En préambule de la conférence a lieu la remise du 15ème prix de l’initiative laïque passé, présente, destiné aux particuliers et associations qui oeuvrent en faveur de l’indépendance, la liberté de conscience et de pensée. Cette année, le prix a été  attribué à l’association « M le moutard », dirigée par Frédéric Touchet,  pour son kit d’exposition (sous forme de quizz)  » la laïcité, parlons-en. » Ce projet, réalisé à l’intention des jeunes de collèges ou lycées, centres de loisirs ou d’éducation spécialisée, permet de réflechir sur des problèmes de société avec des partenaires comme l’Observatoire de la laïcité ou le Ministère de la justice.

Jean-Noël Jeanneney présente ensuite rapidement Carlo Ginzburg, rappelant qu’il est le père de la micro-histoire avec un livre qui a fait date : Le Fromage et les vers. Carlo Ginzburg a inauguré une nouvelle approche de l’histoire, montrant comment les événements révèlent la différence des tempos dans l’histoire, ainsi que le rôle du hasard et de la contingence.

Vient ensuite la conférence de Carlo Ginzburg, dont il faut dire qu’elle s’adresse avant tout, par sa complexité et ses références d’une érudition très pointue, à un public plus qu’averti.

Le sujet porte sur Montaigne et ses Essais. L’Italie, nous rappelle Carlo Ginzburg,  a joué un rôle important dans la vie de l’auteur.

 

L’onde, c’est avant tout le langage

L’onde, c’est Montaigne. Comment faire le portrait d’un homme ondoyant ? Voyons en effet la citation de Montaigne au début du livre III des Essais : « Le monde n’est qu’une branloire pérenne.. […]Je ne peins pas l’être,. je peins le passage. »  Il s’agit en fait d’une entreprise impossible, qui suggère l’artifice plus que le mouvement, tel les corps monstrueux des grotesques. « Peindre », « portraire », seraient en réalité des métaphores. Le langage lui-même est ondoyant, autant que l’homme.

 

Scepticisme ? Maranisme ?

Ginzburg aborde la question du scepticisme de Montaigne. Jacques Peletier, auteur du Dialogue de l’ortographe et de la prononciation française,  est cité deux fois dans les Essais. On sait que l’humaniste a été lié à Montaigne et s’est oppsoé aux Pyrhoniens. On relève aussi une allusion à Le Ferron, humaniste membre du Parlement de Bordeaux, donc l’influence aristotélicienne. De même, l’Apologie de Raymond Sebond, entreprise à la demande du père de Montaigne, se révèle paradoxale. Montaigne se livre en effet à une argumentation sceptique où la vision de l’homme, au centre du monde, privé de grâve divine, aboutit à démontrer sa petitesse. La comparaison de l’homme aux animaux tourne à l’avantage de ces derniers. Pourtant, de toutes les formes, celle de l’homme est la plus belle. Dieu est donc revêtu de l’humaine figure, comme chez les Grecs et les Romains. Montaigne accumule les exemples tirés de l’antiquité, comme le De natura deorum de Cicéron. Il semblerait absurde que Dieu ait pu s’incarner en prenant figure humaine. Ginzburg décèle là chez Montaigne une stratégie marrane. La mère de Montaigne était en effet d’origine juive. Il y a opposition entre la nature mouvante et Dieu, qui représente l’éternité immuable. L’Apologie de Raymond Sebond aurait-elle une signification secrète ? Ginzbrurg cite le travail de Sophie Jama sur le « marranisme » de Montaigne puis Sainte-Beuve qui dit à propose de Montaigne: « Il peut bien avoir été très bon catholique , sauf à n’avoir été chrétien. »  Mais finalement cette question n’est pas principale. Ce qui est fondamental, c’est que tout propos chez Montaigne est rarement univoque.

 

L’onde, c’est aussi la mort

Ginzburg aborde ensuite la question de la mort dans les Essais.  C’est la mélancolie qui aurait poussé Montaigne à écrire, chez qui l’on retrouve le thème du poète qui se croit immortel. Mais comment parler de la mort ? Le scepticisme bute sur les limites du langage. Montaigne est contemporain des massacres de la Saint-Barthélémy. Il a lui-même vécu un accident de cheval. Ginzburg cite un passge des Essais :« Je peins principalement mes cogitations, sujet informe qui ne peut tomber en production ouvragère ; à toute peine le puisje coucher en ce corps aéré de la voix. Des plus sages hommes et des plus dévots ont vécu fuyant tous apparents effets. Les effets diraient plus de la fortune que de moi : ils témoignent leur rôle, non pas le mien, si ce n’est conjecturalement et incertainement ; échantillons d’une montre particulière. Je m’étale entier : c’est un skeletos , d’une vue, les veines, les muscles, les tendons, paraissent, chaque pièce en son siége ; l’effet de la toux en produisait une partie, l’effet de la pâleur ou battement de cœur une autre, et douteusement. Ce ne sont mes gestes que j’écris ; c’est moi, c’est mon essence ». Et de conlure : lorqu’il dit qu’il peint son essence, c’est la mort, le passage, l’onde que Montaigne peint.

 

En conclusion, une conférence de haut vol, qui suscite force applaudissements mais dont il faut encore une fois souligner qu’elle s’adresse avant tout à un public fin connaisseur, voire spécialiste, de Montaigne.