Carte blanche à l’Institut européen en Sciences des Religions.
Cette table ronde réunit :
– Gérald Chaix, professeur émérite à l’université François-Rabelais de Tours,
– Dominique Iogna-Prat, directeur d’études à l’EHESS,
– Isabelle Poutrin, maitresse de conférences HDR à l’université de Paris Est Créteil Val de Marne,
– Anne Tallon, maitresse de conférences à l’université de Picardie Jules Verne.
Plusieurs raisons de s’intéresser à ce thème : 1) l’Institut européen en Sciences des Religions en tant que tel ; 2) l’écho d’un article sur les moines rebelles aux XIIe-XIIIe siècles écrit par un chercheur allemand considérant la rébellion comme des symptômes présents au sein des ordres religieux, comme l’affirmation d’une conscience individuelle et collective et le rapport du moine au monde.
Les rebelles : contexte et présentation
Dominique Iogna-Prat expose le besoin de réforme des ordres vers 1100, pouvant se transformer en schisme dans les années 1120, par une remise en cause à la base des Clunisiens. Vers 1200, les ordres monastiques s’institutionnalisent et contrôlent les moines par des statuts spécifiques. Le vocabulaire employé n’est pas « rebelle » mais « déviance » ou « désobéissance ».
Isabelle Poutrin s’interroge sur les femmes « rebelles » en Espagne au XVIe siècle. Dans les ordres mendiants, les « rebelles » sont soit des hérétiques soit des mystiques sous la surveillance de l’Inquisition, fondée en 1478. Les femmes religieuses sont au couvent au XVIe siècle mais ce ne sont plus des lieux d’intercession. Les femmes se doivent d’être soumises, silencieuses dans la société espagnole. Cette question de la pudeur encadre les femmes suivant une double norme, ne leur permettant pas réellement d’être rebelles. Cependant, la quête d’absolu de certaines femmes, telles que Thérèse d’Avila, contribue à faire d’elles des rebelles. Elles prennent exemples sur les Pères du désert, sur la Légende dorée, ou encore sur la figure de Catherine de Sienne. Ainsi, la folie de Jeanne n’en est pas une mais pour son époque, elle l’est car elle ne se soumet pas aux exigences princières. Deux stratégies pour se rebeller : 1) prendre le même rôle que les hommes mais cela est limité à des cas isolés ; 2) faire comme Thérèse d’Avila qui, étant sous le patronage d’une duchesse, de prélats en prise avec la réforme tridentine, affirme son for intérieur.
Anne Tallon montre qu’il existe un paradoxe entre ordres médiévaux et rébellions car les moines doivent suivre une norme tout en ayant, parfois, une volonté de revenir à un certain évangélisme. L’Inquisition veille à sélectionner, qualifier les hérétiques. Ainsi, les « frères mendiants » sont un sobriquet en lien avec la mendicité de ces pratiquants mais c’est aussi une remise en cause de l’ordre de vie traditionnel : celle qui permettait la catégorisation entre réguliers et moines séculiers et aussi le rôle des femmes. Les frères ont des missions plus pastorales que les femmes. D’ailleurs, rapidement, les femmes de ces ordres vont rentrer dans les couvents, dans des normes bien précises car parcourir les routes comme des mendiants ne peut être digne pour une femme.
Gérard Chaix, habituellement spécialiste des XVe-XVIIe siècles allemands, traite ici de l’époque contemporaine faute de contemporanéiste. Le terme de « rebelle » n’est pas non plus utilisé chez les Dominicains pour expliquer la remise en question des ordres. Les couvents évoluent après les années 1950 : les moines ont une vie sociale plus importante, une vie plus pluraliste, voire des engagements politiques. Cette remise en cause est due à une volonté d’égalité au sein de l’assemblée générale, qui se solde par des conflits générationnels dans les ordres. Ce ne sont pas des rébellions mais une volonté de revenir à une règle épurée.
Les rebelles dans le groupe
Pour Anne Tallon, les rebelles le sont au nom de Dieu, sous forme de prophétisme. Sous l’apparente unité des mendiants, une diversité des groupes apparait. Les Dominicains et les Franciscains ne sont pas des rebelles mais ont une audace intellectuelle qui peut provoquer des heurts avec les autorités. Cette remise en question se fait par la science (transmise par les Arabes, qui traduisent les œuvres grecques), par la question de la pauvreté, de la précarité. Les conventionnels s’opposent aux spirituels qui peuvent être considérés comme des hérétiques s’ils ne se maintiennent pas dans la norme.
Dominique Iogna-Prat pose le paradoxe de la posture du moine, celui qui vit seul renonçant à un certain mode de vie mais le monachisme est aussi une forme de famille spirituelle alors que les Dominicains et les Franciscains sont des individuels. Le monachisme est une utopie car le monastère pose la question de la régulation sociétale.
Isabelle Poutrin se demande si les rebelles femmes étaient des féministes. Il n’y a pas de remise en cause de l’ordre. Au XVIIe siècle, les Carmélites ont un idéal exigeant mais le couvent demeure un régulateur sociétal afin que les femmes célibataires puissent y mener une vie digne sans déshonorer leurs familles. La remise en cause se pose surtout pour les couvents aristocratiques, qui sont devenus plus rigoureux, par une action réformatrice importante. Les vocations forcées sont sources de rébellions. Les religieuses non volontaires vont jusqu’à porter leur affaire devant les tribunaux à Rome pour avoir gain de cause.
Gérard Chaix a noté différentes étapes de l’évolution des Chartreux depuis le 19e siècle : 1) Les Chartreux subissent les conséquences de la Révolution française. A la Restauration, la Grande Chartreuse se devient un « lieu de retraite » en 1816 et en un siècle, seize autres Chartreuses ouvrent, suite à une politique d’achat.
2) la modernisation de l’ordre (eau courante/ tourisme) mais en 1903, la fin de l’ordre est signée en même temps que la fin des congrégations car les Chartreux n’ont demandé d’autorisations que pour la Grande Chartreuse.
Les historiens, en présence, ont montré que les moines et les moniales au Moyen Age n’ont pas été des rebelles au sens propre du terme. Ils ont eu des inspirations différentes, notamment avec un retour à l’Evangile ou encore à la pauvreté voire à la mendicité, pour renouveler l’Eglise et ses ordres religieux. Néanmoins, par essence, le moine n’est pas un rebelle et reste, donc, dans un cadre défini, tôt ou tard, par l’Eglise, et sous la surveillance de l’Inquisition à la fin du Moyen Age.