L’idée centrale de ce sujet, évoquée dès l’introduction, résidait dans la fonction fondatrice de l’itinéraire et de la mobilité d’apprentissage pour l’Europe des humanistes. Cependant, la période de la Renaissance et l’époque moderne ne furent évoquées que de façon très lacunaire dans l’introduction, faisant ainsi naître un sentiment de frustration vis-à-vis de ce qui avait été annoncé. Nous nous attendions en effet, au vue de l’intitulé, à l’évocation d’emblématiques figures telle que celle d’Érasme (le lien avec le nom du projet Erasmus étant plus qu’évident), aux récits de leurs voyages ; mais également à la mise en exergue de l’importance de la mobilité dans la diffusion des idées et des connaissances à cette époque, de leurs évolutions, des différents obstacles qu’elles ont pu rencontrer dans les différents pays traversés… Mais rien de tout cela. Si la temporalité annoncée ne fut pas respectée, la fin du XIXè siècle étant retenue comme point de départ de la conférence, les « hommes » étudiés furent réduits aux seuls étudiants, que ce soit dans le cadre universitaire ou professionnel. Le titre ne correspondant pas au contenu, il aurait été préférable d’en changer afin de ne pas décevoir l’auditoire.
Néanmoins, cette intervention fut intéressante, ne serait-ce que pour l’évocation du compagnonnage, qui est une institution encore assez méconnue du grand public. Le « partir » dont il a ici été question n’est pas le partir dans le sens quitter, mais plutôt celui du partir pour apprendre, pour se former, pour s’ouvrir à d’autres cultures. Et même si cela implique une rupture, cette dernière transforme le voyageur.
L’essentiel de cette communication fut donc axée sur la circulation et l’internationalisation des étudiants, à partir de la fin du XIXè siècle. C’est Guillaume TRONCHET, chercheur associé à l’IHMC de Paris et ayant fait sa thèse sur la politique universitaire internationale de la France, qui prit le premier la parole (dont le débit fut un peu trop rapide parfois) et qui évoqua dans les grandes lignes l’histoire de cette migration estudiantine. Cette dernière connut, à cette époque, une intensification tournée de plus en plus vers l’Europe (en cause, entre autres, l’attraction grandissante des capitales dans les domaines touristique et universitaire ainsi que la logique de nationalisation des sociétés européennes). Les « migrants » étudiants viennent alors principalement des pays en construction d’Europe de l’est, auxquels il faut rajouter ceux issus de l’exil académique (tels que les Juifs russes). Cette volonté de mobilité rencontre celle des politiques, notamment française, d’attirer les élites étrangères afin de rayonner à l’échelle internationale (un classement des universités existait déjà). Dès les années 1910, un processus d’étatisation se met en marche. L’entre deux guerres voit également l’émergence d’une dualité dans la gestion des mobilités, une bicéphalie encore en place de nos jours avec la lutte entre l’Éducation nationale et le Ministère des affaires étrangères sur cette question. Le processus s’amplifie dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de « logique pacifique » avec la création de programmes d’échanges et de bourses pour les étudiants. Se pose alors déjà la question des diplômes et des équivalences. Néanmoins, cette migration reste celle d’élites, et il faut attendre les années 1950 pour voir sa démocratisation et sa massification. Les années 1950 sont également marquées par un basculement des pôles d’accueil des étudiants, qui coïncide avec la bipolarisation géopolitique de l’époque : les étudiants se tournent vers les États-Unis et l’URSS. De nos jours, et dans le système de mondialisation des connaissances, de nouveaux pôles ont émergé comme les pôles anglophones (Angleterre, Canada, Australie…) ou le pôle asiatique. En Europe, les années 1970-1990 marquent le passage d’une Europe qui ne met pas en place de coopération à une Europe intégrée et coopérative. L’exemple le plus parlant est la création en 1976 d’un programme d’échange dans le cadre universitaire, ancêtre du programme Erasmus (programme qui au début n’avait l’aval d’aucun pays européen, ces derniers ayant conclu de nombreux accords bilatéraux).
L’auditoire a ensuite pu découvrir une autre forme de « circulation des connaissances et des hommes » : celle du compagnonnage, expliquée par Jean-Claude BELLANGER, qui n’est autre que le secrétaire général de l’Association ouvrière des Compagnons du devoir et du Tour de France. Cette structure de formation, une des plus anciennes, a su traverser les siècles et perdurer dans le temps. Son objectif premier est de former professionnellement des jeunes, dans le cadre de stages en alternance. La dimension itinérante, les jeunes étant obligés d’accepter de quitter leur famille, leur confort, leurs habitudes, est au cœur de leur parcours et de la conception même de leur organisation. Si la mise en place du tour de France permit un enrichissement culturel, intellectuel, et personnel par la multiplication d’expériences professionnelles, l’ouverture des frontières européennes a quant à elle permis de donner une autre dimension à cet enrichissement. Désormais les apprentis ont obligation d’effectuer 3 semaines de stage à l’étranger, dans les 3 ans de leur formation. Le but de tout cela ? Étendre le regard et ouvrir les jeunes à d’autres cultures, à d’autres façons de faire.
La conférence s’est terminée par la prise de parole de Sandrine DOUCET, agrégée d’histoire-géographie et députée de la Gironde. Ce volet législatif fut axé sur la démocratisation de la mobilité et sur le programme Erasmus, devenu depuis 2014 le programme Erasmus + (programme de professionnalisation). Ce système de mobilité pose la question de l’équivalence et de la validation des compétences, notamment en ce qui concerne les fonctions hors du cadre universitaire : les services civiques, ceux qui ont quitté le circuit scolaire et qui travaillent en parcourant le monde… La mobilité est alors présentée comme constitutive de l’Union européenne. Mais les choses ne sont pas si faciles car les cadres sociaux des jeunes en apprentissage sont à l’opposé de l’image de la mobilité. Le point crucial, pour les politiques, est alors la démocratisation de cette mobilité. De nombreuses structurent militent pour cela telles que les maisons familiales et rurales. Néanmoins certains ont évoqué des dangers, des « perversions » de ce système de mobilité : les jeunes cherchant du travail pourraient, motivés par la mobilité, aller chercher du travail ailleurs et ainsi laisser vacant des postes en France. Mais, et la députée y tient, le programme Erasmus n’est pas cela. C’est la construction de la conscience, d’une identité et d’une citoyenneté européenne. Il s’agit également de la construction d’un regard sur les autres. Son intervention prend fin avec l’évocation des freins à la démocratisation de ce système. Ainsi, on apprend que dans certains pays européens, le volontariat du service civique n’est pas dans les mœurs et n’est donc pas apprécié ni encouragé.