A priori, il était difficile d’établir un lien entre cet atelier et le thème 2016 des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois, « partir ». Mais une expo de photos menant à la salle capitulaire retraçait, sur le mode « partir en Algérie / partir d’Algérie », l’arrivée du contingent militaire à partir de 1954 et le départ des Pieds-Noirs et des Harkis à partir de 1962.
L’atelier, lui, était quelque peu perturbé par l’absence d’une des intervenantes, et fut animé par Élise Tokuoka, responsable des actions pédagogiques de l’ECPAD et Damien Vitry, documentaliste dans la même structure. L’Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense, sis au fort d’Ivry sur Seine, rassemble depuis 1915 les photos et les films pris pendant les conflits, au début pour évaluer la réalité des destructions de guerre, aujourd’hui pour produire des « images preuves » réclamées par la CPI, entre autres.
Quand le conflit éclate en 1954, la Section photographique et Cinématographique des Armées (SCA) est sous-dimensionnée à Alger, et il faut faire venir des gens d’autres sections, notamment d’Allemagne. Comme il s’agit d’un service « aux ordres », la SCA n’a aucune indépendance, et les photographes et les opérateurs s’auto-censurent ou répondent à des commandes : films de propagande/communication, films servant de formation aux futures soldats, films montrant des « actions psychologiques », c’est à dire de grands rassemblements de foules algériennes venues écouter le discours officiel. Ce qui est intéressant, et en même temps tout à fait compréhensible au vu du contexte, c’est que la SCA va évoluer, avec trois périodes distinctes : de 1954 à 1956 il est un peu sans véritable contrôle, et montre, entre autre, des soldats abattus. La seconde période va bannir les morts français des photos et des films, avec une valorisation de l’action de l’armée, à la fois du point de vue militaire mais aussi du point de vue culturel et, pour reprendre les termes d’un des films, « Le Képi Bleu », « civilisationnel ». En regardant ces films tournés par de bons opérateurs, avec une musique très marquée années 50-60, on a parfois l’impression de se retrouver dans une sorte de Ben-Hur moderne, les centurions romains étant remplacés par les officiers du SAS. A partir de 1959 la SCA prépare l’opinion à la perte de l’Algérie, avec des vues de plus en plus techniques et éloignées du sujet, sur le thème « gagner la guerre pour préparer la paix », en obtenant, notamment, le maintien jusqu’en 1965 des bases sahariennes comme le montre un autre film de la SCA, mais où l’Algérie n’est plus du tout représentée comme une partie de la France, mais comme un pays exotique et surprenant.
En dehors des photos et des films de la SCA, l’ECPAD possède aussi des photos issues de fonds privés. En cette période de croissance économique, de nombreux soldats avaient pu acquérir des appareils photos de type Kodak Rétinette ou Foca Universel. Bien qu’en théorie interdites, les prises de vues étaient en pratiques autorisées par les commandants d’unité, en particulier parce que le public visé était restreint. Ces fonds privés sont intéressants parce que chacun montre une réalité de la guerre : forte empathie avec les commandos pour certains (fond Flament), identification de cadavres pour d’autres, vie quotidienne et actions psychologique pour le fond Roudeau ou encore vision très empathique avec les populations algériennes, à l’image du fond Mestrallet, un instituteur militaire, en diamétrale opposition avec le fond Flament.
L’ensemble de ces images et de ces films, disponibles notamment dans l’espace édutec ou dans la fresque INA sur la guerre d’Algérie permettent de poser un regard diversifié sur le conflit, qui peut arriver en complément des films d’auteurs comme « L’Ennemi Intime » ou « Loin des Hommes ». On aura juste pu regretter quelques flottements dans la mise en place des films, qui n étaient pas téléchargés à l’avance.
Mathieu Souyris, lycée Paul Sabatier, Carcassonne