Dans l’enceinte prestigieuse du château royal de Blois, Dominique Taffin s’est attachée à présenter le programme Recherche de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage et les liens qui se tissent entre la fondation, la recherche et l’enseignement. C’est une réalité, enseigner la mémoire de l’esclavage est une mission d’intérêt général, dont la recherche est un socle. Cependant, il n’y a pas de véritables laboratoires de recherche en France sur le sujet, et beaucoup de thématiques restent encore à explorer.
Intervenants
- Dominique TAFFIN est directrice de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage
- Andy Cabot, docteur en langues et cultures des civilisations anglophones. Il a soutenu sa thèse : Esclavage, Empires et Diplomatie (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis) : Abattre ou Consolider l’Esclavage dans le monde atlantique après Saint-Domingue (c. 1795 – c. 1815) ? sous la direction de Marie-Jeanne Rossignol et Allan Potofsky en janvier 2021 à l’Université Paris Cité. ( Source : FME). Andy Cabot et le lauréat du prix de la thèse de la Fondation pour la mémoire de l’Esclavage (2022).
Un enregistrement sonore de la conférence est disponible.
Introduction
« Au milieu de ces désastres dont les suites se feront sentir longtemps, il est bien essentiel pour notre commerce, de chercher à pouvoir seul à la subsistance de St Domingue- En se laissant prévenir et surpasser par les Américains, ce sera en quelque sorte livrer à ces derniers l’exportation d’une partie de nos sucres en Europe, et les habitants à un commerce dans lequel il ne sera pas facile de les restreindre. » Jean Baptiste Ternant (ambassadeur français aux Etats-Unis) à Blanchelande ( gouverneur de Saint-Domingue), 4 janvier 1792.
Andy Cabot débute par cette citation de l’ambassadeur, avant de présenter l’enjeu du sujet et poser son questionnement.
L’enjeu : les conséquences de la révolte sur l’esclavage.
Questionnement : Quel est l’impact géopolitique de cette révolution et les conséquences sur les États?
Les conséquences géopolitiques
Les États européens s’affrontent et font face à la rupture politique ouverte par l’insurrection de Saint Domingue (1791-1801)
Entre 1789/1791, on note l’insurrection des Occidentaux dans les colonies, en lien avec le contexte révolutionnaire. Cela démontre la manifestation de la désunion entre le pouvoir et les populations esclavagistes.
L’insurrection touche la dynamique du domaine colonial français : l’enchaînement des révoltes illustre une rapidité d’actions dans les Caraïbes. Très vite les cadres nationaux et impériaux sont dépassés par ce qui se déroule à Saint Domingue.
Les révoltes dans les Caraïbes :
1789/1790 : 3 révoltes en Martinique
1793 : Guadeloupe
1795 : Louisiane, révolte de Pointe coupée.
L’envoi de troupes :
Septembre 1792 : 6000 soldats britanniques
Sept 1793- avril 1794 : 10 000 soldats britanniques
L’expédition de Victor Hugues vient avec le décret d’abolition de l‘esclavage.
Tentative d’extension entre St Lucie, St Vincent, Grenade. La plus grande expédition est celle du Général Abercrombie avec 32000 soldats en février -juillet 1796. L’extension du domaine de la révolte de 1791 jusqu’en 1815 repose, en partie, sur la Révolution. Pour Geggers : il y a 92 révoltes en 20 ans. Dès lors, l’ordre social caraïbéen est confronté à une dissolution rapide. Par ailleurs, il n’y a pas de décisions de toucher à l’esclavage dans un premier temps.
Le 4 avril 1792, la citoyenneté française est effective pour tous les libres de couleurs. Cela conditionne un nouvel édifice colonial, avec un décret qui assure les moyens de ces ambitions. Deux commissions civiles sont créées pour Saint Domingue et les Petites Antilles. Lors des nouveaux conflits des commissions civiles envoyées en guerre. Notamment entre les Etats-Unis et la France en 1793 (Martinique & Saint Domingue). L’invasion étrangère et les insurrections obligent les commissions civiles de St Domingue à annoncer des premières mesures d’émancipation.
Par conséquent l’ordre géopolitique est brisé dans les Caraïbes.
Le 4 février 1794, la Convention Nationale élargit l’émancipation à l’ensemble de la colonie française. Louis Duffay dénonce les colons blancs, les « épidermocrates », les ennemis en puissance de la Révolution. Nouveaux libres : citoyens vertueux.
En mars 1796, c’est l’ expédition militaire britannique à la Barbade.
Il existe une multiplication de tentatives de conquête des Britanniques partout dans les Caraïbes qui y viennent développer l’esclavage. Cela se traduit par le développement intense de l’économie de plantation. Il représente 30% du commerce esclavagiste pour la Couronne.
Domestiquer l’esclavage : l’indépendance haïtienne et l’esclavage dans le monde atlantique (1802-1815)
La France revient sur sa décision, contrairement à la Grande Bretagne. La Paix d’Amiens (1801-1802) est une paix continentale, qui renforce le Consulat. Elle ne s’avère pas propice pour les Caraïbes.
Le rétablissement dans l’esclavage dans les Colonies s’inscrit dans une conjoncture favorable sur le Continent pour Napoléon.
Quelques dates :
1800 : Traité secret avec l’Espagne au sujet de la Louisiane
1801 : Tobago, Martinique reviennent à la France. Cela met en lumière l’ambition décuplée par le Premier Consul : construire un vaste projet colonial durant cette période.
1802 : expédition par les Français sous Charles Victor Leclercq dans les Caraïbes.
Quelques extraits de l’abolitionniste par James Stephen (1802) :
« Pour le pays en général, ce serait un mal moins redoutable que nos colonies sucrières soient appauvries ou ruinées par la révolution, que conquises par des armes étrangères; et moins dommageables qu’elles soient usurpées par un État nègre, que par le gouvernement de la Grande Nation » James Stephen, The Crisis of the Sugar Colonies, 1802, p.101
« Bien que la propagation de la discorde ou la guerre civile en Guadeloupe et à Saint Domingue peut être regretté, elle reste le meilleur espoir politique des intérêts britanniques dans les Caraïbes. » James Stephen, The Crisis of the Sugar Colonies, 1802, p.114
James Stephen utilise le contexte trouble pour exalter les abolitionnistes, car dans la même temporalité, aux USA, l’indépendance de Saint Domingue leur permet une augmentation de la traite négrière, avec les territoires qui sont récupérés.
La France échoue à St Domingue, en Guadeloupe et perdure dans une économie esclavagiste.
Conclusion :
On note une double abolition en 1807 : en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
Le Congrès de Vienne et la paix d’Amiens permettent de voir les orientations politiques européennes. Dans l’ensemble le modèle colonial domine les puissance occidentales. Les abolitions britanniques et européennes après 1848 représentaient une réalité, et pose la première pierre vers la fin de la traite. Le mouvement abolitionniste se replie vers la Grande-Bretagne pour un droit international.
Pour les États atlantiques, le retour des mouvements révolutionnaires, notamment en Jamaïque (1833), coïncide avec le Printemps des Peuples, qui installe une radicalité et un abolitionnisme plus ferme et durable.