Table ronde
Vendredi 9 octobre 11h30
« Les empires, vecteurs de mondialisation ? »……et historiographie !
La maison de la magie était pleine à craquer pour un débat feutré et amical, à tu et à toi, entre Pierre Singaravélou, jeune historien spécialiste des empires coloniaux français et britannique, qui animait le débat, Patrick Boucheron, médiéviste officiant au collège de France, et Serge Gruzinski, expert en mondialisation hispano-lusitanienne et qui enseigne au Brésil.
Le fil conducteur du débat a été finalement peu suivi, tant la réponse semblait évidente. En fait les débats ont tourné autour des différentes mondialisations, de l’historiographie récente, d’histoire connectée, « défatalisée » et réversible.
Un débat plus adressé aux enseignants, d’autant plus qu’une des conférences de l’après-midi étaient destinées aux programmes.
Patrick Boucheron ouvrait les débats en rappelant les deux définitions de l’imperium, à la fois dans sa version guerrière et expansionniste et dans sa version « creuset » culturel, avant de rajouter que pour penser la mondialisation aujourd’hui, il fallait aussi penser à un nouveau monde global, où plusieurs types de mondialisations existent, et ont existé. Peut-être sans en avoir conscience, car ce que nous projetons aujourd’hui sur la mondialisation est fondée sur des paradigmes contemporains. La rétroprojection de notre pensée du XXI° siècle peine à s’adapter aux logiques anciennes.
MONDIALISATION MONGOLE
Ainsi on peut parler pour l’Empire mongol de Gengis Khan, longuement évoqué par Patrick Boucheron, de « mondialisation mongole » s’étendant de Pékin à Moscou, avec les deux aspects impériaux d’expansionnisme militaire couplé avec une diffusion de modes culturels asiatiques vers l’Ouest (usage des nouilles, des jeux de cartes) et une relative tolérance pour les peuples soumis. Pas sûr que Gengis Khan et son fils Tamerlan ne se soient envisagés comme « vecteurs de mondialisation ». Par contre, Patrick Boucheron insiste sur le fait que les mondialisations post-mongoles se sont faites non plus à partir du centre, Samarkhand, mais des marges orientales (Inde) et occidentales (Espagne et Portugal), tout comme la fin de l’Empire romain avait profité à Byzance à l’Est et à Aix La Chapelle à l’Ouest…. De fait, chaque peuple vit l’histoire de la mondialisation de façon assez subjective, et parfois contrefactuelle, en ce sens que l’idée de « et si…. » devient réalité historique. Prenons le cas de la Chine, évoqué par Gruzinski et Boucheron. De nombreux livres proposent des versions alternatives et sinophiles, ou sino-centrées de l’Histoire, comme celui de Gavin Menzies qui, dans « 1421, the year when China discovered the World » revisite le dogme européen des « grandes découvertes » en survalorisant les voyages de Zheng He, amiral chinois musulman qui aurait, donc, découvert l’Amérique et l’Australie avant les Européens mais aurait aussi laissé ces continents intacts. Un discours sur lequel s’appuie la Chine contemporaine, montrant qu’elle n’a jamais été un empire colonisateur mais que son retour en force sur la scène mondiale n’est qu’une suite logique des expéditions africaines et asiatiques du navigateur, interrompues par le grand repli sur elle-même que la Chine amorce du XV° au XX° siècle.
Le fait est que la mondialisation transatlantique fut hispano-lusitanienne, puis européenne, au grand désarroi de l’Empire Ottoman qui se désole de voir tant d’âmes converties au christianisme plutôt qu’à l’Islam.
ESCHATOLOGISME IMPERIAL MUSULMAN ET DAECH ?
Cela permettait à Patrick Boucheron de rebondir sur la vision eschatologique et apocalyptique de l’empire musulman, soulignant que le califat des Abbassides, mis à bas par Gengis Khan, était celui que Daech voulait rétablir, rappelant aussi que dans certains hadith l’attaque du califat par les Roumis précédait la fin du monde…..de la à faire le parallèle sur l’activisme récent des Russes en Syrie, il n’y avait qu’un pas franchi par Patrick Boucheron qui, plus tard, peut être par inadvertance assimilait l’empire Ottoman à l’empire islamique….
On était alors parti un peu loin de notre sujet de début. En recentrant les questions, Pierre Singaravélou menait petit à petit sur d’autres pistes.
ROMAN NATIONAL, HISTOIRE GLOBALE, HISTOIRE CONNECTEE
On finissait en effet par aborder des thèmes d’actualité en historiographie. Pour Patrick Boucheron, il s’agissait de savoir quand en on aurait fini avec le roman national, récit franco-centré mythifié par Lavisse et remis au goût du jour par Pierre Nora et Patrice Gueniffey. On se souvient que lors de la réforme du collège la droite avait protesté par l’irruption jugée trop massive de l’histoire globale, portée par des ouvrages comme « La naissance du Monde moderne » de Christopher Bayley. Serge Gruzinski faisait remarque que, outre le fait que l’historiographie anglo-saxonne avait modifié nos habitudes franco-centrées, bon nombre d’écoles étaient encore inaudibles faute d’écrire, justement, en anglais. Il évoquait notamment l’école Brésilienne et, plus globalement, l’école latino-américaine où les problématiques européennes sont appréhendées différemment. A tire d’exemple, il rappelait que la crise du catholicisme telle qu’on la vit en Europe et en France ne signifie rien en Amérique latine, et en particulier depuis l’accession de Jorge Bergoglio à la papauté.
Fallait-il alors abandonner le local, le franco-français au profit du global ? Pas pour autant. A la fois Singaravélou, Boucheron et Gruzinski tombaient d’accord sur une « histoire connectée ». Décentraliser le récit, certes, d’autant plus que tout le monde aurait parfois intérêt à centraliser le récit, à l’image de la réécriture de l’Histoire en Asie (Chine, Japon). Mais aussi toujours garder un œil sur l’histoire locale, tout en n’en occultant pas le contexte global. Plusieurs millions de récits locaux ou nationaux connectés bâtissant une histoire globale…..
Comme de nombreuses tables rondes de début de RVH, celle-ci avait l’avantage et l’intérêt d’ouvrir de nombreuses pistes de réflexion, des pistes qui seraient reprises plus tard dans les conférences tenues à Blois cette année.
Mathieu Souyris