Dans le cadre d’une Carte Blanche au Comité français des sciences historiques, une Table Ronde animée par Emmanuel Dreyfus, professeur agrégé, membre du Comité français des sciences historiques, réunit Antonio Gonzalez, professeur d’histoire ancienne à l’université de Franche-Comté, Claude Gauvard, professeure émérite d’histoire médiévale de l’université Paris 1, Lucien Bély, professeur d’histoire moderne à l’université Paris 1 et Jean-François Sirinelli, professeur d’histoire contemporaine à l’IEP de Paris.

La tradition universitaire française divise la discipline historique en quatre grandes périodes chronologiquement délimitées. L’objectif de cette table ronde est de faire dialoguer quatre représentants de chacune d’elles et de les inviter à s’interroger sur la pertinence de cette périodisation et de leurs frontières. Dans une première partie chacun d’entre eux est invité à s’exprimer sur la période chronologique dont il est le spécialiste, puis un dialogue est prévu avant un échange avec la salle.


L’histoire ancienne à la recherche d’elle-même

C’est en Allemagne que l’histoire ancienne a acquis son autonomie. Réfléchissant à la spécificité de la culture germanique, des universitaires allemands ont estimé nécessaire, pour la comprendre et la caractériser, de l’opposer à la culture gréco-latine qu’il fallait par conséquent connaître. De là sont nées, au milieu du 19e siècle, des recherches historiques et philologiques. L’influence de l’école allemande devint essentielle. En France, c’est par l’archéologie et la fondation des Ecoles françaises d’Athènes et de Rome que débutèrent les études en histoire ancienne. Ainsi, en Allemagne comme en France, les historiens de l’antiquité s’automarginalisèrent dans la seconde moitié du 19e siècle. Il leur fallut s’inventer une périodisation et les réponses furent différentes en Allemagne, en France et dans le monde anglo-saxon. En Angleterre en prolonge volontiers l’Antiquité jusqu’au septième, huitième et même dixième siècle.

Les historiens cherchèrent ensuite à découper l’Antiquité. On divisa en grandes périodes l’histoire grecque et l’histoire romaine. Mais l’histoire ancienne se trouva confrontée à des vides épistémologiques et méthodologiques. On constate d’ailleurs qu’aujourd’hui encore, des périodes charnières sont mal connues car peu étudiées. Dans la Nouvelle histoire de l’Antiquité, il en est ainsi pour ce qui concerne la période royale ou archaïque et les premiers siècles de la République romaine.

L’histoire médiévale à la recherche d’une définition


Le Moyen Âge a été défini par les autres historiens des autres périodes, comme un « entre deux » : entre le faste de l’idéal classique de l’Antiquité et ce que l’on appellera la Renaissance. Entre deux périodes brillantes, le temps du Moyen Âge se trouve dans l’obscurité. Au 19e siècle le Moyen Âge fut définit par les médiévistes qui cherchèrent à établir des faits en s’appuyant sur des sources tangibles, et en s’efforçant de fixer des dates dans une option européocentrique. Ces dates furent celles de 395, que remplaça bientôt 476 (date qui ne veut rien dire pour l’Orient) et de 1453 ou 1492. Arrive l’Ecole des Annales en 1929. Marc Bloch est médiéviste. Il contribue à une définition du Moyen Âge : le Moyen Âge c’est la féodalité, par opposition au capitalisme, et c’est aussi la domination de l’Eglise, avec le point fort du XIe siècle et la réforme grégorienne. Vinrent ensuite les apports de l’anthropologie et de la sociologie qui apportèrent une réelle compréhension de l’altérité médiévale, en mettant en avant les rapports sociaux dans leur fondement. La société médiévale fut alors définie comme une société de l’honneur. Mais l’honneur existe chez les romains et continue d’exister après le Moyen Âge. Rien n’est donc satisfaisant.

Les médiévistes cherchèrent à découper ces 1000 ans d’histoire. La conférencière interroge ensuite avec finesse les différentes ruptures possibles, en montrant leur intérêt et leurs faiblesses : La rupture de l’an 1000 ? La rupture du 12e siècle ? La rupture des 14e et 15e siècles ? D’ailleurs ces deux siècles, comment les appeler ? La fin du Moyen Âge ? Le déclin du Moyen Âge ? Le bas Moyen Âge ?

L’histoire moderne à la recherche d’une date finale


Les débuts de l’histoire moderne ont une cohérence : la découverte de l’Amérique, les grands voyages de découverte, la curiosité géographique, la découverte de l’imprimerie, la réforme de l’Eglise. Mais la fin est plus problématique. La Révolution française pose un gros problème car elle est à une limite, et du point de vue de l’enseignement universitaire, un étudiant peut terminer ses études sans l’avoir jamais abordée, les professeurs d’histoire contemporaine et d’histoire moderne se demandent chacun qui doit l’enseigner et dans quelle période il faut l’inclure dans les programmes de concours etc.

L’histoire contemporaine à la recherche du Temps présent

Jean-François Sirinelli propose deux observations liminaires : tous les historiens, quelque période qu’ils étudient font le même métier dont le fondement méthodologique est l’administration de la preuve ; les périodes sont nécessaires mais il faut débattre de leurs limites.

« Contemporaine » est un curieux terme pour qualifier une période que l’on fait commencer en 1789, en 1815 ou même en 1914. D’un pays à un autre, d’une école historique à une autre, l’usage des deux mots, « moderne » et « contemporaine » est différent. Plus récemment s’est imposé le terme d’ « histoire du temps présent » pour qualifier le second 20e siècle.

Par des réponses aux questions des auditeurs et par le dialogue qui suivit entre les intervenants, quelques observations complémentaires furent proposées.
– Tous les historiens présents s’entendent sur la nécessité des cadres chronologiques. L’enseignement et les programmes d’histoire ne peuvent pas faire l’impasse sur la chronologie. Les jeunes vivent dans l’immédiateté et il est impératif de leur faire comprendre qu’il y a des temporalités. Il faut maintenir les découpages car l’histoire est un travail sur le temps.
– Ils s’entendent aussi sur la nécessité de prendre en compte les indispensables chevauchements entre deux périodes. C’est la période de la Révolution française qui pose le plus gros problème. La continuité culturelle entre la période moderne et la période révolutionnaire est aujourd’hui admise : les hommes de la Révolution son nés dans le giron de la royauté et de l’église ; les études actuelles sur les lumières mettent en évidence leur enracinement dans le passé.

Joël Drogland