Conférence animée par Pierre Serna, professeur à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, directeur du Centre d’histoire de la Révolution française

Présentation et problématique

En préambule P. Serna rappelle les difficultés de l’enracinement de la IIIe République face à un courant « anti-lumière » qui remonte d’ailleurs selon lui à bien avant 1789. En réaction la IIIe République s’est appuyée sur le socle de la Révolution pour en faire la matrice de la République en proposant une reconstruction mythifiée de cette période avec ses hauts faits d’armes (Valmy) et ses symboles (le drapeau, la Marseillaise, le 14 juillet).
La prégnance de ce combat autour de la République à travers le filtre de la Révolution de 1789 demande à interroger cette période. Révolution et République ne doivent certes pas être confondues. Mais comment l’idée républicaine s’est-elle imposée ? Quels vecteurs de la « républicanisation » ont été à l’œuvre dès 1789 et même avant ?

République, républiques : définitions des Lumières

Que signifient les mots au moment où on les emploie ? Quels sens donnaient à ce terme les Hommes du XVIIIe siècle à l’époque des Lumières ?
Pour Montesquieu, la république est essentiellement un système de valeurs morales. Il parle des vertus républicaines c’est-à-dire celles des gouvernants qui doivent se montrer exemplaires pour édifier, éduquer le peuple.
L’encyclopédiste le chevalier de Jaucourt évoque plus précisément un système de la représentation, une délégation de souveraineté pour un temps déterminé et une régulation par la responsabilité.
Jean-Jacques Rousseau a lui une vision plus pessimiste de ces systèmes. Pour lui la république est le produit d’une dégénérescence. S’appuyant sur les exemples italiens et hollandais il voit la république confinée à de petits territoires dans lesquels le pouvoir est confisqué par de petits groupes d’hommes, formant une aristocratie ou une oligarchie. Au rebours de ce que doit être la démocratie.

Réflexions sur l’expérience américaine

Selon Pierre Serna la république américaine présente deux nouveautés majeures.
Elle s’inscrit tout d’abord dans un très vaste espace, dans un système fédéral très décentralisé.
Elle est ensuite le produit tout à la fois d’une révolution et d’une guerre. Le conférencier rappelle d’ailleurs à ce propos qu’aujourd’hui encore droite et gauche américaine n’utilisent pas les mêmes expressions pour évoquer cette période : la droite parlant généralement de « guerre d‘indépendance » et la gauche de « révolution américaine ». Pierre Serna pense lui, que la république américaine naît d’une révolution qui est une guerre d’indépendance rappelant au passage que la combinaison des deux acceptions est également employée dans le vocabulaire de la république algérienne.
République, révolution, guerre d ‘indépendance : le triptyque interroge quand on songe à la mise en place de la Ière République en 1792. Certes, la guerre révolutionnaire menée par la France n’est pas stricto sensu une guerre d’indépendance mais elle est une lutte pour l’affirmation, la défense et la reconnaissance d’une nouvelle souveraineté issue de la révolution.
Pierre Serna achève son propos sur ce point en rappelant que l’événement majeur de la révolution américaine est l’élaboration et l’adoption de la constitution. Elle définit le pouvoir de, qui fait la guerre, qui lève l’impôt pour payer les dettes internationales : la république fédérale.
Toutes ces nouveautés de la fin du XVIIIe auraient profondément marqué certains des révolutionnaires de 1789 et notamment des gens comme Condorcet et surtout Brissot qui est un de ceux à avoir très tôt envisagé l’idée républicaine comme un alternative crédible à la monarchie. 

1789 / 1792 : la marche à la république ?

Marche inéluctable ou accidentelle ? Débat récurent parmi les historiens mais Pierre Serna pense que les deux hypothèses peuvent se compléter tout en rappelant que le concept de république est largement impensable et même impensé par les hommes de1789 à l’exception de quelques uns dont Brissot justement.

  • Brissot et l’idée républicaine

Pierre Serna voit trois éléments clés dans l’élaboration de la pensée « républicaine » du député girondin.
Le problème du véto royal tout d’abord. Ce privilège exorbitant pose vraiment question car il donne une supériorité de fait de l’exécutif sur le législatif et fragilise l’ensemble du système.
Brissot voit ensuite dans la politisation de la société civile un élément majeur de la républicanisation du pays. En décrétant l’élection des maires en décembre 1789 les citoyens s’emparent littéralement de la « chose publique » avec 4.300.000 électeurs plus les participants des assemblées primaires.
Brissot enfin est le fondateur des la « Société des Amis des Noirs », militant de la cause anti-esclavagiste il voit dans la soumission des Noirs une négation de la Déclaration des Droits de l’Homme fruit de la monarchie constitutionnelle.

  • 1791 et « l’été républicain »

L’épisode de Varennes est bien connu comme étant un moment clé dans la crise du nouveau régime constitutionnel mais il va favoriser la promotion de l’idée républicaine au-delà du simple discrédit jeté sur le roi et la monarchie constitutionnelle.
Pierre Serna évoque la véritable naissance d’un espace d’opinion publique capable de peser sur la décision des gouvernants avec le mouvement pétitionnaire demandant la déchéance du roi. Jusqu’au 15 juillet les pouvoirs du roi sont suspendus et on peut alors parler d’une république de fait. La fable de l’enlèvement du roi et le rétablissement de son autorité mettront provisoirement fin à cette parenthèse pendant que la fusillade du Champ de Mars achèvera de discréditer complètement le régime.

  • La naissance de la République et la construction d’un idéal républicain

La fin de la monarchie n’est pas la république
Les députés élus à la Convention à l’été 1792 sont chargés d’élaborer une nouvelle constitution. 40 % d’entre eux sont présents les 20/ 22 septembre lorsqu’ils adoptent une série de décrets dont la teneur interroge.
Le décret principal prononce l’abolition de la monarchie, et non pas la proclamation de la république comme on le présente hâtivement. Ainsi la république naît d’une sorte de vide juridique. C’est ce qui peut expliquer la proposition du député Billaud-Varenne en date du 22 septembre qui demande à ce que tous les actes officiels soient datés de l’An I de la république. La république devient tune évidence construite, mais elle n’est pas proclamée, elle s’impose.
Elle va devoir d’autant s’imposer qu’elle est tout de suite menacée dans son existence par la guerre aux frontières du pays. C’est le moment à travers la victoire de Valmy où se construit la figure républicaine du « citoyen-soldat ». La république ne peut pas, ne doit pas perdre la guerre, sinon elle perd tout. Selon Pierre Serna, Jacobins ou Montagnards n’ont pas d’idéologie totalitaire préconçue mais simplement une lecture politique et stratégique de la situation. Le débat entre ceux qui voient dans les pratiques du gouvernement révolutionnaire une adaptation aux circonstances et ceux qui pensent que la « terreur » est inscrite dans la prise de pouvoir des républicains est bien connu. Pierre Serna se range clairement dans le premier camp, à l’inverse d’un François Furet dont il rappelle la postérité idéologique pour la contester.

  • Robespierre, la république, la démocratie

Quel est le principal défi pour Robespierre et les républicains au-delà de la victoire militaire ?
Une républicanisation de la France et des Français, de l’ensemble de la société civile. Il ne peut y avoir de république si tout le monde n’est pas républicain. Le projet jacobin est un projet d’éducation, de construction de citoyenneté républicaine comme l’ont repris en partie de les hommes de la IIIe République.
La pratique du pouvoir s’adapte aux circonstances selon Pierre Serna. Saint-Just constatant que le problème n’est pas dans les lois mais dans leur application, met en place le système des « envoyés en mission. » La guerre conduit le gouvernement à une centralité législative. Les députés de la Convention contrôlent les ministres, le gouvernement est formé de représentants. La cohésion des pouvoirs doit être est assurée selon Robespierre par la « vertu », car il n’est pas de République sans elle. On retrouve d’ailleurs ici la définition donnée par Montesquieu dans l’Esprit des Lois.
Pierre Serna souligne que dans l’esprit de Robespierre, république et démocratie se confondent. Ce qui est explicitement dit dans le discours de février 1794. Une république démocratique donc, fondée sur la représentation. Bien sûr la conférence ne portait pas sur les pratiques du pouvoir et notamment la « terreur » qui font selon beaucoup d’historiens, de Robespierre, l’antidémocrate parfait. Il aurait été intéressant d’aborder ce point avec Pierre Serna mais cela procédait d’un autre débat qui n’était pas réalisable dans le temps d’une heure imparti à la conférence.
Pierre Serna met enfin l’accent sur l’aspect social de l’idéal républicain selon Robespierre. Le politique ne doit pas être disjoint du social. Les trop grands écarts de richesse divisent les citoyens, donc la république. S’il ne remet pas en question la propriété privée, Robespierre pense qu’il faut éviter les trop grands écarts de richesse qui déchirent le tissu social et créent la corruption. Et Pierre Serna de rappeler l’action sociale du gouvernement révolutionnaire : allocations contre la faim, « lois de la bienfaisance nationale », aides aux paysans, loi du maximum, lois sur l’instruction… Robespierre place les pauvres au centre de la dignité républicaine car loin des tentations d’enrichissement ils sont par là-même au cœur de la citoyenneté.

  • Le Directoire, un laboratoire des modèles républicains

Loin des caricatures sur la « république bourgeoise » Pierre Serna rappelle tout d’abord que le Directoire a pratiqué une véritable politique sociale continuant en cela le travail des républicains de l’An II notamment en créant une ébauche d’un système de sécurité sociale, une banque d’épargne, le développement d’une éducation pour tous. On pourrait tout de même objecter qu’à cette époque le droit de suffrage a été considérablement réduit.
Mais Pierre Serna voit surtout dans cette période de la république finissante (1795 / 1799), un laboratoire des différents modèles républicains qui vont se succéder, se mêler parfois, s’affronter même, au cours du XIXe siècle.
Il distingue ainsi plusieurs modèles républicains.
Le premier est le modèle libéral soutenu par des hommes comme Benjamin Constant celui qui défend la propriété, l’initiative et l’entreprise privée, la loi comme moyen de régulation de la société. Cette « république des Modernes » s’oppose justement à l’autre modèle celui de la « république des « Anciens », incarnée par Robespierre et les Jacobins.
Autre modèle encore, celui de la république des « mitoyens », celle du juste milieu, celle qui correspond justement à la Constitution de l’An III dans laquelle le bon citoyen est « bon père, bon fils, bon ami, bon époux » (art.4), celle donc dans laquelle les valeurs privées deviennent des valeurs civiques et dans laquelle la base sociale est celle des petits propriétaires ruraux.
Pierre Serna évoque enfin « la république des liberticides », celle des sauveurs, des militaires, des coups d’Etat dont il rappelle la postérité dans l’histoire à travers quelques dates clés : 1799, 1851…1940.

Conclusion

« La ou les républiques de la Révolution française », tel était l’intitulé de la conférence animée par Pierre Serna. Un titre sans point d’interrogation. Coquille typographique ou choix délibéré ? Au vu du déroulement de l’exposé je pencherais pour la deuxième hypothèse.
C’est bien cette idée de république née pendant la Révolution française qui apparaît, à travers les diverses expériences politiques, comme la matrice de toutes les républiques et surtout de toutes les différentes conceptions républicaines qui ont été forgées au cours du XIXe et du XXe siècle.
Une conférence vraiment stimulante bien qu’un peu courte sur cet objet toujours « chaud » de la Révolution française.

Richard Andrieux, lycée Docteur Lacroix, Narbonne.