Pour traiter d’un sujet dont le titre a les allures d’un oxymore, Richard Boidin, directeur des archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères a réuni trois spécialistes : Catherine Nicault, professeur à l’université de Reims, Chantal Metzger, professeur à l’université de Nancy et Yves Saint-Geours, directeur général de l’Administration et de la Modernisation au Quai d’Orsay, ancien ambassadeur, historien. Chacun des intervenants dispose de 20 minutes pour présenter un aspect précis du thème.

Catherine Nicault a choisi de traiter des diplomates rebelles à la France de Vichy. 241 diplomates français ont été révoqués par Vichy, c’est-à-dire seulement moins de la moitié des 600 membres du corps diplomatique, et encore la plupart l’ont-ils fait après de longues tergiversations. Elle se propose de montrer les temporalités et les modalités de ce qu’il est peut-être possible d’appeler une rébellion puisqu’il y a révolte contre un gouvernement légal dont on refuse de reconnaître la légitimité.

Seulement une vingtaine de diplomates ont refusé de servir Vichy début 1941, auxquels il faut ajouter le petit nombre de ceux qui sont restés en poste sur demande de la France Libre. La très grosse majorité des membres du corps diplomatique sont patriotes, antiallemands, abasourdis par la défaite, et anglophiles. Ils sont troublés par la rupture avec le Royaume-Uni, beaucoup ont travaillé à l’alliance anglaise et ont confiance dans le Royaume-Uni ; ils croient d’ailleurs à un soutien des États-Unis dans un proche avenir. Ils sont républicains et démocrates mais ils ont confiance dans le maréchal Pétain qu’ils respectent. Le programme de la Révolution nationale ne les choque pas. Ils détestent Laval, ne connaissent pas De Gaulle et veulent croire au « bouclier Pétain ». Ajoutons que l’idée de partir équivaut à déserter, à devenir des émigrés, à abandonner une fonction que la Nation vous a confiée, à perdre la sécurité, les émoluments et le mode de vie de la haute fonction publique.

Ceux qui franchissent le pas ne constituent pas un groupe cohérent. Il y a bien quelques « têtes brûlées », célibataires impétueux et fantasques de réputation. Mais tous ne sont pas dans ce cas, par exemple Geoffroy Chaudron de Courcelles qui est l’aide de camp du général de Gaulle. Certains n’ont aucune perspective de carrière et le départ est alors plus facile. Quelques-uns ont maintenu l’ambiguïté quelques semaines, le temps de négocier avec la France Libre des émoluments. Mais il en est qui refusent de servir Vichy sans pour autant rejoindre la France Libre. Ce sont des exilés plus que des rebelles souvent des anti-munichois révulsés par l’armistice.

Le nombre de ruptures avec Vichy augmente doucement jusqu’à novembre 1942 et explose au tournant de 1942-1943. Les raisons se trouvent dans l’érosion du crédit accordé à Pétain, dans les revers de l’Axe, dans la reconstruction d’une sorte de ministère des Affaires étrangères au sein de du Comité français de Libération nationale. La politique de Darlan, la démission forcée de Weygand secouent certains diplomates. Le retour de Laval davantage encore. Mais à la fin de 1942 c’est une véritable hémorragie et plus de la moitié des diplomates révoqués le sont à cette époque. L’hémorragie tient aussi au fait que la France Libre attire des compétences. René Massigli est ainsi démarché par Pierre Brossolette. Le giraudisme constitua souvent un sas pour des diplomates réticents. En 1943 l’évasion et balisée, facilitée, et l’ambition devient une motivation. Il s’agit bien davantage de défections que de rebellions. Ces derniers diplomates à rompre avec Vichy seront d’ailleurs toujours considérés par les premiers comme des opportunistes.

Chantal Metzger traite des parlementaires et des notables à contre-courant de la politique est-allemande de la France de 1949 à 1973. En décembre 1949 la décision a été prise par la France de ne pas reconnaître la RDA ; elle ne le sera que le 9 février 1973. Néanmoins certains notables et certaines élites ont tenu à s’y rendre pendant cette période ou en ont réclamé la reconnaissance. Qui étaient-ils et pourquoi cette attitude ?

Les ambassadeurs en Allemagne de l’Ouest : André François-Poncet, Louis Joxe, Maurice Couve de Murville, François Seydoux et Jean Sauvagnargues ont appliqué strictement et sans aucune critique la politique française à l’égard de la RDA. Les premiers à vouloir entrer néanmoins en contact avec la RDA sont des parlementaires communistes ou cégétistes, des municipalités communistes procédant à des jumelages, des déportés visitant les camps d’Allemagne de l’Est. Mais d’autres voyages vont être entrepris que le Quai d’Orsay désapprouve, craignant une « reconnaissance de fait. Ainsi, Édouard Herriot, invité par le maire de Weimar, décline l’invitation. Mais en janvier 1961, sept députés français de droite acceptent l’invitation et visitent en Allemagne de l’Est des usines et des coopératives, accueillis par le président de la Chambre du peuple. La RFA fait part de son inquiétude au Quai d’Orsay. D’autres voyages vont avoir lieu, avec toujours les mêmes objectifs : visite d’expositions, d’usines, de coopératives paysannes ; on salue des officiers au pied du Mur, la presse et la télévision est-allemande sont présentes. En octobre 1963 une délégation socialiste est reçue par Walter Ulbricht. Le ministre des affaires étrangères proteste auprès de Guy Mollet. En 1964 ce sont cinq députés UDR qui font le voyage, inquiétant davantage encore la RFA car c’est l’année où la France reconnaît la Chine. Des parlementaires interviennent dans des colloques scientifiques.

Chantal Metzger pense que ce tourisme parlementaire est davantage ignorant que rebelle. Elle rappelle aussi que des relations commerciales officieuses avaient lieu et que les Britanniques allaient bien davantage que les Français en RDA. Elle observe enfin qu’il était fort contradictoire de reconnaître la Chine et de refuser à la société civile d’aller en RDA.

Yves Saint-Geours a choisi de traiter des diplomates latino-américains face aux dictatures. Il commence par évoquer deux figures emblématiques :

Luis Martin de Souza Dantas, ambassadeur du Brésil en France de 1922 à 1944, francophone, francophile, ami de Pierre Laval, ambassadeur à Vichy auprès du maréchal Pétain. Le dictateur brésilien Vargas l’incite à soutenir la collaboration mais il refuse et aide à l’évasion de persécutés. Il est interné par les Allemands en France puis en Allemagne et jouera par la suite un rôle important dans la fondation de l’ONU. Ce diplomate a estimé que la situation était intolérable.

Sergio Viera de Mello, chef d’une mission de l’ONU à Bagdad après la guerre du Golfe, mort dans un attentat contre les forces de l’ONU en 2003. Il n’était pas un diplomate brésilien parce que son père diplomate avait été expulsé du corps diplomatique en 1969 par la dictature brésilienne. Il avait décidé qu’il serait diplomate, mais qu’il ne serait pas pour le Brésil.

Qu’est-ce qu’un diplomate en Amérique latine ? Il n’y a pas de haute fonction publique. Les diplomates constituent donc une aristocratie, avec des critères ethniques car il faut être blanc, de fait. Ils sont très bien payés et très conservateurs. Fondamentalement ils n’ont pas été des rebelles. Ils ont accompagné les dictatures dans les enceintes internationales. Ils sont d’ailleurs assez bien formés et assez efficaces sur le plan de l’action diplomatique. Mais il y a eu des rebelles et Yves Saint-Geours tient à évoquer quatre grands diplomates dont trois prix Nobel de littérature.

Miguel Asturias, guatémaltèque, prix Nobel de littérature 1967 est un vrai diplomate de carrière, ambassadeur à Paris, qui s’exile en Argentine et dénonce la dictature. C’est un des fondateurs du combat des intellectuels contre la dictature.

Pablo Neruda, prix Nobel de littérature 1971, a embrassé la carrière diplomatique en 1928 et a lui aussi été ambassadeur à Paris où il a longtemps vécu. Membre du Parti communiste, il rentre au Chili et lutte contre toutes les dictatures latino américaines. Il meurt peu après le coup d’état de 1973. Dans les années noires qui suivent avec les dictature chilienne et argentine, de nombreux diplomates s’exilent en France, en Allemagne, en Scandinavie et aussi en Amérique latine. Plusieurs seront éliminés par l’opération Condor.

Osvaldo Paz, mexicain, prix Nobel de littérature 1990, a été membre des Brigades internationales en Espagne et ambassadeur dans beaucoup de pays.

Vinicius de Moraes, parolier des plus grands standards de la bossa-nova, fut aussi un diplomate, révoqué par la dictature brésilienne et réhabilité par la suite. Il fut en effet nommé ambassadeur post-mortem par le président Lulla.