Les lève-tôt de ce vendredi 11 octobre 2013 auront pu assister à un débat ô combien d’actualité : Que devient l’histoire mémorielle ?
La chronique de Brice Couturier revient sur le parcours de Pierre Nora pour en souligner le paradoxe fondateur : comment assumer le passage d’une mise en valeur de l’histoire mémorielle à la position actuelle de l’historien qui semble faire volte-face en pointant du doigt les dangers d’un mouvement qu’il a largement contribué à créer ?
Pierre Nora prend longuement la parole en retraçant l’évolution de sa pensée depuis le début des années soixante-dix ; il prend comme point de départ une anecdote qui l’a marquée en 1971 quand il a vu le président Pompidou se présenter devant le mur des Fédérés de la Commune. Pour lui ce fut la révélation de l’incorporation de la classe ouvrière dans la Nation.
Chacun pouvait alors dans cette République trouver sa place publique sans perdre son identité ou sans être obligé de la taire.
Pierre Nora y a vu un immense potentiel de libération des forces vives de la Nation dans leur participation à la construction de la République.
Brice Couturier l’interpelle à nouveau sur sa responsabilité dans la dérive identitaire qui justement délite le lien qui tenait ensemble les fils et les filles de la République
Pierre Nora en est conscient et la combat, entre autres les langues régionales expressions légitimes des cultures régionales qui exigent que l’article 1 de la Constitution soit modifié et que le français ne soit plus considéré comme la seule langue nationale.
Cette dérive s’explique selon lui par la disparition des grands blocs idéologiques de l’après-guerre, gaullisme et communisme qui ont construit 2 romans nationaux parallèles ayant su dépasser la catastrophe de la débâcle de 40 en redonnant à la France l’illusion de sa grandeur dans le monde.
Même si les historiens ont en général peu d’influence sur la vie politique, Pierre Nora rappelle le fait que les principaux « fossoyeurs » du mythe communiste ont été des historiens (Robrieux, et son Maurice Thorez, par exemple). Depuis, la politique française s’est morcelée et est incapable de donner une vision cohérente de ce que pourrait être la République ; à la question de Marc Voinchet sur la montée du FN , qui se traduit par la désaffection grandissante vis à vis des partis traditionnels, Pierre Nora insiste sur le fait que le FN risque en France comme les partis d’extrême droite européens de nous faire passer « un sale quart d’heure ». Cela ne permet pas néanmoins de faire de ce parti une sorte de relève des grands mouvements politiques historiques de l’après-guerre.
A la question sur la Maison de l’Histoire de France, Pierre Nora pense que si l’abandon du projet Sarkozy, fondé sur des calculs électoralistes était souhaitable, François Hollande aurait dû reconstruire ce projet sur la base d’un musée numérique ouvert à n’importe qui dans le monde. Ainsi les salles du Palais de Versailles, d’une très grande richesse muséographique, mais inaccessibles au public depuis longtemps, faute de moyens financiers, gagneraient bien évidemment à être numérisées…