Intervenantes :
Valérie Schafer médiatrice Retrouvez sa fiche [ici->http://www.iscc.cnrs.fr/spip.php?article1135]
Isabelle Veyrat Masson Retrouvez sa fiche [ici->http://www.lcp.cnrs.fr/spip.php?article46]
Cécile Méadel Retrouvez sa fiche de présentation [ici->https://www.u-paris2.fr/fr/universite/enseignants-chercheurs/mme-cecile-meadel]
Anne-Claude Ambroise Rendu Retrouvez son CV [ici->http://www.unilim.fr/criham/wp-content/uploads/sites/23/2015/10/CV-recherche.-ACAR.pdf]
François Delporte : absent
C’est dans la Maison de la Magie que se retrouvent intervenantes et auditoire pour échanger sur la question de la médiatisation des migrants et des représentations véhiculées depuis la fin du XIXème siècle.
La première intervenante, Anne-Claude Ambroise Rendu, débute son intervention en prenant le soin de contextualiser son propos : la fin du XIXème siècle est un moment clé pour la France car il s’agit de l’instant où celle-ci devient un pays d’immigration, au moment d’ailleurs où les techniques de recensement s’améliorent. Si les étrangers représentent alors 500 000 personnes en 1851, ils dépasseront le million trente ans plus tard, soit 3% de la population. Fort de ce constat Madame Rendu s’est proposé de discuter des conclusions de Gérard Nouriel dans sa publication de 2010 : Le massacre des Italiens – Aigues-Mortes, 17 août 1893
- Les journaux fabriquent une représentation du « nous » national.
- Les journaux s’emparent des statistiques pour donner davantage d’impact aux faits divers et renforcés les stéréotypes (l’italien au couteau)
- La politique sécuritaire est un aspect fondamental de la nationalisation de la société
Une remarque et quelques constats :
- Rappelons que dans l’imaginaire français de la fin du XIXème siècle, l’étranger débute très tôt : les habitants du village voisin sont déjà des « étrangers ».
- Les étrangers sont loin de représenter une grande part de la criminalité de l’époque : 4% des faits.
Comment expliquer alors cette dichotomie entre le discours et les faits ? Selon Madame Rendu Ceci a à voir avec la presse régionale qui a un fort impact dans la diffusion de représentations d’un étranger très divers selon les espaces : des italiens « violents », «sauvages » et des suisses « peu violents » dans la presse du Doubs, aux gitans « parasites » sur la frontière espagnole. Le système d’évaluation de la presse sur ces personnes dépend donc fortement de la position frontalière du territoire et du caractère largement rural de la population.
La situation est différente en ce qui concerne la presse nationale. Les rixes entre ouvriers français et étrangers font certes les choux gras des publications, et leurs multiplications témoignent de la montée d’une xénophobie ouvrière, qui n’est d’ailleurs pas condamnée par la presse, mais l’image des étrangers rapportée n’est pas menaçante globalement. Les commentaires sont plus ironiques qu’alarmistes au final. Il y a dans ces récits énormément de condescendance mais pas d’anxiété sécuritaire.
Pour notre conférencière l’étranger des faits divers occupe donc une position à mi-chemin entre l’ami et l’ennemi. Les grands crimes sanglants, qui alimentent le discours sécuritaire, sont très exceptionnellement commis par des étrangers. Et si les journaux composent des stéréotypes, sous réserve de vérifications complémentaires, nous pouvons dire que ceux-ci relèvent du rejet « classique » de l’étranger, tenant à la méfiance et au dédain de ce qui est nouveau. Le massacre d’Aigues Morte constitue une exception, notable certes, mais une exception. Il n’y a pas de vraie logique d’exclusion de la part des journaux. Il n’y a donc pas de discours criminalisant l’étranger dans la presse avant 1914.
Isabelle Veyrat Masson est la deuxième à prendre la parole pour aborder avec l’assistance des divers discours médiatiques sur l’immigration, et notamment l’immigration maghrébine. Ce qui ressort avant tout de ces recherches selon elle, c’est la nuance et la diversité des représentations et des images, selon les programmes, l’heure de diffusion, le format etc. Cependant nous pouvons arriver à distinguer un certain nombre de constances et un progressif passage dans l’imaginaire de l’immigré victime à l’immigré menace :
- Première période (années 1950-1960) : L’immigré-victime : victime de son désir de départ. Il part car son monde ne le retient pas (pauvreté, guerre). Il sera victime des mauvaises conditions de vie à son arrivée (humiliation, concurrence, pauvreté) et est très tôt victime du racisme. De nombreuses productions traiteront de la question du racisme et de l’acceptation : Mektoub, Dupont-Lajoie. Les étrangers sont au final aussi victimes d’eux-même, de leur culture qui les distingue et les isole. L’islam est très peu traité dans ces années-là, si ce n’est sur la question des harkis.
- Deuxième période : (1989-1990) : La démarcation et le malaise ambiant : Les femmes, le voile et les banlieues sont perçues peu à peu comme des attaques à la laïcité. Ces populations cessent de se cacher, mais grondent et veulent se faire remarquer.
- Troisième période (1995-aujourd’hui) : L’immigré-menace : La question de l’islam monte peu à peu et de l’image de l’immigré, nous passons à celle du musulman.
L’intervention d’Isabelle Veyrat-Masson se termine sur le visionnage d’extraits d’émissions qui illustrent cette chronologie et évolution. Le premier extrait que l’on retrouve sur le thème du « partir », c’est le départ des français vers l’Algérie pour la conquête et la fuite des pieds-noirs en 1962 (Les chevaux du soleil). Le deuxième extrait traite de la victimisation des immigrés (Château espérance). Le troisième extrait parle de la mémoire de cette immigration (Mémoire d’immigrés).
La troisième et dernière intervention de la conférence fut celle de la sociologue Cécile Méadel sur une affaire plus contemporaine encore : l’affaire Cologne.
Or, comme le montre très bien la conférencière, si nous tentons de recontextualiser le problème Cologne, force est de constater que le déroulé des faits nous échappe totalement : si la police locale parle d’une nuit paisible, les réseaux sociaux ne rapportent que peu de choses. Pour autant, au matin du 6 janvier, tout s’accélère, avec des témoignages en masse et paradoxalement très peu d’images.
Il est à noter pour la sociologue que l’affaire impressionne par l’écho médiatique suscité : c’est ainsi plus de 1000 articles publiés, sur plus de trois mois. Une multitude de récits rapportés se télescopent sur les évènements de la soirée. Des femmes auraient été agressées par des hommes arabes. Parfois ils sont alcoolisés, parfois ils sont d’origine syrienne, parfois ces attaques seraient le fait de la mafia marocaine, parfois il s’agirait de vols etc. De même les journaux qualifieront très différemment les évènements : pour certains il s’agit d’un fait divers, pour d’autres il s’agit d’un « évènement monstre » sorte de « perforation du tissu social » et pour d’autres encore une affaire judiciaire. De même sur la question de la responsabilité : pour certains c’est Angela Merkel, pour d’autres Daesh, le conservatisme musulman, la mafia etc. Tant et si bien que le terme « migrant » va incarner toutes ses variations sur le thème des acteurs et l’on voit bien que les migrants sont dans un « funeste tango » à la fois auteur et victimes de l’affaire de Cologne.
Toute l’affaire n’est donc qu’une succession de controverses et de contradictions : c’est pourquoi Cécile Méadel affirme que nous n’avons rien vu à Cologne.