Enthousiaste, passionnée, gourmande, tels sont les mots qui reviennent spontanément pour qualifier Michèle Barrière, historienne de la gastronomie, qui fait la promotion de son dernier livre: La France à table (Les arènes, 2015). L’ouvrage se présente comme un livre objet, contenant pêle-mêle cartes, recettes manuscrites, anecdotes autour de la cuisine française et de ses usages depuis 1870 jusqu’à la Nouvelle Cuisine.
Pour débuter sur une note plaisante à l’heure du déjeuner, des assiettes rouges sont distribuées aux assistants, garnies d’une étrange mixture sucré-salé. Il s’agit de la salade du Brésil du célèbre Escoffier, c’est-à-dire un mélange de riz, d’ananas, de crème et de citron. Une préparation plus simple à présenter que le bœuf Frascati…
Comment commencer sans parler du fameux Maître Auguste Escoffier, cuisinier des rois, rois des cuisiniers, dont le règne ne s’achève véritablement qu’avec la Nouvelle cuisine. Escoffier est réputé être l’inventeur du restaurant. Ce n’est pas un cuisinier inventif au sens où on l’entendrait aujourd’hui mais un cuisinier qui veut mettre en avant les produits nobles, les truffes, le caviar ou le foie gras. C’est aussi un cuisinier soucieux de la bonne organisation de son personnel: il invente la brigade, hiérarchisée et organisée, où chacun met la main à la pâte pour préparer un plat. Sa chance est d’avoir croisé la route en 1884 de César Ritz, venu du Valais, serveur raté mais directeur bientôt très talentueux d’hôtels de luxe comme le Carlton sur la Côte d’Azur. En 1898, Escoffier se retrouve ainsi aux fourneaux du majestueux Hôtel du Ritz place Vendôme. Son sens du détail est tel qu’il exige de faire raboter les pieds des tables jugées trop hautes pour les clients. Cette exigence, Escoffier sait aussi l’avoir pour le bien-être de ses commis: il leur obtient une retraite, pour la première fois dans l’histoire de la cuisine.
C’est l’époque des restaurants en général, de la gargote aux établissements de qualité en passant par la brasserie et la table d’hôtes. C’est aussi le moment où la cuisine change, où l’on abandonne la plupart des épices, où l’on aime les plats mijotés, la daube, le pot-au-feu, où l’on découvre de nouvelles salades, l’endive, le flageolet, etc. On apprécie la viande, notamment le gibier mais on craint la goutte. Les classes moyennes suivent. Avec l’industrialisation, on découvre les produits Maggi, les biscottes Heudebert ou les biscuits Petit Lu. C’est enfin l’époque de l’épicerie, avec sa machine à jambon et son vin à la tireuse, ainsi que celle des magasins Félix Potin. L’hypermarché ne vient que bien plus tard, dans les années 1960 seulement. A côté des restaurants traditionnels, on vend des gâteaux et des pâtisseries. Le mille-feuilles apparaît en 1867, le Paris-Brest en 1891, à peu près en même temps que l’éclair et le mont-blanc.
Des pages, linéarité chronologique oblige, sont consacrées à la cuisine des tranchées. Le sujet est difficile mais son traitement révèle quelques surprises. Outre les inévitables différences de traitement entre généraux et hommes de troupe, la ration est certes bien chiche mais elle est agrémentée du contenu des colis envoyés des quatre coins du pays par les familles. On peut ainsi manger du confit de foie gras du Sud-Ouest avec de l’Emmental. Quelques recettes de cuisine des poilus sont d’ailleurs inscrites dans le livre à toutes fins utiles.
Après la guerre, la cuisine des palaces est moins à la mode. On préfère la cuisine régionale, découverte à la faveur du Guide Michelin. Cette cuisine se présente comme traditionnelle même si elle est de conception récente. La figure emblématique de cette cuisine est la Mère Brazier de Lyon. Eugénie Brazier est la première femme à avoir obtenu deux étoiles pour ses deux restaurants. La dame est connue pour sa cuisine de l’artichaut au foie gras, de la volaille demi-deuil et aussi pour son épouvantable caractère qui ne rebute pourtant pas E. Herriot, maire de la ville et grand habitué. A côté de cette cuisine de province, se développe celle des paquebots. Le livre reproduit quelques menus servis à bord du Normandie et même ceux servis à la clientèle …canine. Dans un autre registre, le salon des arts ménagers diffuse les premiers fours à gaz tandis que l’exposition coloniale initie le public parisien aux goûts exotiques.
L’Occupation est une seconde éclipse culinaire, où l’on apprend à faire du pâté de foie sans foie, où l’on accommode les rutabagas comme l’on peut, où l’on compose avec les restrictions tatillonnes qui ne disparaissent qu’à la veille des années 1950.
Les années 1960 approfondissent les nouveautés de l’Entre-deux-guerres. Au chapitre des nouveautés, on découvre la cocotte minute, les émissions de cuisine à la télévision comme celle de Catherine Langeais et de Raymond Olivier, etc. La cuisine conquiert également l’aviation. Après le fruste panier-repas vendu à l’embarquement, les restaurants d’aéroports fréquentés à chaque escale, de vrais repas sont servis à bord. Des cuisines sont aménagées à Orly et des grands chefs sont sollicités. A l’Elysée, haut lieu de la diplomatie à table, la grande cuisine française sert les intérêts de la France. Pour l’illustrer, le menu servi à la reine Elizabeth II lors de sa visite d’Etat est reproduit, ainsi que le plan de table.
Le livre s’achève par un commentaire sur la Nouvelle Cuisine, promue par Gault et Millau. La cuisine est plus simple, plus légère, plus inventive, même si cette dernière est parfois poussée jusqu’à la caricature.
Il n’y a pas vraiment eu de séance de questions à l’issue de la conférence, un homme du public s’étant accaparé le micro pour se plaindre du manque d’inventivité des chefs d’aujourd’hui, du coût exorbitant des restaurants chics de Blois, du déclin de la France…