Introduction : une zone grise est un territoire qui dépend d’un Etat, mais dans lequel l’Etat n’entre plus. Les « failed States » ou Etats faillis se multiplient dans le monde de 2014 : de la Somalie et du Yémen vers le Mali, la Centrafrique, la Syrie et l’Irak…
I) Le cas particulier de l’Ukraine (Chaliand).
Considéré aujourd’hui, dans la propagande américaine, comme un retour à la guerre froide, l’intervention russe en Ukraine démontre surtout la volonté de Poutine de s’ouvrir à 3 Etats : le Kazakhstan, la Biélorussie et l’Ukraine pour ne pas se retrouver seul, dans un ensemble démographique en déclin, la seule Russie..
L’Ukraine est constituée de 3 morceaux : un ouest catholique uniate et pro-européen; un centre orthodoxe mais pro-occidental aoutour de Kiev; et un est orthodoxe et largement pro-russe. Ce n’est pas une zone grise mais une zone de conflit entre 2 Etats: la Russie qui a annexé la Crimée et l’Ukraine qui veut garder le contrôle de sa partie Est.
Poutine a proposé 15 milliards de dollars mais les Etats-Unis en ont promis 18; depuis la « Révolution Orange » de 2005, les Etats-Unis veulent s’emparer de l’Ukraine, pour contenir les Russes.
De fait, c’est une grave défaite russe qui a perdu le contrôle d’un quart des slaves, et c’est une victoire américaine dans la stratégie du Grand Echiquier de Zbigniew Brezinski. Le problème , c’est que l’Europe a entièrement gobé, surtout en France, la propagande U.S. sur l’Ukraine et le « méchant russe ».
II) L’extension des zones grises sur un arc Sahara/Moyen Orient de 1979 à 2014 (Brauman).
Sur le modèle des khmers rouges (1975-1979) des mouvements radicaux et terroristes ont proliféré sur les ruines d’interventions militaires étrangères. Les Zones Grises se sont alors étendues . Où?
-D’abord en Afghanistan, après l’intervention de l’Armée Rouge en décembre 1979. Les 500.00 morts afghans amènent les Talibans.
-Puis l’intervention israëlienne au Liban en 1982 amène la création du Hezbollah chiiite libanais.
-Depuis l’invasion U.S de l’Irak en mars 2003, l’amateurisme et l’ignorance américaine, en humiliant les sunnites et en mettant au pouvoir les « hérétiques chiites », ont provoqué directement la montée en puissance de l’Etat Islamique en Syrie et en Irak.
-Enfin le mouvement Boko Haram au Nigéria, dans son rigorisme sectaire et sa volonté de tuer et de terroriser vient de s’affilier à l’Etat Islamique.
On peut trouver 2 autres raisons à l’extension des Zones Grises : la fin de règne de certains régimes despotiques en Tunisie, Egypte et Libye en 2010-2011, mal appelée « printemps arabe »; et le monde zéropolaire après la chute de l’U.R.S.S. en décembre 1991, il n’y a plus de leader incontesté d’où fragmentation du monde et multiplication des guerres civiles.
III) La production des zones grises depuis 1979 (Chaliand).
Il faut procédér à un retour en arrière pour comprendre ce phénomène.
Depuis la Révolution islamique en Iran en 1979, Khomeiny dans un élan anti-impérialiste a promu l’extension des révolutions chiites.
S’opposant à lui, un axe ARABIE SAOUDITE/PAKISTAN/TURQUIE/ETATS-UNIS s’est mis en place pour défendre les sunnites (85% au moins des musulmans, rappelons-le). Les Etats Unis soutiennent donc dans les années 80 les plus islamistes des afghans en zone pachtoune : Hekmatyar et Ben Laden. Plus tard, en 1998, ils se retourneront contre leur « parrain » et feront des attentats anti U.S; au Yémen et en Afrique de l’Est.
Le 11/09 2001 et l’invasion de l’Afghanistan en octobre 2001, sous la direction des néos-conservateurs : Cheney, Rumsfeld, Pearl et Wolfowitz, va accélerer la formation de groupes terroristes islamistes, surtout après l’invasion de l’Irak en mars 2003. La marginalisation des sunnites et la chute de Saddam Hussein met au pouvoir les kurdes non arabes et les « chiites hérétiques », à la grande satisfaction de l’Iran. Les sunnites sont brutalement évincés de l’armée et du gouvernement.
Face aux chiites : 15% en Syrie avec Bacher el Assad l’alaouite; 30% au Liban et 60% en Irak avec Maliki; les Turcs d’Erdogan, islamiste de moins en moins modéré, le Qatar et son aide aux frères musulmans et AQMI (Al Qaida au Maghreb Islamique) qui monte en Algérie et au Mali forment un front radical sunnite. C’est bien à une guerre sunnites/chiites que nous assistons derrière nos postes de télévision ou par internet et décapitations imposées.
Brauman rajoute : La preuve de l’échec de la force est la Libye, où l’intervention militaire américano-franco-britannique a amené le chaos le plus total ! Le soutien à la politique exclusive sectaire chiite de Maliki est une absurdité et une cécité intellectuelle grave des élites américaines( Bush comme Obama) qui ne comprennent rien aux enjeux religieux et politiques du Moyen Orient.
En conclusion, l’impérium américain, avec son réseau d’alliances considérables, dans une coproduction turque et saoudienne, a forgé des sunnites radicaux qui sont devenus l’ennemi n°1. L’etat islamique en Syrie et Irak est le Frankenstein des alliés américains, comme le chaos lybien et égyptien.
Dans ce contexte quelle est la politique de la France ? Se rallier aux volontés U.S comme Sarkozy et Hollande, ou promouvoir une autre politique moins brouillonne et nettement moins stupide, comme l’avaient tenté Chirac et Villepin après 2003 ? Que veut on faire et comment agir ?