Ancienne élève de l’ENS de Sèvres, professeur agrégée, docteur, Christiane Klapisch-Zuber est aujourd’hui retraitée mais a été directrice d’études à l’EHESS de 1981 à 2002. Ses recherches ont porté sur l’histoire sociale et anthropologique de l’Italie de la fin du Moyen Age et de la Renaissance, sur l’art, l’histoire de la famille et des femmes. Elle présente ici son dernier ouvrage, Le voleur de Paradis : le bon larron dans l’art et la société (XIVe-XVIe siècles), paru chez Alma.
Le bon larron était l’un des brigands crucifiés à côté de Jésus. Au lieu de se moquer, ce bon larron reconnaît en Jésus le Fils de Dieu, lequel lui promet qu’il sera bientôt avec lui dans le royaume des cieux. Ce récit est contenu dans l’Evangile selon saint Luc –les trois autres Evangiles estimant que les deux brigands s’étaient moqués du Christ.
J.M. Montremy: pourquoi travailler sur le bon larron quand on est une habituée de Florence à la fin du Moyen Age?
- C. Klapisch-Zuber: Tout d’abord, le livre n’est pas un livre d’art au sens strict mais un livre d’analyse de l’image. L’image du bon larron permet à l’historien d’étudier les représentations de la société sur ce personnage et plus largement sur la justice et la perception des condamnés. Dans une société chrétienne, il ne va pas de soi d’intégrer un saint qui a été condamné à mort certes, mais pas pour sa foi, qui n’a réalisé aucun miracle et qui est pourtant le seul à avoir reçu la promesse de la grâce par Jésus lui-même. On comprend mieux l’exclamation de Bernardin de Sienne, prédicateur en 1425: » Ce larron, quel sacré personnage […] il vola le Royaume de Dieu ». Ce bon larron, appelé « Dismas » ou « Desmas », est souvent représenté sur les retables figurant le Calvaire avec un ange récupérant son âme, quand un diablotin prend celui du mauvais larron. Le visage du bon larron est souvent calqué sur celui du Christ. En Italie du Nord, les calvaires sont de plus en plus précis.
Dans les liturgies judiciaires, des confréries laïques accompagnaient les condamnés à mort pour recueillir jusqu’au dernier moment si besoin leur repentir. Un texte dévoilé montre le souhait d’un condamné de faire brosser, après sa mort, le portrait du bon larron au dos d’un pilier, dans l’espoir d’obtenir son salut. Le bon larron a donc un usage très concret à la fin du XVe siècle. Le bon larron a également une résonnance dans les débats sur le Purgatoire. Erasme a ainsi pu écrire qu’un condamné écartelé pour avoir semé une révolte pouvait être sauvé immédiatement quand un autre, ayant mené une vie plus paisible, ne le serait pas forcément.
J.M. Montremy: Sur le chemin de son supplice, on faisait porter devant les yeux du condamné une « tavoletta », c’est-à-dire une image représentant d’autres condamnés agenouillés devant la Vierge. L’image l’empêchait ainsi de voir la foule. Mais malgré tout, il pouvait y avoir un échange.
- C. Klapisch-Zuber: Lorsqu’une foule estimait que le condamné était innocent ou s’était repenti, elle le suivait et pouvait même s’en prendre au bourreau! Dismas devient un patron de la bonne mort à la fin du Moyen Age, ce qui lance un débat plus général sur le droit d’un condamné à se confesser et à communier en cas de repentance. En Italie et en Allemagne, ce droit semble accepté, ce qui n’est pas le cas en France et en Espagne. Par ailleurs, le bon larron, outre les liturgies judiciaires, était aussi vénéré dans les récits de pèlerinage au Saint-Sépulcre.
J.M. Montremy: On se rendait à Jérusalem pour se représenter mentalement la montée au Calvaire.
- C. Klapisch-Zuber: Quand ils rentraient en Europe, les pèlerins avaient une perception modifiée du calvaire et pouvaient du coup influencer les représentations picturales de l’événement.
J.M. Montremy: Ces témoignages sont d’ailleurs très précis et très vivants.
- C. Klapisch-Zuber: La figure du bon larron s’étend du XVe au XVIe siècle. Depuis Giotto, il est représenté comme accompagnant le Christ aux Limbes, ce lieu intermédiaire en attendant la grâce. Le larron est une sorte d’ombre du Christ.
Question : d’où vient ce nom de Dismas ?
- C. Klapisch-Zuber: Dismas est un nom apparu dans les Eglises copte et syriaque, Gestas étant le mauvais larron, même si l’on a pu constater des inversions de noms. Il y a également des interpénétrations de récits avec par exemple une version où le Christ serait apparu à la mère