Présentation de l’ouvrage de Jean-Paul DEMOULE : On a retrouvé l’histoire de France, comment l’archéologie raconte notre passé (Robert Laffont).

Chapiteau de La Halle aux Grains – Vendredi 10 octobre 2012 à 10h00

C’est devant une salle comble que Jean-Paul Demoule, à la fois universitaire, chercheur et administrateur, et qui a été un des créateurs et le premier président de l’INRAP, évoque son dernier ouvrage en dialoguant avec Jean Vassort.

L’archéologie préventive

Cette «histoire retrouvée» est à mettre essentiellement à l’actif de l’archéologie préventive, née notamment du constat des destructions massives de sites dues aux grands aménagements d’infrastructure. La construction de la liaison autoroutière Lille-Marseille représente 1200 sites détruits. On estime qu’il existe dans le sol français un site archéologique par km.

2 à 3000 sondages archéologiques sont réalisés par an, et débouchent sur 3 à 400 fouilles effectives qui représentent 90% des interventions effectuées en France. Les autres sont les fouilles programmées menées sur des sites protégés qui, paradoxalement, bénéficient de peu de moyens. En effet, les fouilles préventives sont financées par les aménageurs qui ont pleinement intégré ce coût et les contraintes temporaires qui en résultent dans leur planification. Ce prix représente 3 euros par an et par Français, et 1/1000e du budget du BTP.

L’INRAP mène une politique d’édition politique grand public pour montrer les raisons de ces contraintes et de ces dépenses. La productivité des opérations archéologiques a été fortement accrue par la mécanisation partielle des opérations. Ses champs d’intérêt et d’intervention sont larges, allant de la préhistoire au presque contemporain : J-P. Demoule cite ainsi en exemple la fouille du Camp de la Grande Armée à Étaples, des sites de la Première Guerre mondiale ou encore d’un camp de prisonniers allemands en Normandie datant de 1946-1947. L’intérêt de ces opérations réside dans les informations de vie quotidienne qui en émergent, que la documentation écrite n’avait pas consignée. La fouille des latrines est précieuse pour étudier l’alimentation et l’hygiène, et vient en complément, pour les périodes médiévale et moderne, des sources écrites comme les inventaires, qui eux ne consignent que les effets de valeur. Leur association est donc fructueuse.

Résultats et contraintes

L’importance du rôle joué par l’archéologie – préventive ou pas – est démontrée par la profonde révision qu’elle a entraîné de l’histoire gauloise, longtemps figée par le fétichisme des textes antiques, pourtant partiels et partiaux. Les fouilles ont réhabilité la civilisation et la culture gauloise, riche d’un savoir technique élaboré. La Gaule conquise par César est un territoire très défriché, où l’on consomme du porc et non du sanglier. Son émiettement politique entre soixante états rivaux contraste avec une société urbaine en construction et déjà insérée dans une économie monétarisée. Toutes ces similitudes expliquent son acculturation rapide par Rome.

Les apports de l’archéologie sont fondamentaux pour approcher la vie quotidienne, les pratiques culturelles et les techniques du passé. Son action est cependant paradoxale. L’archéologie préventive est un compromis contradictoire entre patrimoine, recherche scientifique et développement économique. On fouille avant destruction, et d’ailleurs fouiller c’est détruire. Les décisions de sauvegarde de sites majeurs sont exceptionnelles (2 ou 3 cas par an) et l’arbitrage politique est déterminant dans la prise de décision. Elle est irrémédiable et pas toujours avisée (le quartier romain de Nîmes) : «les futurs morts détruisent le patrimoine des futurs vivants» résume J-P. Demoule. Des progrès technologiques constants améliorent considérablement les outils d’analyse, mais sont onéreux. Ils créent chez l’archéologue un sentiment de culpabilité car fouiller constitue une perte de données qui auraient pu bénéficier d’investigations plus performantes si elles avaient été entreprises plus tard.

Vue par le prisme de l’archéologie, la question des migrations se traduit par un brassage permanent des identités. Le catastrophisme des textes est exagéré. On peut aussi lire dans les fouilles les rapports sociaux et les hiérarchies. On se fonde notamment sur l’analyse du mobilier funéraire, en raisonnant sur l’analogie entre la société des morts et celle des vivants. On étudie aussi les structures de l’habitat. Les normes d’urbanisme suggèrent l’existence d’un contrôle politique.

Une démarche scientifique est vraie à partir du moment où elle parvient à prédire les résultats des fouilles à venir, et en somme à se dégager du stade de l’hypothèse. C’est l’ambition des archéologues. Le rapport entre l’archéologie et l’histoire est celui d’une complémentarité féconde mais parfois piégée. Le dynamisme de la présentation assurée par Jean-Paul Demoule reflète assurément l’élan et les apports d’une archéologie vivante et apte à passionner le grand public, ce que la nombreuse foule présente a amplement confirmé.

Guillaume Lévêque