La grande guerre face à sa commémoration A Prost
Antoine Prost, dont la carrière a été évoquée dans la présentation, débute sa conférence en témoignant en tant que président de la commission scientifique de la mission du centenaire. La principale fonction de cette commission est de valider les projets commémoratifs venus de toute la France pour leur délivrer le label « centenaire » ou non. Le grand nombre de projets déjà évalués, 1200, venus de tous les horizons, permet de dégager ce que les collectivités locales et les associations entendent donner à cette commémoration. En creux, nous pouvons voir aussi ce qui est mis de côté, voire occulté.
La Grande Guerre est avant tout une épreuve
Les projets parvenus à la commission, viennent de toute la France, outremer compris. L’événement ne concerne pas seulement le Nord et l’Est du pays. Il s’agit bien d’une commémoration nationale et non une célébration (NDR pas comme en 1989). La Grande Guerre est ressentie comme une épreuve pour la société toute entière. Les projets les plus courants sollicitent la mémoire du passé local, ils sont du type (lieu X) , ses habitants pendant la G Guerre. C’est l’histoire des hommes et des femmes pendant cette période. Les projets se veulent entrepreneurs de mémoire collective. Ils témoignent d’un nous citoyen, et surtout civil. Ce n’est pas une mémoire militaire, mais celle d’une épreuve, qui d’abord prend la forme du deuil. Le monument aux morts devient souvent le point d’ancrage principal de ces projets. Une nouvelle forme de piété se met en place, on cherche à réhumaniser les stèles froides « le monument aux morts se met à parler ». Autre passage obligé, les lettres, moyen simple de créer une empathie. Des projets scolaires proposent d’écrire les lettres qu’un poilu aurait aimé recevoir, l’un étant intitulé, « notre vie, en attendant vos lettres».
Mais ce courant porteur laisse de nombreux angles morts. Le plus significatif en 2013 : le travail ouvrier est absent, même dans des communes au caractère et à la longue tradition industriels. Il faut signaler le caractère incomplet donné au mot épreuve, il s’agit surtout de celle qu’on subit, pas de celle qui permet de se réaliser. Il n’est pas question de la mobilisation pour vaincre, de l’engagement. On endure quelque chose, on y prend pas part.
Le caractère mondial est très atténué
Les projets étant très marqué par le local, le caractère mondial tend à passer au second plan, voire être oublié. On compte certes un beau nombre de projets intégrant les communes jumelées, du type « la Grande Guerre chez nous, chez vous ». À cette date, aucun projet n’envisage la guerre à l’horizon mondial. Il faut donc rappeler que ce n’est pas un évènement uniquement franco-français.
En ce qui concerne les relations franco allemandes, le centenaire serait placé sous le signe de la réconciliation franco-allemande, processus désormais intégré depuis 30 ans avec la poignée de main Mitterrand-Kohl à Verdun en 1984. Nous en sommes plus avec une rhétorique du type « bataille où l’on a arrêté la ruée allemande » au frontispice des bâtiments inaugurés à Verdun en 1966. Mais déjà, dans les années 20 la Grande Guerre ne devait pas être enseignée par les instituteurs comme étant l’aboutissement de la revanche, mais comme étant la « défense de la patrie et de l’amour de l’humanité ».
Mais il ne faut pas oublier que les 2/3 des tués ne sont ni allemands ni français… La présence des alliés, leur engagement, serbes, austo-hongrois, anglais, russes, ANZAC, italiens, etc. Il se pose aussi la question des nations, nées au cours du XXe siècle, commémorant demain la Grande guerre, qui ne sont pas celles qui ont y ont participé.
Antoine Prost dénonce un travers, une distorsion, consistant à faire de la Grande guerre le premier épisode d’une guerre de trente ans. En 1928, l’Allemagne a rejoint le concert des nations. Selon lui, il n’y a pas de nécessité historique, pas de déterminisme reliant le premier et le second conflit mondial. En acceptant ce point, on exagère l’importance du traité de Versailles et l’on dédouane Hitler de ses responsabilités.
Les états en guerre, une dimension politique passée sous silence Point majeur absent : La guerre est surtout une épreuve pour les états. Le discours politique du
début du XXe siècle est empreint de darwinisme social, indispensable au progrès de la société. Les états doivent faire la guerre, doivent être capables de la gagner pour exister. (Friedrich von Bernhardi : Seules les nations victorieuses ont le droit de vivre)
La Grande guerre est une sorte d’ordalie, elle a été fatale aux empires centraux. Mener une guerre nécessite un état fort. Marcel Sembat le craint dans son pamphlet de 1913 « faites un roi sinon la paix ». Aux premiers jours de la guerre les militaires prennent opportunément la direction de l’état, les chambres sont suspendues, l’état de siège est imposé sur tout le territoire, les préfets reçoivent des ordres des généraux, mais comme les crédits militaires n’avaient été votés que pour six mois, les
politiques reconquièrent peu à peu la direction de l’état. Les députés arrivent à imposer les permissions, et le gouvernement nomme et révoque les chefs militaires. En France le gouvernement civil a été capable de diriger l’effort de guerre tout en maintenant un certain niveau de vie de la population.
En Allemagne, l’État-major s’est imposé politiquement. Les militaires ont eu la mainmise sur l’économie, la production et les transports, à la longue, en ont étés désorganisés, le marché noir s’étant généralisé, même l’armée dut composer avec les trafiquants. La faillite de l’état se traduit par déroute du front intérieur.
Puissance et légitimité des états en cause
L’exemple anglais peut prouver que sa parole seule d’un état peut suffire. 2,5 millions de volontaires britanniques se sont enrôlés… jusqu’en 1916. L’évolution est d’ailleurs significative. Les sacrifices massifs des premiers mois de guerre sont de plus en plus pesants… et insupportables au fil du temps.
L’état a-t-il le droit de faire mourir autant d’hommes jeunes ? Le oui inconditionnel de 1914 connait vite un beau nombre de réserves. Rapidement va s’exprimer le refus des morts inutiles, de mourir pour un communiqué ou de se faire tuer en pure perte.
En ce qui concerne les fusillés pour l’exemple, les soldats (français ?) n’approuvent pas l’abandon de poste, ils refusent, en revanche, les procédures bâclées qui ne ressemblent en rien à des procès « les chefs n’ont pas le droit de faire ça comme ça ». Ce sentiment est la preuve d’une identité citoyenne de ces soldats. L’état le reconnait d’ailleurs, les pensions d’ancien combattant ne sont pas une récompense, c’est une mesure de réparation d’un préjudice.
La légitimation de la guerre va de pair avec celle des états qui le conduisent. Des deux côtés, diplomatie secrète aidant, les buts de guerre ne sont pas explicites. La défense de la nation est un moteur puissant. Mais les belligérants entourent d’un grand flou leurs objectifs. Les soldats, de tout bord n’acceptent pas de mener une guerre de conquête. La France n’a pas laissé filtrer quoique ce soit pendant le conflit.
La paix de Brest-Litovsk eut un effet désastreux sur le moral des troupes allemandes, le voile expansionniste était tombé à cette occasion alors qu’ils « défendaient le Rhin en avant » dans la Somme.
Les révolutions de 1917-18, ne sont que l’aboutissement de la perte de légitimité d’états qui ne peuvent plus subvenir aux besoins de leur population.
A ce seuil marqué par les peuples s’ajoute la création de la SDN, organisation internationale, qui limite les excès internationaux des États.
Née des nationalismes, la Grande Guerre ne les a pas fait disparaitre, mais elle a fait se rendre compte qu’il fallait absolument leur donner des limites à ne pas franchir…
Fin de la conférence, sous les applaudissements… bravo papy Prost