La question est provocante mais elle a résonné dans plus d’un conseil de classe de Terminale ce trimestre. La publication des résultats des épreuves de spécialité (EDS) le 12 avril a confirmé l’hétérogénéité de notation d’une spécialité à une autre. Les écarts, fréquemment en notre défaveur, peuvent aller jusqu’à plusieurs points. Quelles en seront les répercussions ? Doit-on s’adapter ?
Des résultats passables aux épreuves écrites de mars 2023
Selon nos informations, nos résultats en HGGSP sont globalement passables, en dessous de la barre des 12 et donc de la mention « assez bien », dans plusieurs académies. D’autres disciplines, comme les SES ou les Mathématiques, ont facilement deux à trois points de plus.
Certes, de telles disparités existent depuis longtemps mais l’ancien baccalauréat ne posait pas le problème dans les mêmes termes : si une discipline donnée était plus clémente qu’une autre, cela bénéficiait à l’ensemble des candidats de la série. Ici, la réforme de l’examen met sur le même plan et pour un même diplôme, des parcours où un 14 n’aura pas la même valeur d’une spécialité à l’autre.
Par conséquent, les taux d’échec à l’examen final comme celui de l’attribution des mentions varieront selon les spécialités. En toute logique, avec des résultats passables, nos élèves auront moins accès aux mentions, leurs enseignants seront plus souvent convoqués à l’oral de rattrapage et ainsi de suite.
Verdict le 04 juillet.
Des incidences sur Parcoursup
Du fait du Covid, 2023 a été la première année normale d’application de la réforme, si bien que les notes des EDS ont été intégrées à Parcoursup.
On touche là au cœur de la réforme de Jean-Michel Blanquer : il suffit de se replonger dans le rapport Mathiot de 2018 pour s’en convaincre. Le baccalauréat devait participer activement au tri des candidatures.
Rien qu’à Sciences Po Paris, les notes du baccalauréat comptent pour 25% du processus d’admission. Dans les autres filières sélectives, il est évident que les notes ont été scrutées au même titre que celles obtenues aux épreuves anticipées de Français. Faute de transparence sur la réalité des résultats au baccalauréat, l’enseignement supérieur ne connaît pas les performances propres à chaque enseignement. Les seuls éléments de contexte proviendront des données fournies par l’établissement (contrôle continu, appréciations des professeurs, etc.), lesquelles ne sont pas sans limites.
La menace de la diminution des effectifs en Histoire-Géographie-Géopolitique-Sciences politiques
Entre la perte relative de performance à l’examen et sur Parcoursup pour la spécialité HGGSP, comment réagiront les familles et les élèves ?
En premier lieu, les prochains arbitrages au moment de choisir les « triplettes » de spécialité en Seconde et les « doublettes » en Première risquent de nous être défavorables. Les concepteurs de la réforme avaient parié sur une ventilation par affinité : l’élève irait vers ce qu’il aime et ce vers quoi il se destine plus tard. Dans la réalité, ledit élève calcule aussi les efforts à fournir. Sur ce terrain, même si notre programme est très stimulant, nous attendons un volume d’apprentissages conséquent. Si le résultat au baccalauréat n’est pas proportionné à l’effort : comment réagiront les élèves ? Si l’on ajoute que peu de filières du Supérieur ne restreignent leur accès à telle ou telle spécialité, il n’y a aucun argument contraignant à suivre l’HGGSP, même pour ensuite demander une licence en histoire ou en sciences politiques.
À brève échéance, l’HGGSP paraît condamnée à perdre des élèves.
D’ailleurs, si l’association a tardé avant d’évoquer le problème, c’était précisément pour se laisser le temps de mesurer les conséquences sur les choix d’orientation opérés par les élèves de Seconde et de Première dès cette année. Les retours de nos adhérents confirment nos craintes. Nos effectifs baisseront à la rentrée prochaine.
Une notation en rapport avec la qualité des copies corrigées
Dans les conseils de classe du troisième trimestre, si les représentants des parents ont pu exprimer leur étonnement sur la sévérité apparente des notes, ils ont néanmoins reconnu que nos appréciations, étayées, ne montraient aucun désinvestissement des correcteurs. On n’en doutait pas mais c’est quand même mieux quand des familles le reconnaissent. Il est tellement commode aujourd’hui de remettre en cause notre professionnalisme. Le problème n’est donc pas à chercher du côté des professeurs qui, dans la pratique, ont déjà adapté leurs exigences. Très rares sont ceux qui évaluent comme ils le faisaient en début de carrière, ou comme ils ont été évalués eux-mêmes pendant leur scolarité.
Sur le fond, que dire de ce cru 2023 ?
Si les notes ne sont pas formidables, c’est parce que les copies ne le sont pas, tout simplement. Les échanges sur Santorin entre les correcteurs vont tous dans le même sens. Les compositions sont mal bâties, les connaissances vagues et les raisonnements limités. Quant à la langue, il est devenu rare d’avoir une copie rédigée dans un français correct. Cela ne fait pas plaisir de le dire mais les compositions des élèves montrent une maîtrise partielle des attendus.
Sur un autre plan, tous les classements internationaux confirment régulièrement dans quel piteux état de délabrement notre système éducatif est tombé. Il n’est donc pas surprenant que les résultats s’en ressentent. Dans l’immédiat, le problème n’est pas le thermomètre et la solution ne viendra pas d’une énième formation des enseignants sur l’art de transformer les citrouilles en carrosses.
Quels aménagements restent possibles en HGGSP ?
La question du barème
Concession faite aux adeptes du thermomètre, quelques menus aménagements permettraient de limiter la casse. On pourrait commencer par supprimer cette règle de la notation par exercice, au profit de la note globale. Il y a un aléa sujet, on le sait. Et c’est frustrant pour un correcteur de ne pas pouvoir compenser autant qu’il le voudrait une copie qui a brillé sur un exercice mais a échoué sur l’autre.
On pourrait aussi envisager des bonus plus explicites sur certaines capacités.
Les modifications que nous préconisons ne permettront pas de faire gagner trois points de moyenne globale mais ça nous semble un pas raisonnable. Nous ne sommes pas favorables aux manipulations du type d’un barème sur 22 points qui fait qu’un 14/22 devient un 14/20. Nous nous étions insurgés l’année dernière sur les remontées sauvages de notes de spécialité, ce n’est pas pour les remettre en selle maintenant.
Vers une redéfinition des épreuves ?
Dès lors, on pourrait penser que le principal problème tient au format de l’épreuve. Nous proposons deux exercices exigeants (dissertation, étude critique de document) et sur une durée fort brève de deux heures chacun. Une évolution possible serait de passer à un unique exercice de quatre heures ou de rendre plus facile l’un des deux exercices. En l’espèce, tout peut se discuter.
Toutefois, si les épreuves sont trop redéfinies et qu’elles ramènent au format du bac Chatel, avec une composition-régurgitation du cours, suivi d’une étude de document-paraphrase, on sera en droit de penser que « nous avons tout changé, pour ne rien changer ».
L’association n’est pas favorable à la grande braderie des exigences. Quand la réforme a été lancée, nous étions sensibles à la promesse de revalorisation de l’examen et d’un meilleur continuum bac-3/bac+3. On voit ici dans quel dilemme nous sommes. Dire la réalité d’un niveau au risque de perdre nos élèves ou bien participer au joyeux mouvement de « toutes les copies sont merveilleuses ».
Quelles modifications souhaiter pour le baccalauréat en général ?
Pour une publication transparente des moyennes de chaque spécialité
À court terme, nous sommes favorables à la publication des résultats globaux de chaque spécialité, à l’attention des formations du Supérieur. Celles-ci doivent pouvoir déterminer ce que pèse réellement un 12 ici et un 14 là. C’est un principe de justice et de transparence face à un examen qui dans la pratique, s’est éloigné de sa feuille de route initiale. Nous sommes conscients qu’en faisant cela, nous allons forcément mettre en lumière les moindres performances de notre spécialité et que cela risque de se retourner contre nous.
Mais à choisir, nous ne croyons pas qu’organiser le secret soit d’une quelconque utilité. Il n’est pas tenable d’avoir d’un côté la multiplication des preuves du décrochage du niveau de nos élèves et de l’autre, des examens nationaux qui concluent artificiellement l’inverse.
Pour un pilotage commun de l’ensemble des spécialités
Si nous sommes dans cette situation aujourd’hui, c’est parce que l’harmonisation entre les spécialités a été défaillante. Nous ne savons pas clairement à qui d’ailleurs revient explicitement cette tâche aujourd’hui, entre le Conseil supérieur des programmes, la DGESCO, etc.
Notre crainte est que si la coordination entre les spécialités reste ce qu’elle est, cela incite chaque discipline à jouer sa partition et à privilégier son intérêt immédiat. Sans doute que nos notes augmenteront mais le problème de fond, celui de l’acquisition réelle de connaissances et de compétences par nos élèves, restera non-traité. À la fin, si « tout est beau dans le meilleur des mondes possibles », alors cela n’était vraiment pas nécessaire de placer des épreuves en mars, de dévitaliser tout le troisième trimestre et de prétendre renforcer Parcoursup.
Et si on passait au contrôle continu intégral ?
C’est la solution préconisée régulièrement. Assurément, le contrôle continu dispenserait la nation des dépenses très conséquentes dévolues à l’examen terminal. Mais il faut voir au-delà de la question financière et anticiper les effets d’une telle disparition. Quand il y a une petite brèche dans une digue, l’eau ne s’écoule pas gentiment par le petit trou, elle fait pression sur l’ensemble qui rompt et disparaît totalement.
Premièrement, si les épreuves de spécialité passent au contrôle continu, on voit mal comment la seule Philosophie en juin pourrait survivre et d’ailleurs au nom de quoi elle le ferait. Si la Philosophie est intégrée également au contrôle continu, alors il ne restera plus que le pauvre Français en Première et le …Grand oral de vingt minutes en Terminale. Nous sommes déjà arrivés au point où le contrôle continu pèse pour 40% de la note finale au baccalauréat. La marge de manœuvre est étroite.
Deuxièmement, sans le viseur de l’examen final, il est illusoire de penser que tout rentrera dans l’ordre. Quoi qu’il arrive, Parcoursup sera toujours là. La pression sur les enseignants s’accentuera encore. Il suffit de voir combien en trois ans, toutes les notes du contrôle continu ont déjà augmenté, au point de rendre illisibles les dossiers. En l’état, la préparation à l’examen terminal avec ses devoirs surveillés est le dernier frein à l’inflation continue. Si demain l’épreuve disparaît, ce sera comme pour les mort-nées E3C (Épreuves communes de contrôle continu) en tronc commun : les exercices type Bac seront en voie de disparition tout court. Il ne restera plus que les exposés, les travaux de groupe, etc. On aura cassé le thermomètre (épreuve terminale) mais on aura ainsi tué les étapes intermédiaires qui permettaient aux élèves d’atteindre le niveau requis.
Quelles chances y a-t-il qu’un enseignant s’obstine à préparer des épreuves qui de fait n’existeraient plus et feraient perdre des points de moyenne à ses élèves ? On imagine les conséquences ensuite pour les lycéens, au moment d’affronter les exigences du Supérieur.
« Après nous, le déluge », disait-on en d’autres temps.
En l’état, nous ne sommes pas favorables au renforcement du contrôle continu, et encore moins à sa généralisation.
Le passage en fin d’année de toutes les épreuves terminales
De notre point de vue, si les aménagements nécessaires pour les épreuves de mars ne sont pas possibles, la moins mauvaise des options reste le rétablissement des épreuves terminales en fin d’année. Certes, Parcoursup n’aura pas de nouvelles notes par rapport au bac précédent mais en l’état, non seulement les notes sont peu exploitables mais les épreuves compromettent gravement le bon fonctionnement du lycée. En HGGSP, évaluer en mars sur des exercices comme les nôtres explique en partie pourquoi il est difficile de briller.
Nous souhaitons également l’arrêt des Jours 1 et 2 qui exposent les élèves à deux sujets différents pour une même matière. Mais c’est sûr qu’avec douze spécialités, il faut prévoir plus d’une semaine pour les écrits, c’est-à-dire plus en réalité que du temps du précédent Bac.
Le passage en fin d’année crée toutefois le problème de l’articulation des corrections de l’écrit avec le travail de jury au Grand Oral. Ce n’est pas négligeable. Les professeurs sollicités sont globalement les mêmes pour les deux épreuves. À en juger par la difficulté à constituer des jurys aujourd’hui, on imagine combien le chevauchement des convocations risque de mettre à rude épreuve un système largement grippé. Après sa troisième année d’entrée en vigueur, les services des examens continuent de convoquer des enseignants pour l’écrit, le grand oral, les oraux du second groupe, sans compter les tests Cambridge si le professeur a le malheur d’avoir une certification, alors que d’autres, dans le même temps, peuvent déjà prendre la route des vacances. En rapprochant les échéances, on rapprochera aussi les problèmes.
Par ailleurs, l’examen en fin d’année signifierait vraisemblablement un rallongement du programme de l’écrit, ce qui contraindrait encore la préparation du Grand oral. Peut-être qu’un écrit en mai pourrait alléger la difficulté. Mais on le voit, le troisième trimestre serait irrémédiablement raccourci et avec le risque de conseils de classe du troisième trimestre ou d’épreuves blanches du Grand oral, sans la présence des professeurs en charge des corrections…
Quelle que soit l’option, les effets négatifs seront en cascade, comme du reste le maintien du statu quo. Comme les médecins de Molière, la réforme Blanquer a tué le malade Baccalauréat, a saigné le dernier trimestre du lycée et a crevé les yeux de Parcoursup. Il est à espérer que les aménagements promis ne soient pas l’augure d’un lavement général.
Programme démentiel, épreuves difficiles, la voilà la raison de ces résultats trop faibles et de la désaffection des élèves.
Nous sommes en juin 2024, la SES qui avait un programme déjà bien plus faisable a vu son programme se réduire. En HGGSP, aucune réduction. Les IG d’Histoire-Géographe creusent la tombe de leur propre discipline.