Dans un amphi 1 bondé et étouffant, il était question ce samedi 12 octobre des paysans en rébellion, de l’Antiquité à nos jours. Jean Garrigues, président du CHPP, organisait les débats de cette table ronde où intervenaient Thibaud Lanfranchi (histoire antique), Joël Cornette (histoire moderne), Pierre-François Souyri (Japon médiéval) et Edouard Lynch (histoire contemporaine). Une table ronde de très bonne tenue, animée par les qualités narratives de Cornette et de Souyri, et qui est allé jusqu’à un vrai débat entre les historiens présents, alors que, depuis jeudi, ce qu’on avait vu tenait plus de la juxtaposition d’opinions et de connaissances que d’une véritable table ronde.
Le jeune et prometteur Thibaud Lanfranchi ouvrait le feu en rappelant que durant l’Antiquité, les paysans sont très peu nombreux à se rebeller car ils possèdent un statut de libres qui les protège un tant soi peu. Les révoltes serviles sont elles plus nombreuses, à Rome comme en Grèce. Toutefois, Lanfranchi évoque quand même les révoltes siciliennes vers 140, les Bagaudes gauloises et les Circoncellions numides. Pour ces dernières il y a une dimension religieuse importante, car le mouvement est lié aux évêques donatiens d’Afrique du Nord qui ne reconnaissent pas l’Eglise officielle et se comportant de façon très radicale, avec une volonté de revenir à l’église des origines, avec un goût prononcé pour le martyre. En Gaule les Bagaudes sont souvent menées par des milices paysannes d’autodéfense face au recul du pouvoir central romain, un phénomène qu’on rertouve ailleurs et plus tardivement dans l’Histoire, et notamment en Amérique latine et centrale.
Au Japon, la majorité des révoltes paysannes ont lieu entre le XV° et le XVI° siècle, car le pays vit des modifications importantes avec l’émergence d’une bourgeoisie nouvelle qui achète des terres agricoles à des paysans endettés qui voient leur échapper des lieux chargés de mémoire familiale. Cette modification « insupportable » (P.F. Souyri) du pacte social entraîne des révoltes où les paysans s’organisent de façon très efficace. Ils organisent une « marche collective » ritualisée, le ikki, qui revêt un caractère sacré très fort, ce qui fait que les seigneurs locaux cèdent souvent à leurs revendications. Ces paysans japonais se déguisent en révoltés, en mendiants, en fous. Ils adoptent donc une « panoplie » de révolté. Certains se jettent en martyrs sous le palanquin des seigneurs avec leurs revendications à la main, mais cette façon, mortelle, de porter le message vers le haut est l’objet d’une grande admiration de la part des autres paysans. Non seulement les seigneurs cèdent, mais certains sont parfois même exécutés par ordre de leur suzerain pour mauvaise gestion ou privés de leurs terres.
Révoltes à la française
En France, les révoltes paysannes sont moins organisées que les ikki japonais. A fur et à mesure que la pression fiscale se fait de plus en pus forte, au XVII°-XVIII°, les « émotions populaires » se multiplient. Les chroniqueurs de l’époque sont très effrayés et parlent de « canailles ». La paroisse est un lieu important de la révolte, ainsi que le cimetière où l’on se réunit sous l’auspice des ancêtres. Les revendications, outre le rejet de l’Etat monarchique prédateur, sont très polysémiques comment le montrent la révolte de 1675 en Bretagne menée par les Bonnets Rouges. Les chefs sont peu identifiables, car il est difficile de se présenter comme un meneur quand on connaît la force de la répression royale. Ce type de révolte dure jusque vers 1848, puis il y a en France un grand vide avant une reprise des contestations paysannes au début du XX°.
C’est une période ou les choses changent, quand une partie des sources écrites viennent des révoltés eux-mêmes qui s’organisent de façon collective en syndicats ou en organisations diverses. La révolte n’est plus locale, elle se nationalise avec l’émergence de la presse libre : révolte de 1907 dans le midi, révoltes dorgéristes en 1935, mouvements poujadistes dans les années 50, manifestations des « nouveaux » Bonnets Rouges en 2013, la révolte paysanne est désormais visible et connue, même si, paradoxalement, les paysans véritables sont de moins en moins nombreux. On voit alors que la légitimation paysanne est une façon de se rattacher à une tradition ancienne, un peu comme quand les jacques du XVII° se réunissaient dans les cimetières pour lier les « vieux » avec eux.
Mathieu Souyris, collège Saint-Exupéry, Bram.