La publication d’un dessin de presse dans un quotidien du soir, en date du 3 novembre dernier, a suscité une vague d’indignation dans la communauté des professeurs d’histoire et de géographie. Publiée à la Une, cette caricature venait illustrer une enquête consacrée à l’antisémitisme au quotidien. Cet article faisait suite à la profanation de la stèle d’ Ilan Halimi, ce jeune homme juif, torturé à mort en 2006. Ses tortionnaires considéraient que son appartenance religieuse en faisait une personne « naturellement riche », et donc susceptible de payer une rançon.
Comme souvent, – on pourrait dire comme toujours – les professeurs d’histoire et de géographie, et d’enseignement moral et civique, se retrouvent en première ligne. L’image publiée le 3 novembre montre un professeur démissionnaire: « moi ça fait longtemps que je ne parle plus de la shoah dans ma classe ».
L’indignation, devant une telle remise en cause du professionnalisme de plus de 30000 professeurs d’histoire et de géographie dans le second degré, se révèle parfaitement justifiée. Les programmes scolaires, en particulier ceux de troisième, de première, ainsi que celui de terminale, dans le cadre des mémoires de la seconde guerre mondiale, traitent très précisément cette question. Également dans les programmes du primaire depuis 2006 De très nombreuses initiatives sont prises au niveau des établissements pour que ce sujet soit toujours abordé, et surtout, car c’est bien la mission du professeur d’histoire, expliqué et surtout contextualisé. En outre, de nombreux professeurs s’inscrivent chaque année aux stages de formation ou aux voyages d’étude proposés par les plans de formation académiques ou par le mémorial de la Shoah. Des témoins de la Shoah sont également invités dans les classes. C’est peu dire qu’ils prennent à cœur leur devoir de transmission de cette histoire tragique !
Des remises en cause récurrentes
Tout professeur d’histoire est régulièrement confronté à des questions sur les causes de l’antisémitisme, et il convient d’en décrypter les ressorts. L’enseignement moral et civique, dès lors qu’il est confié à des professeurs d’histoire – les mieux à même de mettre le sujet en perspective – , permet également de montrer la nature de ce mal, d’en dénoncer les stéréotypes et d’en aborder ses conséquences parfois tragiques.
Si le dessin du caricaturiste a pu choquer, c’est bien parce qu’il évoque un comportement individuel, implicitement généralisé, celui d’une capitulation devant l’antisémitisme, et au-delà le racisme. Dans leur immense majorité, et quelles que soient les difficultés parfois rencontrées, les professeurs d’histoire et de géographie maintiennent leur enseignement même s’ils sont parfois exposés à différentes formes de contestations. Il convient à ce propos de faire un peu d’histoire, et de rappeler qu’en 2004, le rapport Obin pointait déjà des phénomènes de ce type. Il suffit d’en citer quelques extraits: «… On observe la banalisation, parfois dès le plus jeune âge, des insultes à caractère antisémite. Le mot « juif » lui-même et son équivalent « feuj » semblent être devenus chez nombre d’enfants et d’adolescents une insulte indifférenciée, pouvant être émise par quiconque à l’endroit de quiconque».
Ces contestations et ces remises en cause à propos de différentes questions « sensibles » sont une réalité. Celle-ci a été évoquée dans cet ouvrage, « les territoires perdus de la République » paru en 2002 et réédité en 2015.
Une réalité à connaître
Et s’il peut arriver que des enseignants, sans doute peu formés, mal accompagnés ou victimes de cette attitude du « pas de vagues » existant dans l’institution, esquivent certaines questions, l’immense majorité de nos collègues ne fait aucune concession dans ce domaine!
Il en va en effet de notre responsabilité de professeurs d’histoire, mais aussi de citoyens, et pour ce qui nous concerne, « d’historiens et de géographes dans la Cité ».
Régulièrement, les professeurs d’histoire et de géographie se retrouvent exposés, remis en cause et contestés par des personnalités politiques de rencontre, des acteurs des médias, plus soucieux d’audience que de précision des informations. Dans ce cas précis ils sont considérés comme des «capitulards» qui se défileraient de leur responsabilité.
Certes, le conflit israélo-palestinien sert souvent de prétexte à une mise en concurrence mémorielle, opposant le génocide des juifs ( la shoah) à la nakba ( L’exil subi par les Palestiniens). Régulièrement, des élèves issus de la communauté turque, parfois avec le soutien de leurs autorités consulaires, remettent en cause l’existence du génocide arménien. Dans le cours de terminale sur le Moyen-Orient depuis 1918, la question kurde suscite parfois des réactions agressives.
Ce phénomène existe et il serait tout aussi mensonger de le nier que de généraliser une attitude démissionnaire des professeurs d’histoire et de géographie dans l’école de la République. C’est d’ailleurs à ce titre que les Clionautes ont été auditionnés dans le cadre de la préparation du rapport rédigé par l’inspection générale, à propos de la semaine de la recherche sur « les génocides, crimes de guerre et crimes de masse ». C’est dans ce cadre, pour ce qui nous concerne, que nous avons émis quelques propositions, notamment en matière d’accompagnement des professeurs, au plus près du terrain.
Comme à chaque fois qu’une question de ce type est évoquée, les réseaux sociaux s’enflamment, des motions sont rédigées, des tribunes au vitriol sont publiées, avant que le soufflé ne retombe …. jusqu’à une prochaine fois.
Pour ce qui nous concerne, c’est au quotidien, sur le terrain, dans nos classes, mais aussi dans la Cité, que nous menons ce travail d’éducation citoyenne.
Il y a quelques semaines, dans une conférence publique, et malgré la pression extérieure, nous abordions, comme historiens, la géopolitique de la Turquie. Le génocide des arméniens, la question kurde, ont été abordés, et nous n’avons pas eu le sentiment d’esquiver une quelconque question.
Sans doute le caricaturiste du quotidien vespéral n’en était pas informé, mais il serait bon que ceux qui commentent l’activité des professeurs d’histoire et de géographie viennent sur le terrain, afin qu’ils puissent rendre compte de sa réalité. Nous sommes tout à fait prêts à les accueillir dans nos classes !