Dans le cadre d’une carte Blanche au CERCIL-Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv, Catherine Thion, docteure en histoire, chercheure au CERCIL et Jean-Louis Rouhart, docteur en histoire présentent deux communications ayant pour thème, celui de leurs recherches, les correspondances clandestines des internés dans les camps du Loiret et dans les camps de concentration allemands.
Deux communications d’un grand intérêt. La précision du contenu, son originalité et son importance novatrice, la clarté et la cohérence des exposés, le respect des contenus annoncés et des temps impartis expliquent l’attention forte du public, dont beaucoup de jeunes, venu dans la salle Mansart du château royal de Blois.
Correspondances clandestines des internés juifs dans les camps du Loiret
Catherine Thion traite des correspondances des hommes juifs étrangers internés au printemps 1941 dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, ainsi que de celles des internés à l’été 1942, dans les mêmes camps, à la suite de la rafle du Vel d’Hiv.
Les sources. Elle présente d’abord ses sources : ces lettres se trouvent dans des fonds privés familiaux et d’autres ont été interceptées et se trouvent dans les procès-verbaux de gendarmerie.
La nature. Cette correspondance doit être distinguée du courrier autorisé : celui -ci est visé par la censure et est réglementé (quatre lettres par mois peuvent être reçues et envoyées, avant que la réglementation ne se durcisse en 1942 ; on ne doit pas parler de ce qui se passe à l’intérieur du camp). Quand un interné envoie ou reçoit une correspondance clandestine, il ne doit pas arrêter d’envoyer du courrier autorisé, afin de ne pas attirer l’attention des autorités. Dans deux cas, les correspondances ont été assez nombreuses pour faire l’objet d’une publication : Kalma Apfelbaum (1906-1942), Lettres d’un interné du camp de Pithiviers et Isaac Schoenberg, Lettres à Chana. Camp de Pithiviers. 16/05/1941 – 24/02/1942.
Filières et stratagèmes. Le courrier clandestin entrant et sortant a existé avant le courrier légal, ce qui prouve que des filières et des stratagèmes se sont rapidement mis en place. Pour les internés et de 1941, ce courrier est parfois rédigé en yiddish. Les lettres sont postées et récupérées à l’extérieur du camp. Ceux qui aident les internés sont des gardiens (parfois corrompus et exigeant finances), des assistantes sociales, des ouvriers venus travailler dans le camp, des internés qui sortent accomplir des corvées extérieures. Pour récupérer le courrier qui vient de l’extérieur, il faut avoir un contact avec un habitant des villages ou des villes proches.
Contenus. Catherine Thion s’est livrée à une analyse des contenus. Ils portent sur le quotidien du camp (la faim, la boue, la promiscuité, le manque d’intimité, l’angoisse) ; sur la problématique de l’évasion potentielle ; sur les rumeurs incessantes et contradictoires qui assomment les internés ; sur le devenir des familles ; sur les faits de guerre qui peuvent susciter l’espoir où l’inquiétude ; sur le passé ; sur les sentiments personnels et les projets etc. Rédiger une correspondance clandestine nous dit Catherine Thion, c’est braver l’interdit et c’est donc une forme de résistance ; c’est combattre son angoisse, c’est se réaffirmer comme un individu, se ménager un espace de liberté. Dans les toutes dernières lettres écrites avant la déportation, ont rassure les proches, on donne le change, on s’inquiète pour sa famille.
Urgence absolue pour les internés de l’été 1942. Les conditions de détention sont devenues beaucoup plus dures pour les internés de juillet 1942. On ne sort plus du camp, on ne rentre plus dans le camp, on n’a plus droit qu’à une seule carte postale par mois alors qu’on est là pour peu de temps. Néanmoins des lettres clandestines sont passées, là encore par les assistantes sociales et les gardiens. Il faut y ajouter les lettres jetées des trains. Les destinataires sont parfois les concierges, quand le signataire sait que la famille est partie avant lui. Le contenu est celui d’une urgence absolue. C’est la terreur d’être séparé de ses frères, de ses soeurs, ou de ses enfants. C’est la faim et le manque d’hygiène. C’est l’annonce du départ.
Lettres de l’ombre. Correspondances illégales dans les camps de concentration nazis
La communication de Jean-Louis Rouhart s’appuie sur son ouvrage Lettres de l’ombre. Correspondances illégales dans les camps de concentration nazis. Il y publie 60 lettres extraites d’un corpus de 333 lettres qui ont été l’objet d’une étude rigoureuse.
Ce sont des lettres » illégales » : parce qu’écrites par des détenus interdits de courrier, parce que ne correspondant pas aux normes réglementaires, parce que écrites dans une langue maternelle et interdite.
Fonctions et aspects de ces lettres. Elles ont une importance vitale (par exemple quand elles permettent d’introduire des médicaments indispensables à la survie de l’interné ou lorsqu’elles ont contribué à faire cesser des expériences mortelles à l’intérieur du camp). Le chercheur a établi une typologie des contenus : il peut être communicatif, informatif, conspiratif, militant, thérapeutique, transcendantal (permettre l’évasion mentale, la réflexion philosophique, la lutte contre la dépersonnalisation).
Valeur épistémologique. Quatre critères ont été identifiés pour évaluer la valeur épistémologique de ces correspondances afin de déterminer dans quelle mesure elle permettent d’accéder à la vérité des camps : il en résulte qu’elles ne sont pas représentatives de la population internée et qu’elles n’ont pas de valeur littéraire ; mais elles ont une grande valeur historique en fournissant des informations fiables sur la réalité des camps.
Typologie. Ces lettres illégales peuvent être classées en diverses catégories : celles qui contiennent des messages secrets, codés ou cryptés ; les lettres illustrées ; les lettres clandestines ; les lettres jetées des trains de déportation ; les lettres enfouies dans le sol des camps.
Joël Drogland
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