Participants :
Frédérique Neau-Dufour
David Valence
Olivier Wieviorka
Chef de projet du Mémorial De Gaulle à Colombey, membre de la convention de la Fondation Charles de Gaulle et membre du conseil scientifique de la Fondation de la France libre,l’historienne Frédérique Neau-Dufour dirige depuis août 2011 le Centre européen du déporté résistant situé sur le site de l’ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof. Elle a publié la biographie sur Yvonne de Gaulle, et en a consacré une autre à Geneviève de Gaulle-Anthonioz et elle vient de publier La Première Guerre du général de Gaulle (Tallandier, 2013).
Professeur à Sciences-Po, David Valence est directeur-adjoint de la Fondation Charles de Gaulle. Ses recherches portent sur l’histoire de l’état et de l’administration française, et plus spécifiquement sur le rapport des fonctionnaires à l’engagement politique, il est l’auteur d’une thèse sur De Gaulle et les hauts fonctionnaires. D’une République à l’autre (1946-1962).
Membre de l’Institut universitaire de France, rédacteur en chef de la revue XXe Siècle, professeur des Universités à l’École normale supérieure de Cachan, Olivier Wieviorka est un historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, de la France sous l’Occupation et de la résistance française. Il est l’auteur d’une Histoire du Débarquement en Normandie (Le Seuil, 2007), d’une histoire du mouvement de résistance « Défense de la France » (Une certaine idée de la Résistance. Défense de la France, Le Seuil, 1995, réédit. 2010) et d’une histoire politique de la mémoire française de l’Occupation (La Mémoire désunie. Le souvenir politique français des années sombres, de la Libération à nos jours, Le Seuil, 2010). Il vient de publier la première synthèse consacrée à l’histoire de la résistance intérieure française, Histoire de la Résistance 1940-1945, Perrin, 2013.
Cette table ronde est organisée par la fondation Charles De Gaulle. Le sujet, De Gaulle chef de guerre, est immense et les participants sont de grands spécialistes. Il n’était donc pas possible qu’il soit traité de manière exhaustive, voire complète. Si l’ensemble fut effectivement un peu décousu, les quelques points qui ont été développés l’ont été avec talent devant un auditoire très nombreux et passionné.
Compte rendu thématique.
L’enfance de Charles De Gaulle
De Gaulle n’est pas issu d’une famille de militaires, on ne compte aucun militaire parmi ses ancêtres. Sa famille appartenait à la petite noblesse de robe, plutôt intellectuelle. Son choix étonne, d’autant plus qu’il se prononce tôt. Cette vocation militaire a ses racines dans le parcours de son père, Henri De Gaulle. Celui-ci avait en effet préparé Polytechnique et avait dû renoncer pour des raisons familiales, avant de s’engager volontairement dans la Garde mobile lors de la guerre de 1870, et de participer aux combats de défense de Paris, en particulier au combat du Bourget. Professeur d’histoire, Henri De Gaulle à raconté à son fils cette guerre, et emmené ses enfants sur les lieux de bataille. Le thème de l’épée brisée qui se trouve à plusieurs reprises dans les écrits du général De Gaulle, rappelle l’épée brisée sculptée sur le monument du Bourget.
De Gaulle n’a pas été formé à rentrer dans un moule. Henri De Gaulle veillait à respecter la personnalité de chacun, son élève Georges Bernanos en a témoigné. On peut observer également que la famille était dreyfusarde, ce qui, dans ce milieu social, ne relève pas du conformisme.
De Gaulle à Saint-Cyr
En 1909, à l’époque où De Gaulle y entre, Saint-Cyr est fréquentée par l’élite sociale qui y apprend le latin et l’allemand, la langue de l’ennemi. De Gaulleconnaît bien la culture allemande, il a voyagé en Allemagne en 1908 et s’y est intéressé à la mémoire des combats de 1870. Il est entré à Saint-Cyr par passion, il rêve de la guerre. À 15 ans, il a écrit un récit, Campagne d’Allemagne, où il se présente comme le général de Gaulle, écrivant à la troisième personne, et se voyant déjà très bien en chef de guerre. Il suit des cours de stratégie, de sport, de cavalerie (qu’il n’aime pas) ; il fait le choix de l’infanterie. On note dans son dossier qu’il est un très bon élève et qu’il sera un excellent officier. Ses camarades à Saint-Cyr le surnomment « Le Connétable » ou « La grande asperge ». Dans l’entre-deux-guerres, un supérieur dénote chez lui le tempérament hautain d’un roi en exil.
De Gaulle et la Grande Guerre
Il y a peu d’études sur De Gaulle et la Première Guerre mondiale, d’où l’intérêt de celle que vient de faire paraître Frédérique Neau-Dufour. Les raisons en sont multiples. Chez les gaullistes historiques, c’est un sujet tabou car De Gaulle a été prisonnier, ce qui ne colle pas à l’image du rebelle. De Gaulle a très peu parlé de sa Première Guerre mondiale, et s’il l’a évoqué pendant l’entre-deux-guerres, c’est comme historien et non pas comme acteur. Enfin la Première Guerre apparaît dans la vie du général De Gaulle comme un événement mineur par rapport à l’immensité de son rôle postérieur. Mais pour lui-même, elle est un moment déterminant de son destin.Blessé en août 1914, il est fait prisonnier en 1916, comme 500 000 autres soldats durant cette guerre. Pendant sa captivité, son goût de l’enseignement se manifeste et il donne des cours. Il est douloureusement frustré d’être prisonnier. Il s’évade cinq fois, mais il est à chaque fois repris pour au moins trois raisons : il parle l’allemand avec un fort accent, il se fait à chaque fois repérer car il mesure 1 m 92, enfin il manque de chance. Il lit énormément, des auteurs classiques et des auteurs militaires. La lecture de l’ouvrage du général Friedrich von Bernhardi, L’Allemagne et la prochaine guerre, le fait réfléchir, analyser les combats auxquels il a participé, avec une compassion de plus en plus grande (compassion dont il ne fait pas preuve en tant que chef au combat). Sa réflexion est prospective et, de 1918 à 1940, il y a une grande continuité dans sa logique intellectuelle.
De Gaulle et la guerre
De Gaulle est un officier atypique : il n’aime pas la guerre, à la différence de Churchill, et il défend la suprématie du politique sur le militaire. Il est néanmoins un officier très courageux qui n’a pas peur de la mort. Il fait preuve d’une réelle distanciation par rapport à la guerre mais il n’est pas insensible. Devant Geneviève de Gaulle qui lui raconte sa déportation, il pleure et lui dit que la Première Guerre mondiale lui a « laminé l’âme ». Il confiera en 1946 à Claude Guy, son aide de camp : « La guerre c’est terrible, mais la paix c’est assommant ! ». Il pense que la guerre est la circonstance exceptionnelle qui permet l’irruption du grand homme (sans la Grande Guerre Pétain serait sans doute resté un petit général) mais il ne pense pas que la guerre soit bonne pour les peuples et permette l’élimination des faibles.
Dès la fin de la Première Guerre mondiale, il renonce à la bataille des fantassins et réfléchit à la spécialisation. Sa réflexion sur l’outil blindé est menée parallèlement à celle sur la professionnalisation de l’armée. Lorsqu’il prend la défense de l’arme blindée, dont il n’est évidemment pas l’inventeur, il adopte une position iconoclaste dans une armée qui est toujours dans une logique défensive. On a retrouvé son ouvrage annoté par Guderian. Ce qu’il n’a pas vu c’est l’articulation des blindés avec les avions.
Il faut insister sur son rôle au sein du secrétariat supérieur de la Défense nationale de 1932 à 1937. Il y rencontre les ministres de la Défense nationale, il se forme alors aux milieux politiques et il a une place dans l’appareil d’État et dans les institutions de la Défense. Il a des occasions institutionnelles de faire passer ses idées, et c’est dans ce contexte qu’il faut comprendre ses démarches vers Blum, Déat, Raynaud, pour défendre la création de corps blindés.
De Gaulle et les militaires
Il est convaincu que dans une guerre moderne, si les militaires conduisent la guerre, la défaite est assurée et il a toujours soutenu aux militaires que la guerre devait avoir une conduite civile. C’est un officier atypique, mais qui à lu Clausewitz, et jamais il ne déviera de cette voie. Le pouvoir militaire doit toujours obéir au pouvoir civil, sa dureté à l’égard des militaires en Algérie est fonction de cette conviction. De son point de vue, il y a un problème d’autorité du pouvoir civil sur le pouvoir militaire en Algérie : ce sont les militaires qui ont pris l’initiative de s’emparer de l’avion de Ben Bella, ce sont eux qui ont pris l’initiative du bombardement de Sakhiet. Guy Mollet, Félix Gaillard, Robert Lacoste ont appris les événements après-coup. Mais De Gaulle lui-même aura du mal à se faire obéir des militaires : il donne par exemple l’ordre de ne plus recruter de Harkis en juin 1958, et les militaires en recrutèrent jusqu’au début de 1961.
Quelques observation sur De Gaulle et la marine
Il n’aime pas la marine. L’amiral Muselier est l’un des premiers à le rejoindre, et c’est lui qui invente le pavillon à croix de Lorraine. C’est un homme de gauche, à la réputation sulfureuse, qui réclame un fonctionnement plus démocratique de la France libre, et avec lequel De Gaulle va rompre rapidement. La marine est politiquement très à droite, pétainiste. Nombreux sont les officiers qui, même après 1943, conservent avec eux la photo du maréchal Pétain. La marine marchande va néanmoins jouer un grand rôle dans la France libre. Son fils sengage dans les Forces navales françaises libres et décide de faire carrière dans la marine. De Gaulle n’est pas d’accord, il aurait préféré qu’il fasse du droit !
1940 : Maintenir la France dans la Guerre
L’appel du 18 juin 1940 et un message strictement militaire qui s’inscrit dans une logique de guerre. De Gaulle aurait pu s’inscrire dans une logique politique, en affirmant par exemple reprendre le flambeau de la démocratie face au totalitarisme. Il n’a pas choisi cette voie. Il considère que la France risque de disparaître, que Pétain la retire du conflit. Le crime de Pétain, c’est l’armistice, tout le reste en découle.
Pour maintenir la France il faut construire un État, car la nation procède de l’État. Pour qu’il existe, cet État doit avoir une administration, une armée, un empire. D’où l’appel à le rejoindre pour constituer une armée et l’horrible déception devant le peu de volontaires. Il pense qu’il est capital d’avoir des troupes et il ne mesure donc pas ce qu’est la résistance, à la différence de Churchill qui envisage immédiatement une guerre subversive en créant le Special Operations Executive. Par contre De Gaulle s’intéresse au renseignement, crée un service de renseignement, et fait de ces renseignements une monnaie d’échange tangible avec les Britanniques. Quand Jean Moulin l’informe sur les réalités de la résistance intérieure, il lui montre qu’elle pourrait avoir un rôle militaire, c’est l’expression fameuse utilisée plus tard « des parachutistes déjà sur place ». Cette force armée intérieure pourrait le légitimer, et s’il n’en prend pas la tête, elle pourrait se développer sans lui, voir contre lui.
«Giraud n’est qu’un militaire, de plus il est stupide et obtus et fait le désespoir de Jean Monnet, son conseiller politique » (OW). De Gaulle lui est un politique, mais c’est aussi un chef de guerre. La conscription dans les territoires libérés d’Afrique du Nord permet de lever des unités qui vont combattre en Italie puis en Provence. Les effectifs ne seront jamais considérables : 300 000 en 1943, 500 000 à 600 000 en 1945, comparé aux 4,5 millions de Britanniques et aux 89 divisions américaines. Mais désormais l’armée française existe, et il faut souligner le rôle important de De Lattre de Tassigny.
1944 : Assurer l’indépendance nationale
Chef politique, De Gaulle entend ne rien céder sur l’indépendance nationale. La résistance doit intervenir en appliquant les plans stratégiques des Alliés et aussi par une insurrection nationale, mais qui devra être brève et coordonnée avec la progression des forces alliées. La France doit se libérer par elle-même, d’où sa volonté de faire entrer les Français à Paris et de ne pas reculer à Strasbourg.
Dans la France libérée les trois préoccupations premières de De Gaulle sont d’éviter l’AMGOT (Allied Military Government of Occupied Territories), d’éviter les communistes et d’éviter l’anarchie. Il parvient à circonscrire les risques successivement. Il est faux de dire que les Américains voulaient placer la France sous une administration militaire car la France n’est pas considérée comme un territoire occupé (OT) mais comme un territoire libéré. De Gaulle l’a-t-il véritablement cru ou a-t-il simulé la crainte ? Il est vrai que les Alliés ont battu monnaie et De Gaulle a réagi habilement en affirmant que la France ne garantirait pas les billets. Il a également envoyé discrètement des administrateurs en Normandie, les chefs militaires alliés n’y ont pas prêté attention, et ainsi s’est installée une administration française à laquelle les citoyens français obéirent. Constatant l’efficacité du système, Eisenhower a laissé faire. Il s’est en quelque sorte rendu à l’évidence, mais pour une reconnaissance officielle du GPRF, il faudra attendre octobre 1944.