Faut-il présenter Gérard Chaliand ? A toutes fins utiles, ce lien assez complet
La présentation de Gérard Chaliand sur Diploweb
auquel il faut ajouter son dernier ouvrage qu’il publie avec A. Blin en septembre 2015 chez Fayard :
« Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Daech »
Définition : Daesh en anglais ou Daech : parfois désigné par l’acronyme anglais ISIS ou par l’acronyme arabe Daech (en arabe داعش, Dāʿiš [ˈdaːʕiʃ ] ; transcription anglaise Daesh), principalement par les opposants au mouvement djihadiste.
Quelques rappels: G. Chaliand commence par rappeler l’intervention américaine en Irak de 2003, moment où les néoconservateurs s’imposent, et où les américains triomphent à Bagdad. Le dessein américain de créer « un grand Moyen-Orient » devait commencer par l’Irak, puis on « tordrait le bras à Bachar-El-Assad » et enfin on se retournerait contre l’Iran… Mais voilà : le grand projet a tourné au fiasco. Seule Bagdad a été prise. Le père de G.W. Bush avait décidé de na pas renverser S. Hussein et de prendre Bagdad en 1991, car si S. Hussein tombait, les chi’ites seraient arrivés au pouvoir. Or le gouvernement américain n’en voulait à aucun prix. Les États-Unis dominaient alors le monde d’une manière et dans des conditions qu’ils n’ont plus jamais connues par la suite.
Mais voilà : ce remodelage du « Grand Moyen Orient » a échoué. Les Chi’ites arrivent au pouvoir, Paul Bremer renvoie 300.000 policiers sunnites (membres du parti Baasiste pour la plupart). Les américains décident qu’aucun ancien membre du parti Baas ne sera membre du nouveau gouvernement ; du coup le ressentiment des sunnites chassés du pouvoir est décuplé contre les américains. Comme partout on avait sa carte au parti Baas pour avoir un emploi, pas par conviction politique… Or les sunnites sont au pouvoir depuis le début du XXème siècle et même depuis l’Empire Ottoman. Dépossédés du pouvoir par des hérétiques (Chi’ites et Kurdes) les sunnites refusent d’accepter leur défaite. Car une défaite non admise n’est pas une défaite. Ces sunnites vont continuer à se battre jusqu’en 2005, 2007 et 2008. Ils vont s’inspirer des luttes et guérillas vietnamiennes, cambodgiennes, alors que les États-Unis ne semblent pas avoir retenus les leçons de la guerre du Vietnam. Ils se battent, selon eux, au nom des « musulmans » contre des non-musulmans. Ces ex-baasistes se radicalisent et rejoignent les islamistes.
Daech qu’est-ce ? La base ce sont les « Frères musulmans » (1928 en Égypte), les saoudiens wahabbites qui veulent et soutiennent « l’Ouma ». La crise pétrolière de 1974 leur fournit des revenus inespérés (prix du pétrole X4), ils deviennent riches, construisent des mosquées et des madrasas. L’arrivée de Khomeiny au pouvoir à Téhéran en 1979 permet la naissance d’un état théocratique.
Hors pour les saoudiens, c’est un « hérétique », l’équivalent du « protestant » pour des catholiques de jadis. L’intervention soviétique en Afghanistan va permettre aux sunnites de combattre les soviétiques et leurs alliés au pouvoir à Kaboul, à partir du Pakistan. Il existe bien d’autres minorités fortes combattantes dans la région : comme le Hezbollah au Liban, qui représente 35% de la population libanaise et qui est payée, soutenue par l’Iran, les Alaouites etc. Mais globalement, il faut voir derrière Daech deux grands acteurs : l’Arabie Saoudite et l’Iran. Un troisième acteur est la Turquie, passant pour un « champion du sunnisme ». Mais il aide les combattants djihadistes tout en affirmant les combattre… En 2011 le régime de Ben Ali s’effondre en Tunisie, puis c’est celui de Moubarak, puis cela touche le Yémen, Bahreïn (mais sans effondrement car base de la Vème flotte américaine La Veme flotte, la Libye, puis la Syrie.
La répression s’exerce contre les plus modérés les moins engagés des opposants, ce qui aboutit à ce qu’il n’y ait plus que deux acteurs : Bachar et les djihadistes. Les irakiens qui fuient la guerre en Irak rejoignent la moitié Est de la Syrie (1 million d’habitants dans le Levant irakien contre 20 dans la moitié ouest du pays) . Le front Jabhat al-Nosra allié à Al-Qaïda représente ce groupe historique localement et celui qui dirigerait Daesh actuellement est Abou Bakr al-Baghdadi Le Calife Ibrahim. Or ce dernier rompt avec Al Qaïda au profit des groupes plus révolutionnaires et radicaux. La frontière turque reste ouverte, et pétrole, blessés et bien d’autres choses passent. Daesh s’étoffe, grandit avec l’arrivée des opprimés du régime irakien chi’ite. Mieux, ils défont cette armée d’opérette irakienne, pourtant formée pendant 7/8 ans par les Etats-Unis et qui déserte devant Mossoul en 2014. Suit l’effondrement et le départ de Nuri Al-Maliki en 2014 de son poste de premier ministre d’Irak (depuis 2006) et l’arrivée des volontaires de Tunisie, Libye, d’Egypte, du Yémen, de Syrie, du Caucase et même d’Europe !
Daesh est un mouvement dont le noyau est irakien. Daesh domine la partie sunnite de l’Irak (6 millions d’habitants et 1,5 million en Syrie-partie Est du Levant. [On aurait aimé des cartes et des visuels à ce moment de la conférence,car nous nous demandons qui peut bien suivre cette conférence « hors sol » quasiment, hormis les initiés ?] On territorialise la frontière car il n’y a rien en fait…
Des groupes ailleurs, comme en Afrique subsaharienne, ont rallié Daesh, « cheval au poil plus luisant »(sic) comme Boko Haram. Daecha progressé, avancé sur le centre de la Syrie, pris Palmyre et Nimrud. Mais sur le plan militaire c’est peu. Ce qui les porte c’est la Toile, le Web. Des méthodes nouvelles (barbaries et l’horreur mises en scène) et en même temps très anciennes ( les assyriens rasaient et détruisaient les cités qui ne se rendaient pas, et les mongols agirent aussi de la sorte -parfois peu nombreux, mais la terreur les précédaient-).La vidéo du sacrifice d’un pilote jordanien fut théâtralisée au plus haut point car reprise par les télés en continu : cela tourne en boucle pour affoler le monde (des images sans recul qui provoquent l’émotion, c’est ce qu’ils cherchent).
Les Etats-Unis décident d’arrêter EIIL à Erbil mais sans troupes au sol (voir les bilans des guerres d’Irak et d’Afghanistan qui sont des échecs). Les talibans ont repris les campagnes en Afghanistan, les américains ne tiennent plus que les villes. Ces mêmes talibans y rendent la justice, pas les Etats-Unis ni le pouvoir faible afghan. Les américains partis d’Irak ont échoué et aujourd’hui leur dernière décision de rester en Afghanistan montre une politique hésitante. Paradoxe c’est celui qui est le plus fort (militairement) qui est sur le terrain en position de faiblesse !… Pour les occidentaux, il ne faut pas refaire l’erreur grave de l’entrée en guerre en Libye, en outrepassant les mandats de l’ONU, en liquidant Khadafi et laissant la Libye dans le chaos avec des islamistes au pouvoir !
Dans cette lutte contre Daesh, éviction de V. Poutine ? Les États-Unis jouent actuellement le refoulement+ l’endiguement contre la Russie. Mais si la Russie perd l’Ukraine de sa zone d’influence, elle reprend la Crimée, redonnée à l’URSS en 1954. Et cela presque sans effusion de sang. Les États-Unis ont désormais deux adversaires ; Poutine et Bachar el-Assad.
Pour V. Poutine quel est le problème ? C’est la perte de l’Ukraine pour constituer une très grande alliance russo-asiatique (c’est 20% du PIB de la Russie et son proche étranger). V. Poutine veut reprendre pied en Syrie car l’URSS y fut évincée par Sadate. De plus, ne pas devoir faire face aux djihadistes qui reviendraient par le Caucase soutenus par les saoudiens et les turcs.
Et la Turquie face à Daech ? Elle a refusé longtemps aux occidentaux l’utilisation de sa base d’Incirlik pour frapper Daech en Syrie mais a fini par l’accepter à la fin Juillet 2015 avec toutefois l’exclusion de survol de la zone kurde au nord de la Syrie.
Al Qaîda est-il respectable ? Non selon G. Chaliand. Ils veulent déstabiliser le système/monde occidental. Mais les « idéologies et les convictions ne se bombardent pas » selon lui. L’Afrique subsaharienne est-elle une terre prospère de l’Islamisme et du Djihadisme? Oui. Où sont les écoles, les établissements de soins, les signes tangibles du développement, dans ces territoires, parties d’états ex-colonisés ? Beaucoup de pays se sont sortis de la misère après la décolonisation (Vietnam, la Corée du Sud, Inde, et même la Chine). Mais d’autres geignent, se plaignent ne font rien. Les islamistes ne travaillent pas (sic), ils font la guerre…[des propos qui n’engagent, à mon sens, que le conférencier car ils me semblent contestatbles]
Questions :
- Daech impliqué dans la Cyberguerre ? Non, les américains, chinois, russes qui espionnent n’ont pas à se soucier de ce côté-là.
- Buts de guerre de la France ? Des occidentaux ? Se débarrasser de Bachar el-Assad puis de Daech, une politique d’adaptation, mais pas de vision à long terme.
- Incidence du conflit israélo- palestinien ici ? Rien à voir. Ce n’est pas le sujet.
- La Tunisie ? Elle ne doit pas tomber dans le panneau islamiste. Mais les opinions occidentales ne veulent plus faire la guerre. Cela coûte beaucoup trop cher et on en a plus les moyens.
- Qui finance Daech ? L’Arabie Saoudite et surtout des fonds privés. Les guerres d’agression sont contraires aux lois de l’Islam. L’Arabie Saoudite déteste les frères musulmans, l’Égypte, le Qatar et les Turcs aussi.
- Position de la Chine de l’Inde face à Daech? Ils voient d’un très mauvais œil l’islamisme et son expansion (Pb des Ouighours en Chine, 150 millions de musulmans en Inde). Mais ils n’agissent pas de concert avec les occidentaux. Ils le font en sous-main…
Au total une conférence très intéressante, riche même si beaucoup de ce fut dit était connu d’un public enseignant averti, mais beaucoup moins du grand public. L’austérité (tenue vestimentaire, voile noir en arrière plan, une bouteille d’eau sur la table…) du décor et du conférencier, si elle participe au côté sobre/« noir » de cette intervention ne saurait aujourd’hui s’affranchir de cartes, d’un plan et de visuels permettant aux moins aguerris de cette question de pouvoir suivre, comprendre et prendre leurs notes ! ce qui s’appelle, en d’autres termes plus simplement… de la pédagogie.
Deux autres versions de cette conférence
Deborah Codron
Jean-Michel Crosnier