expédition de Sicile, les Athéniens sont attirés par le gain. Ils utilisent une stratégie navale défensive pour attaquer ce qui pervertit le principe initial, au point que le thumos des citoyens s’effondre.
Pour conclure
-une démocratie qui ne se finance pas directement de la thalassocratie
-le modèle économique qui se développe suppose beaucoup d’activités de prédations privées et publiques
-une stratégie militaire liée à la mer particulière
Transposition pédagogique pour les lycéens
Présentation1
Diaporama des intervenants à disposition des enseignants de lycée
– en seconde, les liens entre démocratie et impérialisme (thème 1)
– en terminale, spécialité géopolitique : la puissance maritime
En seconde
Entrée par la notion de démocratie et étude du paradoxe entre les principes démocratiques et la réalité d’une domination impérialiste sachant que la thalassocratie rapporte des ressources qui aident au fonctionnement de la démocratie athénienne.
Pré requis
Périclès, les grands principes et les limites de la démocratie athénienne dont le misthos. Tout cela installé, on aborde le paradoxe pour clore la séquence sur Athènes.
Démarche
Temps de récit par le professeur qui s’appuie sur une carte afin de spatialiser le récit et poser le contexte.
Prise de notes par les élèves avec support du vocabulaire, des dates au tableau.
Sont expliqués les guerres Médiques, la création de la Ligue de Délos, Marathon (hoplites), Salamine (rameurs) et le prestige obtenu par Athènes qui prend la tête de la Ligue de Délos en 478 av JC. Les cartes des manuels ne sont pas toutes utilisables car le mélange des chronologies peut être un obstacle. Comme les élèves aiment les récit des batailles, pourquoi ne pas expliquer l’oracle de Thémistocle et la fameuse barrière de bois?
À l’issue de la victoire, la ligue de Délos est mise en place dans un but d’alliance défensive contre la menace perse.
Ensuite, on peut interroger sur les rapports entre impérialisme et démocratie.
Pour ce faire, trois documents sources sont étudiés avec un questionnement pour guider les élèves : il faut identifier les acteurs, les dates des grands événements et de contextualiser.
– Un extrait de texte de la constitution d’Athènes par le Pseudo Xenophon qui est un parti pris antidémocratique oligarchique
– Un texte de Plutarque (auteur postérieur) « la vie de Thémistocle ». Les élèves débutent dans l’analyse en faisant le lien entre leurs connaissances et le document puis ils sont amenés vers l’argumentation. Il faut identifier et présenter le point de vue de chaque auteur. Plutarque indique clairement la filiation entre empire et démocratie.
– Le troisième document, texte de Plutarque sur la vie de Périclès, propose le passage du transfert de la ligue de Délos à Athènes. Il faut insister sur cette date importante.
Les frises chronologiques
Celles proposées par les manuels posent problème car lacunaires. Quand on explique comment Périclès a renforcé la démocratie à Athènes, le problème du lien direct entre l’instauration du phoros et la mise en place du misthos à Athènes se pose. Encore une fois, certains manuels font des raccourcis sur lesquels il faut revenir avec les élèves : l’empire a permis de faire fonctionner la démocratie mais le phoros n’a pas financé directement la démocratie,autrement dit le phoros ne finance pas le misthos. Pour aider les élèves à saisir cette subtilité, il suffit de revenir à la chronologie et montrer que la démocratie existait avant l’empire puisqu’elle commence à se mettre en place avec les réformes de Clisthène alors que l’empire s’installe après la création de la Ligue de Délos. Elodie Thomas-Matricon propose une frise chronologique qui lui semble adaptée au niveau des élèves.
Pour répondre à la problématique sur le paradoxe
entre démocratie et impérialisme, une tâche finale suit : une duel d’éloquence qui permet de s’approprier le contexte très oralisant de la Grèce ancienne. Un ambassadeur d’une cité alliée vient devant la boulé dénoncer l’impérialisme athénien face à un citoyen des classes populaires qui siège à la Boulé et défend le système de sa cité. Cet exercice permet de travailler l’argumentation et l’oral.
Terminale HGGSP, thème 1 « La conquête de nouveaux espaces »
L’étude de cas sur Athènes, qui introduit la séquence, répond aux objectifs du thème de la notion de puissance maritime. Comment certains Etats ont-ils utilisé leur maîtrise des mers pour asseoir leur puissance et leur domination sur les autres ? Le plan se décline en trois temps :
-une conquête ancienne, Thémistocle affirmait, dans l’Antiquité, que celui qui commande la mer commande partout. Dans une démarche inductive, le cas de la cité d’Athènes permet de montrer :
-une volonté politique d’affirmation de la puissance maritime (Thémistocle, Cimon et Périclès)
-des enjeux géo-économiques et géopolitiques de la maîtrise des mers
Mise en oeuvre
En 5 h / le corpus documentaire est donné en amont aux élèves afin qu’ils l’étudient auparavant/ 1ère séance de 2 h : étude du corpus documentaire individuellement puis en groupe / 2ème séance de 2h : travail de la méthodologie de la dissertation, travail de groupe avec tâche finale évaluée / 3ème séance d’1 h avec proposition de carte mentale
La démarche : « la classe Puzzle »
a) création de groupes de 4 experts
b) éclatements des experts dans des groupes où chacun apporte ses connaissances.
Les buts : échanger oralement, obtenir une connaissance approfondie, transmettre. Le professeur apporte son aide également.
Différenciation : difficultés différentes selon les groupes.
Groupe 1 (le plus à l’aise) :
sources antiques (non didactisées). On peut proposer un questionnement guidé.
Les documents sont fournis dans le diaporama joint.
Les idées qui doivent être acquises
-la thalassocratie repose sur des moyens (mines et phoros) et des investissements
-la victoire de Salamine qui permet la fondation de la Ligue de Délos
-Les attribut de puissance : des capacités scientifiques, militaires et des ressources financières.
Groupe 2 :
dresser une chronologie pour montrer les Etats de la construction de la puissance navale et faire le parallèle avec la montée en puissance d’Athènes.
Explicitation des dates et compétence numérique : recherches sur certaines batailles
Groupe 3 :
les enjeux économiques de la thalassocratie avec corpus de documents. Ils faut sécuriser les approvisionnements d’Athènes. (piraterie. Le développement du Pirée lui permet d’asseoir sa puissance économique et commerciale. Cela favorise l’enrichissement de la cité donc convoitises et rivalités d’ou le maintien de la puissance navale.
Groupe 4 :
les enjeux géopolitiques et militaires. Rivalités que suscitent la thalassocratie.
Lutte contre la piraterie.
-la flotte athénienne est une force de dissuasion pour empêcher la révolte
-force de projection
Pour finir
chaque expert est redistribué dans des groupes dans lesquels ils vont apporter les conclusions de leur recherche. Collectivement, les élèves doivent ensuite répondre à la problématique de départ : comment un Etat peut asseoir sa domination grâce à la maîtrise des mers. Cet exercice est évalué.
Un schéma final est créé et permet de conclure la séquence.