À l’occasion de la tenue des journées d’études de la société française d’histoire des outres mers, consacrées à l’Empire colonial pendant la Grande guerre, Marc Michel nous a fait l’amitié de publier sur le site des Clionautes une partie de sa communication d’introduction.
Nous sommes très sensibles à cet honneur, et il n’est pas si fréquent que des historiens et des chercheurs de l’importance de Marc Michel consentent à être publiés dans nos colonnes. Marc Michel, et nous espérons qu’il ouvrira la voie à d’autres, a été très sensible à l’action des Clionautes, avec notre veille éditoriale, « La Cliothèque », visant à nouer des liens forts entre la recherche universitaire et l’enseignement du second degré. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié.

Bruno Modica

Cette mise en ligne est une version abrégée de la communication de Marc Michel qui sera publiée dans son intégralité dans la revue Outre-mers.

Revue Outre-Mers

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« Autour de l’histoire de l’Afrique pendant la Grande Guerre » (Itinéraire d’historien)
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Avant présenter ici mon itinéraire d’historien, comme il en a été convenu avec les organisatrices de ce colloque, il me paraît nécessaire, d’abord de rendre hommage à un ami, décédé brutalement au lendemain de sa soutenance de thèse en 2010, Dick Van Galen Last. Pour beaucoup d’entre nous, un nom encore inconnu. Il ne le restera pas. Sa thèse parait enfin en français, après avoir été publiée en néerlandais et en anglais, sous le titre Des soldats noirs dans une guerre de blancs (1914-1922), Une histoire mondiale aux éditions de l’Université Libre de Belgique. Comme le sous titre l’indique, il ne s’agit pas seulement du démontage de la vision franco-centrée de la participation des Africains à la Grande Guerre : c’est, à mon sens,  le travail sans doute le plus savant et le plus exhaustif sur la question de la « racialisation » de la guerre à partir d’une vision comparative. D’où le sous-titre.

Quant à moi, j’articulerai mon propos sur les trois axes historiographiques qui ont orienté ma propre recherche sur l’Afrique et la Grande Guerre, ses origines, le contexte dans lequel elle s’est inscrite, ce que j’appellerai « l’ambiance » J’emprunte le mot à l’Introduction à l’histoire des Relations internationales, rédigée par Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle et parue en 1966 chez Armand Colin, p. 367.  de l’époque et les problématiques abordées. En conclusion j’évoquerai quelques pistes nouvelles et le passage de relais entre générations.

I

Les origines en remontent très loin, un demi-siècle ( !). Elles sont d’abord personnelles. Il n’est pas question ici de faire une sorte d’égo-histoire comme on nous le demandait dans les années 1970 lorsqu’on candidatait à un poste pour montrer que depuis la plus tendre enfance on avait éprouvé une vocation quasiment innée pour le sujet et qu’on était destiné au poste convoité… Cependant, on ne peut totalement écarter des influences venues de loin. Une enfance vécue en Afrique de l’ouest, des parents enseignants au Sénégal, au Soudan et au Dahomey (Bénin) ont été évidemment des facteurs qui ont pesé sur mon orientation ultérieure, consciemment ou inconsciemment. On peut mesurer cette prégnance d’une enfance africaine chez nombre d’écrivains, de créateurs, de réalisateurs tels Claire Denis avec son premier long métrage Chocolat en 1988. Un travail serait sans doute à mener sur l’Afrique dans la création artistique française contemporaine.
Mais c’est beaucoup plus tard que j’ai découvert à quel point la Grande Guerre me concernait en tant qu’historien lorsque j’ai retrouvé un document familial oublié, déposé aujourd’hui à l’Historial de la Grande Guerre à Péronne.
Il s’agit d’un carnet de guerre de mon grand oncle rédigé en 1917 ou 1918 depuis son incorporation en août 1914 jusqu’à son retour de Verdun en juin 1916 et de sa correspondance postérieure jusqu’à sa démobilisation en 1919 ; blessé deux fois, gazé, cité deux fois à l’ordre de l’Armée, ce témoignage est celui d’un simple paysan du Quercy, d’où son intérêt ; il s’ajoute aux multiples témoignages déjà recueillis et rassemblés dans Mémoires des Hommes.

Pourtant, et c’est là une constatation d’une grande banalité, les hasards et les opportunités ont de recherche autant d’importance dans les orientations d’une vie qu’un vécu lointain et plus ou moins oublié. J’appartiens à la génération des années 60 qui sortait de la guerre d’Algérie. Des perspectives nouvelles apparaissaient alors en Afrique avec les débuts de la Coopération, et, plus précisément, en ce qui me concerne, la construction de nouvelles structures universitaires en Afrique ; on y demandait des jeunes agrégés prêts à l’expatriation. Sur cette question, « Coopérants et coopération en Afrique… », Outre-Mers, vol. 102, 384-385, 2e semestre 2014.
En tout cas, une affectation à Brazzaville où se mettaient en place en 1964 les bases d’un Centre d’Enseignement supérieur destiné à devenir Université, et un sujet de thèse de 3e Cycle sur la mission « Congo-Nil », plus connue sous le nom de « Mission Marchand », centrée sur le monde militaire (avec lequel, à l’époque, je n’avais aucune empathie, je dois le reconnaître) ont constitué un second facteur d’orientation de recherche. Le rôle des « tirailleurs sénégalais » de l’expédition, majoritairement des Bambaras en majorité, fut déterminant si bien que la question des soldats noirs dans la Grande Guerre m’est venue assez naturellement à l’esprit. D’autant plus que l’autre « grand sujet » auquel j’avais songé, puisque je vivais alors au Congo-Brazzaville, sur les compagnies concessionnaires, avait été pris par Catherine Coquery-Vidrovitch et que nous étions tous les deux les élèves du même « maître », Henri Brunschwig.
Surtout, une série d’opportunités de recherche nouvelles apparaissaient. La plus importante a été l’ouverture des archives de la Première Guerre mondiale à Vincennes. Jusqu’à la loi fondamentale des Archives en 1979, la communicabilité des documents faisait l’objet de divers textes règlementaires qui variaient selon les organismes producteurs. Les archives étaient versées aux Archives nationales ou départementales, à la Défense, aux Affaires étrangères etc… et ces institutions fixaient plus ou moins librement leurs propres règles de consultation. Et, il faut le souligner au passage, elles étaient toutes absolument fermées après 1940, ce qui faisait écarter automatiquement un sujet sur la Seconde Guerre mondiale ; les archives du SHD (SHAT) concernant la période 1914-1918 ne furent véritablement accessibles qu’à partir des années 60 (sauf restrictions bien définies). Un sujet sur la Première Guerre mondiale à moins de 50 ans du dépôt des archives était donc seul envisageable.
Outre les restrictions règlementaires en vigueur jusqu’en 1979, une très grande limitation d’accès résidait aussi dans l’état des classements ; ceux-ci étaient pour la plupart inachevés encore dans les années 1960 et ils ne furent achevés qu’à la fin des années 60 et dans les années 1970. Ce travail colossal permet de disposer aujourd’hui des grands inventaires effectués par Jean-Claude Devos, Jean Nicot, Philippe Schillinger, Pierre Waksman. Inventaires des Archives de la Guerre, publiés en 1972 et 1974.
C’est d’ailleurs la mise à la disposition des chercheurs de cette documentation qui détermina le véritable renouvellement de l’histoire de la Grande Guerre encore très immergée dans les mythes. L’inachèvement des classements a eu cependant un avantage ; c’est grâce à cet inachèvement, que j’ai travaillé en toute liberté dans les sous-sols de Vincennes, en allant directement aux cartons (ah ! merveille d’ouvrir des cartons jamais ouverts depuis leur confection !), en même temps d’ailleurs que Gilbert Meynier dont la magistrale thèse vient d’être rééditée L’Algérie révélée, la Première Guerre mondiale et le premier quart du XXe siècle, 1914-1923, Droz, 1982, Bouchène, 2015.. Cet accès direct aux cartons fait rêver aujourd’hui !
La réglementation était différente aux archives de l’ex-Ministère des Colonies puis de la France d’Outre-mer (la « rue Oudinot »). Il est à noter que les archives de la Coopération (la « rue Monsieur », voisine) étaient séparées et en cours de classement ; elles furent déposées par la suite à Fontainebleau. L’accès était également fermé après 1940 ; il dépendait surtout là aussi de l’état des classements. Or, à, l’époque, le classement du fonds essentiel des Affaires politiques était encore en cours et c’est grâce à la confiance de la directrice des archives, Melle Meynier Surnommée affectueusement par les chercheurs et le personnel, la « grande Mademoiselle » elle est décédée en 2008. (Hommage par Monique Pouliquen dans Outre-Mers, vol. 95, 358-359, 2008) et l’appui d’Henri Brunschwig, qui présidait alors à l’édition des papiers de Brazza, que j’ai pu bénéficier d’un régime de faveur pour la consultation des documents. Il reste que certains fonds, en particulier celui du Contrôle, c’est à dire de l’Inspection des Colonies, n’étaient pas libres d’accès, encore soumis à l’autorisation du corps des ex-inspecteurs des colonies en extinction.
Heureusement, les rapports de l’Inspection existaient en double dans les archives de Dakar. Vivant en Afrique, je pouvais à chaque congé en France consacrer quelque temps à l’enquête de terrain et aux archives de Dakar dirigées par Jean-François Maurel dont on a appris la disparition. cf. Hommage de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, 2015 : « Placé entre 1958 et 1976 à la tête des archives de l’Afrique-Occidentale française, il réussit, en 1959, à convaincre les autorités françaises de ne pas les rapatrier en France. Ainsi le fonds de l’A.O.F. constitue une exception, que l’on se plait aujourd’hui au Sénégal à ranger parmi « les exceptions sénégalaises ». Contrairement, en effet, aux archives de l’Indochine, de Madagascar, de l’Afrique-Équatoriale française, ou de l’Algérie qui, au nom du principe de souveraineté, se retrouvent aujourd’hui au Centre des archives d’outre-mer à Aix-en-Provence, les archives de l’A.O.F. sont restées à Dakar et sont microfilmées depuis 1961.”
Je tiens à lui rendre hommage parce qu’il fut l’artisan d’un accord à l’amiable qui a maintenu sur place sans trop de dommage, et sans qu’il ait été remis en question par la suite, les archives de l’ex- Gouvernement général de l’AOF.
Pour résumer, c’est bien la conjonction des hasards de la vie et des opportunités de recherche qui ont constitué le terreau d’origine. Mais, comme toujours, on ne saurait négliger « l’ambiance » dans laquelle » les chercheurs mènent leurs recherches pour les comprendre.

II

« Ambiance » : notion vague et qui correspond à  peu près à qu’on appelle « l’air du temps », et plus précisément, les préoccupations dominantes de la recherche en Histoire contemporaine dans les années 60-70… Elles ont peu en commun, me semble-t-il, avec les problématiques d’aujourd’hui comme l’identité, les représentations, la place du religieux ou la violence.
Trois axes principaux d’interrogations dans ces décennies me paraissent pouvoir être soulignés, du moins ne ce qui me concerne : l’impérialisme, les résistances anticoloniales, le rôle des intermédiaires.
Quand j’ai entrepris ma thèse d’Etat, les problématiques majeures et les controverses tournant autour de l’impérialisme étaient centrées sur les explications marxistes plus ou moins sophistiquées de ce celui-ci.. N’oublions pas que le marxisme imprégnait profondément les débats de l’époque. La thèse de Jacques Marseille n’est parue qu’en 1984. Empire colonial et capitalisme français, Histoire d’un divorce, Albin Michel, 1984, version abrégée de la thèse de .Jacques Marseille soutenue le 5 mai 1984.
Ce n’est pas un scoop de souligner que la grande question a toujours porté sur les origines de la Première Guerre mondiale, question qui ne sera d’ailleurs sans doute jamais épuisée. A la Sorbonne (partagée entre Paris1 et Paris IV en 1969), le séminaire le plus couru de l’époque sur cette question était le séminaire de Relations internationales de J.B. Duroselle, successeur de Pierre Renouvin. Le principal mérite de ce séminaire (outre la bienveillance de son maitre) a été, à mon sens, d’avoir réuni ou invité des gens de différentes générations, des autorités déjà confirmées et des chercheurs plus ou moins jeunes  d’opinions et d’engagements très différents et d’y avoir créé un véritable climat d’échanges toujours enrichissants. On m’objectera qu’on était loin de l’Afrique. Pas du tout dans la mesure où les problématiques abordées (enjeux de la géopolitique, processus de décision, rôle des lobbys etc…) pouvaient enrichir la réflexion … et la connaissance.
Second « grand » séminaire, lui plus proprement consacré à l’histoire de l’Afrique noire celui d’Henri Brunschwig à l’EHESS. Je dirai que c’est sous la houlette de ce maitre qu’on apprenait vraiment à travailler et à réfléchir, ce qui fut reconnu par tous celles et ceux qui en profitèrent.Cf. Etudes africaines offertes à Henri Brunschwig, préface de Léopold Sédar Senghor, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1982.

Parmi les thèmes à la mode, un des plus importants était celui des résistances déjà abordé par Michel Crowder pour l’Afrique de l’ouest3 et surtout théorisé par dans l’article fondateur de Terence O. Ranger.Terence O. Ranger « Connexions between primary resistance movements and modern mass nationalism in East and Central Africa », North Western University, 1966, publié par le Journal of African History, vol. 9, 3, 1968 Des auteurs anglo-saxons ? On avait parfois l’impression d’une avance de l’historiographie anglo-saxonne. A tort, à mon sens du moins. Mais il faut reconnaître qu’il n’y avait pas longtemps qu’on avait découvert l’Afrique à la Sorbonne et il vrai qu’à l’époque, on « découvrait tout »…Sophie Dulucq rappelle que les chaires d’histoire africaines ont été créées en 1962 (Hubert Deschamps et Raymond Mauny), Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale, Karthala, 2009. Mais le Centre de Recherches africaines a été créée en 1969 ; la monumentale thèse d’Yves Person qui a marquée un tournant de l’historiographie africaniste a été publiée entre 1968 et 1975.… Souvenir personnel : à mon arrivée à Brazzaville, il me fallut « inventer » un cours d’histoire de l’Afrique dont le grand inspirateur était encore Basil Davidson.
Il faut préciser aussi que les auteurs incontournables sur l’Afrique noire coloniale étaient encore Jean Suret-Canale côté francophone ou Walter Rodney côté anglophone.Jean Suret-Canale , AOF, géographie, civilisations, histoire, Ed. Sociales, 1961, L’ère coloniale, 1964. Walter Rodney, How Europe Underdeveloped Africa, 1973, six éditions dix ans plus tard.

Dans une perspective plus euro-centrée et qu’on qualifierait aujourd’hui de « libérale », on trouvait côté francophone, Henri Brunschwig, dont le livre majeur sur les mythes de l’impérialisme colonial français a été publié en 1961.Mythes et réalités de l’impérialisme colonial français, 1871-1914, Armand Colin, 1961. Remarquons que ce livre parut un an avant la somme de Raymond Aron, Paix et Guerre entre les Nations (Calmann-Levy, 1962) dont les développements sur l’impérialisme colonial (chapitre IX) rejoignaient celles de Brunschwig.

Côté anglophone, les deux historiens de Cambridge Roland Oliver et John Gallagher, qui eux s’étaient attaqués à « la bête mythique et décrépite de l’impérialisme économique » (« the decrepit, mythological beast of economic imperialism »). Africa and the Victorians: The Official Mind of Imperialism, Macmillan, 1961.

Plus précisément, à propos de l’Afrique, les débats de l’époque tournaient autour de la conférence de Berlin, le scramble et le partage de l’Afrique…et un dialogue s’était établi entre historiens spécialistes européens. En témoigne l’avant-propos d’Henri Wesseling dans sa synthèse sur le partage de l’Afrique, 1880-1914, publiée en 1991 chez Denoël.

Troisième thème majeur de la réflexion historique de l’africanisme, enfin, celui des « intermédiaires » des élites, de la tradition et de la modernité. Il était au centre des séminaires d’Henri Brunschwig à l’EHESS et lui a inspiré un de ses derniers livres, Noirs et Blancs dans l’Afrique noire française ou comment le colonisé devient colonisateur. Noirs et Blancs dans l’Afrique noire française ou comment le colonisé devient colonisateur. Flammarion, 1983. Le dernier livre de Brunschwig parut en 1988, un an avant sa mort, L’Afrique noire au temps de l’impérialisme français, chez Denoël..
Ce qui me fait remarquer qu’on pourrait dans une certaine mesure en faire un précurseur des subaltern studies… La question m’intéressait d’autant plus qu’un remarquable acteur sur la scène locale en AOF pendant la Première guerre mondiale était un interprète, Wangrin, rendu célèbre par le fameux roman d’Amadou Hampaté Ba L’étrange destin de Wangrin, 1ère édition, 1973. Amadou Hampaté Ba révéla à son exécutrice testamentaire littéraire, Hélène Heckmann, la véritable identité de Wangrin en 1994 dans les annexes de l’édition de son célèbre livre Oui mon commandant (Actes Sud)., et que les interprètes étaient au centre de la typologie dégagée par Henri Brunschwig dans son séminaire.
Une thèse d’État était alors une entreprise de longue haleine, d’une écriture au crayon et à la gomme… qui durèrent dix ans avant d’aboutir en 1979. Ma soutenance de ma thèse de « 3e cycle » sur la Mission Marchand avait eu lieu en novembre 1968 (éditée en 1972) avec équivalence de « thèse complémentaire », alors nécessaire, à la thèse d’Etat. La soutenance de celle-ci eut lieu en juin en 1980 ; elle éditée en 1982 par les Publications de la Sorbonne sous le titre L’Appel à l’Afrique, Contributions et réactions à l’effort de guerre en AOF, 1914-1919.

Je laisse de côté bien d’autres aspects qui sont apparus au cours de la recherche qui relevaient de problématiques sur la guerre en Europe, (violence et désobéissance), en apparence plus éloignées, en particulier de celles des historiens de la Grande Guerre, autour de JJ Becker et de Jay Winter, bien improprement qualifiés d’« Ecole de Péronne » Au passage, remarquons que l’Historial a été créé en 1992, mais le projet remonte à 1986.
Finalement, même si on peut la juger trop ambitieuse, c’est une tentative d’histoire totale que autour d’un thème central que j’ai entrepris. Réussie ou non, on peut lui reconnaître qu’elle a eu un caractère pionnier animé par un désir de compréhension.

Conclusion : le passage de relais

Il est normal qu’un travail entamé il y a presque un demi-siècle ait fait l’objet de renouvellements, de ré-orientations ou d’élargissements. Risquant d’être juge et partie, je ne saurai vraiment juger ces renouvellements. Je n’en indiquerai ici que quelques uns.
Parmi les élargissements, cependant, l’un d’entre eux a été exploité, voire surexploité, celui des représentations et de la mémoire. Une des premières manifestations en a été l’exposition de 1996, à Péronne, que dont le catalogue est paru en 1996 également sous le titre Mémoires d’outre-mer, les colonies et la Première Guerre mondiale. Depuis on ne compte plus les publications sur ce thème, en particulier d’Antoine Champaut et Eric Deroo. Il n’en reste pas moins que l’analyse d’images peut être encore poussée au-delà de la célébration mémorielle pour mieux en cerner sa production, ses objectifs et son public.
Depuis quelques années, ces élargissements peuvent se lire aussi à travers la multiplication des manifestations commémoratives et des associations mémorielles. Une étude systématique du phénomène de « mémorialisation » du phénomène serait à faire. Pour le moment, je signale seulement qu’un chercheur franco-sénégalais, Cheikh Sakho, achève sa thèse à Reims sur ce phénomène qui fait l’objet d’un véritable revivalism et le dédiés aux soldats noirs en France et en Afrique.Mémoire d’airain et de pierre, représentations et célébrations des tirailleurs africains , thèse sous la direction du professeur Philippe Buton, Université de Reims, soutenance prévue en décembre 2016.
D’autres pistes ont été exploitées par les chercheurs, surtout américains, en particulier la question raciale pendant la Grande Guerre Richard Fogarty. Richard Fogarty, Race & War un France, Colonial Subjects in the French Army, 1914-1918, John Hopkins University Press, 2008.

Son travail a pris le relais du livre majeur de Christian Koller sur l’utilisation des troupes coloniales en Europe, publié en 2001, non traduit de l’allemand. Christian Koller, « Von Wilden aller Rassen niedergemetzelt », Die Diskussion um die Verwendung von Kolonialtruppen in Europa zwischen Rassimus Kolonial und Militärpolitik, 1914, -1930, Stuttgart, F. Steiner, 2001.
De toute manière, cette lacune sera comblée par le livre de Dick Van Galen Last. Au colloque de Reims en 2012, Richard Fogarty, s’est engagé dans une recherche sur les Prisonniers de Guerre du fameux camp de Zossen en Allemagne sur lesquels  il n’existait à ce sujet qu’un article de Janos Riesz; il en livré les prémisses dans le colloque sur les Troupes coloniales. Par contre, on manque de travaux comparatifs avec les autres armées coloniales, surtout avec les troupes coloniales britanniques beaucoup plus nombreuses.

Autre élargissement à souligner, cette fois dans le temps, avec la très remarquable étude de Gregory Mann sur les Anciens Combattants au Soudan français.Gregory Mann, Native Sons, West African Veterans and France in the Twentieth Century, Duke University Press, 2006.. Son livre, modèle de micro-histoire enserré dans la « grande » Histoire, est centré sur Soudan et, plus précisément, sur la ville de San; il invite à des comparaisons, non seulement avec les autres colonies françaises de l’époque, mais aussi avec les colonies britanniques où des problèmes de réinsertion de veterans se posèrent aussi. Elargissements aussi dans le temps par les prolongements dans la Seconde Guerre mondiale des dont les jalons sont posés par d’autres équipes de chercheurs. Exemples : Raffael Scheck, Une saison noire. Les massacres de tirailleurs sénégalais, mai-juin 1940, Taillandier, 2006, Julien Fargettas, Les Tirailleurs sénégalais, Les soldats noirs entre légendes et réalités, 1939-1945, Taillandier, 2012.
L’histoire est faite par des acteurs dont il faut repérer les réseaux d’influence, les intentions et l’action. La Force Noire a fait couler beaucoup de sang et son inventeur beaucoup d’encre. Tout n’est pas dit cependant sur Mangin comme l’a montré Julie d’Andurain dans le même colloque cité plus de Reims haut
Donc, une recherche très vivante. Mais il existe encore des pistes à explorer. Par exemple, on manque de monographies faisant la part belle aux aspects économiques et sociaux, voire sociétaux pour parler « moderne », et surtout religieux. A ce sujet, il faut souligner que l’exploration des archives des congrégations missionnaires et des sociétés protestantes pendant la Première Guerre mondiale n’a pas été faite. Quant aux monographies, ce serait à des chercheurs africains de prendre le relais d’autant plus que le matériel existe, les archives restées sur place à Dakar, Abidjan ou Bamako et les mémoires locales loin d’avoir été épuisées. C’est ce vœu qu’un relais soit pris par les chercheurs africains qu’il faut maintenant émettre.

Marc MICHEL
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Résumé

Cet exposé est le résumé organisé, si tant est qu’on puisse le faire, d’un itinéraire de recherche de près d’un demi-siècle sur le sujet des Africains dans la Première Guerre mondiale. Il souligne le point de départ à partir de l’ouverture des archives aux cours des années 1960 et des grandes problématiques de l’époque, impérialisme, résistances, intermédiaires , élites, modernité et tradition. On montrera ensuite les articulations entre les dimensions militaire, politiques, économiques et sociales du sujet et les principaux apports de la recherches. Pour terminer les pistes ouvertes et plus ou moins explorées, les élargissements possibles d’histoire locale et d’histoire comparative