À l’heure où notre système éducatif essuie sa plus sévère déconvenue avec la publication de PISA2022 et où nous, professeurs d’histoire-géographie et d’enseignement moral et civique, sommes plus que jamais en première ligne pour la transmission des valeurs républicaines et la contextualisation d’une actualité internationale éruptive, c’est avec stupéfaction que nous avons appris la tenue d’un rite religieux juif à l’Elysée ce jeudi 07 décembre en présence du président de la République.
La loi de 1905
S’il y a bien une chose qu’aucun pédagogue au monde ne peut contester, c’est la nécessité de l’exemplarité des adultes devant la jeunesse. Cette exemplarité, nous ne la fondons pas sur le terrain meuble des consciences personnelles des uns et des autres, même rassemblées autour d’un bon sens et de déclarations générales de principes, mais à partir du marbre de la loi républicaine, ici de celle de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Et que dit-elle cette loi, que nous enseignons tous les ans dans les classes et dont la teneur, par l’intermédiaire de la Charte de la laïcité, est affichée dans chaque établissement scolaire ?
Article 1. La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 2. La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […]
Depuis plus d’un siècle maintenant, cette loi s’applique et le chef de l’État s’en fait le garant, et les enseignants que nous sommes respectons scrupuleusement à notre tour, l’impératif de neutralité dans l’exercice de nos fonctions.
Le chef de l’État et la laïcité, sous le regard de nos élèves
Dans une tribune au Monde du 20 septembre dernier, Jean-Noël Jeanneney avait rappelé, à l’occasion de la présence annoncée d’Emmanuel Macron à la messe du pape François à Marseille, que tous les précédents historiques liant la présidence de la République aux cultes, commandaient infiniment de retenue.
Cette retenue, ce sens de la mesure, nous ne prétendons nullement en fixer le baromètre et dire à la place de qui de droit ce qu’il convient de faire. Nous sommes très soucieux que le chef de l’Etat puisse exercer en toute indépendance, ce qu’il croit nécessaire à la conduite de la nation.
Nous souhaitons simplement communiquer au président de la République que dans les classes, ses actions, ses propos et parfois aussi ses silences, peuvent affleurer dans l’échange avec les élèves. Il en est ainsi pour toute figure d’autorité, ce qu’il est incontestablement. Non pas que les professeurs se livrent à un fort malvenu commentaire politique de l’action présidentielle mais tout simplement, la parole des élèves est libre, notamment en cours d’enseignement moral et civique. Cette liberté de ton est indispensable à la transmission de nos valeurs et elle sert de matériau avec lequel chaque enseignant bâtit la culture laïque et républicaine qui accompagnera l’élève toute sa vie.
Le difficile enseignement de la laïcité
C’est d’ailleurs dans ce cadre que loin des cours figés sur « la laïcité interdit ceci », « la laïcité proscrit cela », les enseignants montrent que le lien des deux articles fondamentaux de la loi de 1905, à savoir la garantie de la liberté de conscience et de cultes », l' »intérêt de l’ordre public » et la neutralité de l’État, aboutit à un équilibre respectueux des droits de chacun et de tous à la fois. Cet équilibre peut être redéfini par ciselure à chaque jurisprudence mais malgré tout, le rappel de quelques principes centraux permettent de ramener la discussion sur un terrain stable.
Tout cela n’a rien d’évident à enseigner. Tout cela réclame une parfaite maîtrise du sujet et une grande sûreté du geste professionnel. Il faut, le plus souvent, se tenir prêt à répondre aux multiples questions spontanées des élèves et parfois à leurs objections : « moi je ne suis pas catholique mais je subis le sapin de Noël dans la cour de l’école », « pourquoi je devrais aller dans une cathédrale pour observer son décor gothique à la prochaine sortie scolaire ? « , « pourquoi ça dérange le symbole religieux sur la tête d’un élève ? », etc.
Ce n’est pas un hasard si rares sont les collègues des autres matières à se presser d’enseigner ces sujets en lycée. Ce n’est pas un hasard non plus s’il a fallu entamer depuis quelques années une très sévère montée en compétences des professeurs sur la question, à coups de vademecum, de formations, etc.
Que devons-nous dire à nos élèves ?
Tout cela pour dire quoi ?
Que demain 09 décembre, nous fêterons la laïcité car le hasard fait que la loi de 1905 est une loi du 9 décembre, qu’au prochain cours d’EMC, chaque enseignant de ce pays s’expose à ce genre de questions d’élève plus ou moins bien intentionnées : « on interdit les crèches dans les mairies mais on allume une bougie d’Hanouka à l’Elysée, comment est-ce possible ? », « Emmanuel Macron va voir les catholiques à Notre-Dame aujourd’hui, il est allé voir les juifs hier mais que fait-il pour les musulmans ? », « on peut avoir une pensée pour les Palestiniens ou les Israéliens mais on ne peut pas venir à l’école avec un drapeau ou un t-shirt de soutien, pourquoi là c’est différent ? », etc.
Nos élèves n’ont sans doute pas atteint le niveau que nous pouvions attendre d’eux en compréhension de l’écrit, en mathématique ou en culture scientifique, mais ils n’en sont pas moins capables de poser des questions, d’interroger le monde et le tout avec cette sensibilité aiguë à l’injustice propre à l’adolescence.
Nous n’avons qu’une seule question : M. le Président, avec tout notre respect, que devons-nous leur répondre ?