Grand port militaire et point avancé du continent européen dans l’océan Atlantique, Brest a le triste privilège d’avoir subi de nombreux bombardements pendant la guerre, entre 1940 et 1944. Mais ce furent des bombardements alliés puisque la ville fut occupée pendant 4 ans par les Allemands.
Le conférencier Jean -Yves Besselièvre est natif de Brest. Diplômé d´histoire et spécialiste des fortifications maritimes, il est depuis 2013 l’administrateur du musée national de la marine à Brest. Autant dire qu’il connaît son sujet. La conférence Brest dans la guerre a une résonnance particulière à Blois, car le Loir-et-Cher fut l’un des départements où les Brestois trouvèrent refuge.
Les bombardements de Brest : un sujet tabou?
En préambule, J-Y Besselièvre rappelle que, pendant longtemps, la question des victimes civiles des bombardements alliés a été taboue et générait un malaise ou un silence gêné, à l’instar des bombardements alliés sur la Normandie en 1944. Aussi n’existe-t-il qu’une seule plaque à Brest à la mémoire des victimes civiles. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que la recherche historique commence vraiment à s’intéresser aux bombardements alliés pendant la guerre. Et il faut attendre les commémorations du débarquement de Normandie en 2014 pour que le président François Hollande aborde enfin le sort des victimes civiles des bombardements.
Brest, une ville sous les bombes de 1940… à 1944
J-Y Besselièvre accompagne ses propos de nombreux chiffres, graphiques et photos prises pendant la guerre. Brest a subi des bombardements continus de 1940 à 1944, avec 3 temps forts : 1941, 1942 et 1944, dans le contexte de la libération du territoire par les Alliés.
En 4 ans, Brest a subi 270 bombardements menés par un total de 7828 avions. Les Brestois ont en outre supporté 600 alertes. Le port et les installations portuaires (en particulier la base sous-marine allemande) sont les cibles principales des bombardements alliés, mais compte tenu de l’imprécision des lancers, les quartiers et les civils paient un lourd tribut. L’irruption de la mort venue du ciel soumet la population au stress et crée parfois des traumatismes.
J-Y Besselièvre rappelle que, depuis les années 20 et 30, la population française a été sensibilisée à la protection des bombardements aériens, par ce qu’on nomme la Défense Passive. C’est en 1935 que la loi sur la défense passive est votée, quand Pétain fut ministre de la défense. À la fin des années 30, Un album dessiné Alerte aux avions!!., destiné aux enfants et à leurs instituteurs et à travers eux à leurs parents, est massivement distribué dans les écoles afin de sensibiliser la population aux gestes élémentaires de la défense passive.
Compte tenu de l’enjeu stratégique, Brest est particulièrement concerné par la défense passive. Dans les années 30, un recensement des caves est effectué et en 1939, le principe de l´’évacuation des civils est décidé : ne resteront sur Brest que 15.000 personnes considérés comme indispensables sur les 60000 que compte la ville en 1939. À Brest, l’organisation de la défense passive repose sur la division de la ville en 4 districts. Entre 1939 et 1944, 1847 personnes ont été membres de la D.F. Les membres ont entre 15 et 75 ans, la moyenne d’âge étant de 28 ans. Les personnes de plus de 70 ans sont essentiellement des médecins. Les femmes représentent 6% de l’effectif. Les mesures de protection des civils consistent à réquisitionner et à aménager des caves et des abris. Les caves peuvent abriter 6000 personnes, ce qui est insuffisant. On construit donc 2400 m2 de tranchées couvertes pour un effectif de 9000 personnes. Les abris sont deslieux de mixité sociale, d’interactions et d’entraides.
Brest, enjeu stratégique
Les premiers bombardements par la R.A.F britannique ont lieu à partir du 8 juillet 1940. Dans l’ensemble, les premières réactions des Brestois et Brestoises sont positives et on a de la sympathie pour les Britanniques qui continuent le combat contre l’ennemi. Les choses vont peu à peu changer à partir de 1941, car les bombardements font des victimes.
À partir de 1941, la flotte de combat allemande est stationnée à Brest et menace le ravitaillement de la G.B par l’Atlantique. Brest devient donc une cible privilégiée pour les Britanniques et les bombardements s’intensifient. Les Allemands basent à Brest une escadrille de chasse qui est camouflée. Ils utilisent des fumigènes et construisent un ensemble de DCA de fort calibre autour de la ville. Tout ceci se traduit par des pertes parmi les civils.
Le 24 juillet 1941, les Britanniques lancent l’opération Sunrise qui consiste à bombarder le port en haute altitude, pour échapper aux tirs de la DCA. Le bilan est de 84 morts et 90 blessés parmi les civils. Selon J-Y Besselièvre, c’est une date charnière pour les Brestois. De 1941 à 1943, des processions religieuses sont organisées une fois par mois pour la protection de la ville.
Les Britanniques expérimentent divers systèmes pour améliorer la précision de leurs bombardements et contraignent les avions endommagés à rester au port. Mais la RAF subit de grosses pertes lors des bombardements de jour. Ils emploient également des bombes de plus en plus lourdes, capables de percer les bateaux, et donc aussi les immeubles de Brest.. À partir de 1942, de nouveaux abris plus efficaces sont donc construits (ex: abris sadi-Carnot).
À partir de janvier 1943, la base de sous-marins allemands devient l’objectif prioritaire pour assurer le ravitaillement et l’effort de guerre de la Grande Bretagne. Mais les sous-marins sont bien protégés par des toits blindés.
L´évacuation des Brestois
Soumis aux bombardements constants, l’évacuation des Brestois ( de ceux qui n’étaient pas partis avant) s’organise à partir de 1943. Environ 3500 sont évacués vers les communes du Loir-et-Cher et 2000 vers celles de la Sarthe. En 1944, il ne reste donc plus que 2500 personnes obligées de vivre dans les abris.
Le siège de Brest (5 août-18 septembre 1944)
Le siège de Brest commence le 5 août 1944 et dure 42 jours. Retranchés dans la ville, 45000 Allemands sont assiégés par 75000 soldats américains et 4500 résistants. La ville et le port septembre subissent d’intenses bombardements : 12800 tonnes de bombes sont larguées! Les Américains s’emparent de la ville, le 18 septembre 1944. Seuls 1200 immeubles ont résisté à la guerre. Trop loin du front, Brest qui aurait pu servir de tête de pont avec les Etats-Unis est délaissé au profit d’Anvers plus proche de l’Allemagne.
Bilan
Si la ville a été détruite, le bilan global des pertes relativement faible, au regard de l’ampleur et de la duré des bombardements à Brest pendant la guerre : 429 morts et 729 blessés. Cela témoigne de l’efficacité de la Défense passive et de l’évacuation des civils. L’épisode le plus meurtrier eut lieu les 8 et 9 septembre 1944 quand plus de 300 Brestois et Brestoises périrent dans l’abri Sadi Carnot. De nos jours, l’abri Sadi Carnot est le principal lieu de mémoire de la ville évoquant explicitement les bombardements et les souffrances des civils à Brest.
Après la guerre vint le temps de la reconstruction. De 1944 à 1947, ce fut l’enterrement de la ville ancienne ; puis la reconstruction totale de 1947 aux années 70. Une trentaine d’années qui témoignent de l’ampleur des destructions et des souffrances subies par les Brestoises et les Brestois pendant la guerre.