Campagnes françaises et migrations internationales : quel renouveau pour les territoires ruraux dans la France de demain ?
Conférence débat
Festival international de la géographie.
IUT, Saint-Dié-des-Vosges.
Dimanche 7 octobre 2018.
Intervenant.e.s :
Danièle Zappalà, docteur en géographie, Sorbonne Université.
Gilles Fumey, président de l’ADFIG (l’Association pour le Développement du FIG).
Sarah Przybyl, géographe, Université de Poitiers, laboratoire MIGRINTER.
Julie Fromentin, est géographe à l’INED et à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle est également associée au laboratoire MIGRINTER. La thèse qu’elle conduit sous la direction de France Guérin-Pace et Christophe Imbert s’intitule « L’inscription spatiale des immigrés dans les campagnes françaises : diversification des parcours individuels dans des territoires en mouvement ».
[Danièle Zappalà] : le phénomène des migrations dans les campagnes s’est amplifié depuis 10-15 ans avec l’Italie (notamment la Sicile) aux avant-postes. À travers ce territoire, on a vu la réactivation par les migrations de dynamiques qu’on ne connaissait plus depuis le XIXe siècle, certaines formes archaïques du travail agricole par exemple.
[Julie Fromentin] : cette intervention s’inscrit dans un programme de recherche.
CAMIGRI est un programme de recherche financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Il entend revisiter l’étude des campagnes françaises au prisme des migrations internationales et de la diversification croissante des formes de mobilité. Il comporte une équipe d’une dizaine de géographes conduite par David Lessault (chargé de recherche au CNRS), qui viennent de différentes universités et qui ont aussi différentes spécialités de recherche. Trois axes principaux : la place des campagnes françaises dans les migrations internationales à travers les pratiques résidentielles des migrants ; une approche par les dispositifs et modalités d’accueil et un axe plus porté sur les questions agricoles (interroger les mutations de l’espace rural à travers le prisme des migrations). Ce projet ne s’intéresse pas uniquement aux présences migrantes mais également aux sociétés et aux territoires ruraux qui accueillent et reçoivent ces mouvements migratoires.
Pour faire ce travail, il y a une articulation entre un aspect quantitatif (notamment à travers l’étude des recensements de la population et d’autres données) et un aspect plus qualitatif avec trois régions investiguées : Pyrénées ariégeoises, Périgord-Limousin et Loire-Anjou-Touraine.
[Sarah Przybyl]. Intérêt à la fois porté aux personnes qui arrivent dans ces territoires mais également aux sociétés qui les reçoivent. Les premiers éléments investigués pour décrire ces phénomènes, c’est de partir des données de recensement pour regarder à l’échelle nationale ce que représentent les migrations dans les campagnes aujourd’hui en France.
Cela implique plusieurs choses :
- Qu’entend-on par campagne en France ? Est-ce que l’on considère uniquement les espaces ruraux très isolés ou un spectre d’espaces beaucoup plus large (des espaces périurbains jusqu’aux espaces ruraux plus isolés)?
- Savoir à quels types de personnes on accède avec les données de recensement.
[Julie Fromentin] : aspects quantitatifs
https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281393
Dans des espaces ruraux, on a des présences migrantes relatives importantes.
Les étrangers récemment arrivés en France et résidant dans les campagnes ont des localisations privilégiées : le Sud-Ouest de la France apparaît comme une région attractive, ainsi que la Bretagne et les régions frontalières. On observe également que selon les campagnes considérées, les étrangers participent plus ou moins fortement à l’évolution du solde migratoire des campagnes françaises et ainsi aux dynamiques démographiques de ces espaces. Dans le Sud-Ouest de la France, les étrangers représentent ainsi une part importante de l’ensemble des nouveaux arrivants et sont au cœur des enjeux de croissance démographique de ces campagnes.
En Bretagne, on retrouve dès les années 2000 un nombre important de Britanniques, surtout dans le centre du territoire.
SO → diversité de profils : des Britanniques, des Néerlandais, des retraités mais également des Portugais, des personnes originaires du Maghreb qui ont pu venir dans un premier temps effectuer des travaux agricoles et qui sont restées.
[Sarah Przybyl] : aspect qualitatif
Programme non fini (phase de récolte des données) mais trois tendances :
- La posture politique des maires à l’échelle locale est très importante dans le devenir de l’accueil.
- Les personnes qui pratiquent l’accueil ou sont en contact avec les migrants (approche biographique) → entretiens biographiques pour essayer de comprendre l’engagement de celles-ci. Les personnes qui s’engagent ont souvent un passif professionnel qui explique leur sensibilité à ces questions (éducateurs spécialisés, enseignants…) ou un passif lié à des parcours migratoires antérieurs chez ces personnes. Figure également des néo-ruraux → anciens « étrangers » de ces espaces ruraux quand ils sont arrivés.
- Innovation sociale générée au sein des territoires ruraux avec la création d’associations qui se positionnent pour la défense des étrangers, création de nouvelles sociabilités, proximités avec des personnes qui avaient perdu l’habitude de se voir, et des dynamiques qui se créent ou se renforcent.
Exemple de Loudun (Vienne) : ouverture d’un centre d’accueil suite au démantèlement de la « Jungle » de Calais → cela s’est mal passé. L’espace qui a été choisi pour ouvrir ce centre devait servir d’espace de loisirs pour les jeunes de la commune. Ensuite, réunion publique et cela ne s’est pas présenté comme le maire l’entendait. Très grosse levée des « anti-accueils », récupération politique d’un élu du Rassemblement National qui lancé une pétition et une grosse grogne s’en est suivie. Le maire a été très embarrassé vis-à-vis de ces concitoyens, contexte précipité… La presse s’en est mêlée, avec un reportage sur M6 qui pointait le village comme un village anti-migrants. Le sujet reste très sensible même 2-3ans après.
À l’inverse, des villages comme le village de Carla-Bayle (Ariège) sont très favorables à l’accueil. Celui-ci ,par exemple, accueille un centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada) depuis une vingtaine d’années. Sensibilités politiques, contextes très différents… L’Ariège est un territoire où il y a beaucoup de circulations, de passages.
[Gilles Fumey] : accueillir n’est pas forcément évident → cas de la Drôme chez des gens qui avaient l’habitude d’accueillir des néo-ruraux. Finalement, des formes de diasporas se faisaient dans le village avec des villages qui se sont repeuplés avec des gens venant de l’extérieur mais qui venaient de réseaux constitués.
[Danièle Zappalà] Un mot sur l’Italie du Sud. Depuis les années 1980, les campagnes ont fait une entrée fracassante dans l’imaginaire migratoire européen. Ces campagnes sont devenues des laboratoires, des espaces de ce qu’il y a de plus extrême sur la question de l’accueil : d’un côté l’Italie accueillante, capable de réagir, d’invention de solutions et de l’autre, la profondeur aussi de la réaction extrême de l’exploitation des migrants dans les campagnes par les organisations mafieuses. Là, on a vu la résurgence d’un modèle archaïque du XIXe siècle (modèle du « caporalato »). Ce phénomène est une forme d’esclavagiste moderne → intégrer les migrants dans une récolte ,notamment de tomates, mais finalement on les intègre dans des formes inhumaines dénoncées par les associations et les instances internationales. Ce sont des personnes qui logent dans des taudis et sont véritablement exploitées, complètement pris en charge par des réseaux rattachés à des mafias, notamment en Italie du Sud (se lèvent à 5h du matin, travaillent 10-12h par jour et sont payés 1 à 2 euros par caisse ramassée). On voit bien les limite des capacités des États face à des territoires qui deviennent parfois des zones de non-droits.
On voit une extrémisation du rôle des campagnes :
- D’un côté le modèle utopique. Par exemple en 1988 : les 300 premiers migrants kurdes irakiens accueillis à bras ouverts par la population dans le petit village de Riace. Ils ont été intégrés dans l’économie locale à tel point que Domenico Lucano, maire communiste, a saisi l’opportunité de cette présence pour redynamiser un territoire en créant une véritable colonie d’immigrants. Représentation ancienne et très positive. Lucano a inspiré un docu-fiction de Wim Wenders. Documentaire « Un paese di Calabria » des réalisatrices Shu Aiello et Catherine Catella qui raconte la renaissance de ce village italien.
- De l’autre le rejet à outrance.
[Julie Fromentin] : comment cela se passe-t-il en termes de revitalisation économique et démographique de ces territoires ruraux ? Les constats des deux intervenantes sont modérés et variables selon les terrains d’enquête. Installation quand opérée par l’État, cela va-t-il être durable pour ces dynamiques ? Les populations ne veulent pas forcément rester. En revanche, en Dordogne, en Bretagne → des villages repeuplés par des retraités britanniques etc. Aujourd’hui, la question qui se pose véritablement est celle du vieillissement de ces populations y compris celles immigrées, notamment en Anjou et en Touraine.
[Sarah Przybyl] : il y a quelque chose de positif dans l’arrivée de ces populations dans certains territoires ruraux, c’est le nombre d’enfants importants qui permettent parfois le maintien d’une classe d’école, mais ce ne sont pas des populations qui vont forcément rester donc cela pose la question de la pérennité.
[Gilles Fumey]. Rectrice de la région Grand-Est (3 académies) était présente à l’ouverture du festival. Elle a indiqué devoir fermer 35 collèges (dans certaines vallées des Vosges, à l’échelle d’une seule vallée à quelques kilomètres de Saint-Dié → prévision d’une baisse de 800 enfants en 10 ans). C’est donc la question du peuplement des campagnes qui est importante et dont personne n’a la réponse. C’est un véritable engrenage → moins de services publics → moins de gens qui ont envie d’y habiter → fermeture des services publics et désertification.
Avez-vous des solutions, rencontré des politiques ? Il s’agit des derniers qu’iront voir les deux jeunes chercheuses après la collecte de données. Dans les espaces ruraux, forte circulation notamment des saisonniers (Bulgares, par exemple), sujets très peu visibles sur le terrain, avec derrière une organisation en parallèle en dehors des espaces institutionnels classiques. Par exemple, création d’une maison de Saisonnalité à Loudun (nombre important d’étudiants et de saisonniers qui viennent faire des saisons) qui fonctionne sur la mise en place d’un réseau de campings pour que les saisonniers puissent y demeurer quelque temps. Or, cet été, ils étaient tous vides de saisonniers. Pour les Bulgares par exemple, c’est un autre espace qui est investi depuis plus longtemps : particuliers ouvrant leur jardin, etc. Circulation physique et des différentes nationalités qui façonnent les espaces ruraux.
Questions
- Répartir : comment ? 200 migrants qui arrivent par jour dans le 18e arrondissement parisien. Pas gagné pour les migrants d’arriver dans un espace (rural par exemple) non désiré.
- Comment mélange-t-on les gens riches avec ceux qui arrivent et qui n’ont rien ? Sur l’Italie → deux exemples extrêmes → comment le positif est arrivé, cette installation qui a dynamisé un secteur ? [D.Z.]: Le cas de Riace est un cas extrême. L’arrivée des 300 migrants a été saisie comme une forme d’opportunité et la population s’est mise en quatre avec un village quasiment à l’agonie. Le maire a donc voulu en faire un laboratoire utopique, création collective d’ateliers… avec des résultats spectaculaires (création d’une école par exemple, tourisme). Cas rarissime : en France, un seul cas, le maire de Grande-Synthe. Film d’Alessandro Penta, Argonauti (2017) → intégration de migrants dans un petit village et expérience théâtrale menée.
- Y a-t-il des différences suivant si l’on est en campagne périurbaine ou dans le rural isolé ? Périurbain : mobilité pour accéder à la propriété etc., cela existe mais peu d’installation directe de l’étranger.
©Rémi Burlot pour les Clionautes