Conférence d’Yves Roman professeur à l’Université de Lyon II, le 10 octobre 2013, à Blois.

MARC-AURELE, EMPEREUR PARADOXAL.

I Un Prince réformateur.
Adopté par Antonin, sur conseil de l’empereur Hadrien en 138 ap. J., Marc Aurèle deviendra empereur en 161. Il mourra à 56 ans, épuisé par l’exercice du pouvoir ou empoisonné par son successeur Commode, en 180. Marc-Aurèle, empereur philosophe, tentera sa vie durant de mettre en œuvre les exercices spirituels qui seront consignés par écrits et dont on ne retrouvera la trace, après une longue période de silence, voire d’ignorance totale, qu’au Xème siècle. Ce que l’on intitulera faute de mieux, Ecrits pour moi-même, est en fait à lire comme une série d’exercices de renonciation et de conformation entre vie réelle et vie philosophique.
Animé toute sa vie durant par l’ascèse du stoïcisme, il fera en sorte de concilier sa charge de princeps, avec ses convictions personnelles. C’est ainsi qu’au rebours de son prédécesseur Hadrien qui mettait en œuvre des réformes autoritaires, voire brutales, Marc-Aurèle procédera par touches successives de sorte à réformer sans violence, ni coercition. Sans rentrer dans le détail et pour se cantonner à l’aspect militaire (imperator) de sa charge, il saura s’entourer de citoyens de petite noblesse (essentiellement des chevaliers equites) et de juristes professionnels pour réformer et renforcer une armée romaine souvent plus encline à l’indiscipline que ce que l’imagerie historique actuelle véhicule. Il s’attirera ainsi l’hostilité sourde ou déclarée de la classe sénatoriale dont la formation militaire était plus que fragile.

II Un stoïcien guerrier :
L’un des paradoxes du règne de Marc-Aurèle, et pas des moindres, c’est qu’il n’aura passé que peu de temps à Rome. Pour le reste, entre calamités naturelles (inondations), épidémies de peste, problèmes politiques et religieux (avec les chrétiens surtout), et surtout campagnes militaires, sa vie aura été vagabonde et essentiellement guerrière.
Dès lors, il a dû en permanence se régler sur ses convictions pour que la pax romana chancelante reste la norme de la conception romaine du monde. En bon stoïcien, en bon prince aussi, l’ordre qu’il est chargé de préserver, se situe au carrefour de la citoyenneté dans le monde et l’humanité dans le cosmos. Ses convictions vont l’amener constamment à être ce pour quoi il était destiné : un empereur et un commandant en chef.
De fait, cet empereur qui chercha toute sa vie à rendre le monde plus juste, fut un chef sans merci pour ses ennemis et un philosophe impitoyable pour les chrétiens (persécution de Lyon en 177). Ses convictions vont l’amener constamment à être ce pour quoi il était destiné : un empereur et un commandant en chef. De même qu’il exhorte dans ses écrits tous les hommes à accepter leur condition et à accomplir leur destinée le mieux possible.

III Une vie en campagnes :
Les campagnes de Marc-Aurèle vont essentiellement se concentrer sur deux fronts : l’Asie, et le Danube.
En Asie, l’enjeu sera de toujours tenir à distance le puissant empire parthe, en menant une politique de vassalisation incessante du royaume d’Arménie (dont la superficie est sans commune mesure avec celle de l’état actuel). Ainsi au gré des campagnes plus ou moins couronnées de succès menées par Lucius Verus auquel Marc-Aurèle faisait peu confiance, l’Arménie devenait tantôt un état tampon au service de Rome, tantôt un état tampon au service des Parthes. Cette situation ne pourra être définitivement réglée par l’empereur.
Sur le Danube, Marc-Aurèle sera confronté à différents peuples puissants (Iazyges, Marcomans, Quades, Sarmates) avec lesquels il aura constamment maille à partir. Considérant que ces peuples étaient des brigands qui ne respectaient pas les règles de la guerre des peuples civilisés, il prendra deux lourdes décisions, avant de stabiliser le front, ou la ligne de démarcation sur le Danube (fausse frontière à vrai dire). L’auteur de la biographie, Yves Roman, va même jusqu’à penser que Marc-Aurèle avait programmé l’élimination pure et simple de ces peuples, dans le cadre d’une véritable « œuvre de salut public ». Paradoxalement, ce type de traitement radical ne posait pas de problème de conscience à l’empereur, et n’entrait pas en conflit avec son stoïcisme. Seconde décision qui ne sera jamais mise en œuvre, il est possible que Marc-Aurèle ait eu le projet de pousser jusqu’au massif des Tatras, au sud de la Pologne actuelle.