Jeudi 11 oct. 2018
Château royal de Blois, Salle Gaston d’Orléans
Ces images dont on oublie l’histoire : les origines historiques du like de Facebook, des zombies de The Walking Dead et du masque des Anonymous
Le LAB de l’enseignant et du chercheur Table Ronde
Le point des RDV Blois : « Qu’ont en commun le like de Facebook, les zombies de The Walking Dead et le masque des Anonymous ? Ces images de notre quotidien puisent leur racine dans des objets historiques que l’on a peu à peu oubliés. Cette table-ronde propose de les retrouver.»
Modérateur :
Charles DAVOINE, Docteur en histoire de l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, membre de l’École française de Rome (section antiquité)
Intervenants :
Shorena ASABASHVILI, Doctorante en anthropologie à l’Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis
Pauline DUCRET, Agrégée d’histoire, doctorante en histoire romaine à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis
Alice GUILLOTON, Etudiante en master d’histoire médiévale à l’Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis
Maëlle VANDERGHEYNST, Étudiante en master d’histoire médiévale à l’Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis
Emeric GABOT, Etudiant en master d’anthropologie à l’Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis
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Introduction
La profusion tournant de plus en plus à la saturation, les images sont devenues des évidences ; le pouce de Facebook ou le masque des Anonymous pour connus qu’ils soient, occultent néanmoins des origines anciennes qu’il faut questionner. Charles Davoine présente tour à tour les différents intervenants en soulignant que les origines de ces évidences laissent apparaître des évolutions sémantiques qu’il faut sans cesse questionner.
Pauline Ducret et Emeric Gabot analyseront l’origine du pouce de Facebook, avant de céder la parole à Alice Guilloton et Maëlle Vandergheynst. Ces dernières remonteront le fil du temps jusqu’à la période de la Grande Peste Noire du milieu du XIVè siècle, sur les traces des Zombies de Walking Dead. Enfin, Shorena Asabashvili s’interessera au Masque des Anonymous à travers une plongée dans la Conspiration des Poudres, dans l’Angleterre du XVIIè siècle.
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I – Des arènes romaines au like de Facebook
=> Quatre ans après la fondation, en 2004, de Facebook par Mark Zuckerberg, bientôt rejoint par Eduardo Saverin, Dustin Moskovitz, Andrew McCollum et Chris Hughes, le pouce s’inscrit dans la matrice de l’entreprise. Depuis les années 2010 ce « like » a conquis internet, s’imposant sur d’autres plateformes telle Youtube. Cette image signifie l’approbation et l’origine semble clairement établie, à savoir le pouce approbateur des empereurs romains au moment de décider du sort du gladiateur vaincu. Ce pouce appartient donc à un imaginaire collectif de ce que fut la période romaine ; tout le monde croit avoir une vision claire des combats de gladiateurs et de la fonction de ce pouce levé ou renversé.
=> Deux sources uniques mentionnent ce « Verso Pollice », pouce renversé ou tourné ; il s’agit de Juvénal au Ier siècle et de Prudence au Vè siècle.
Dans ces deux cas il s’agit d’un geste de désapprobation, équivalent à un geste de la tête. Il faut immédiatement, souligne Emeric Gabot, rappeler que Prudence reprend directement le texte de Juvénal et qu’il n’a jamais vu de combat de gladiateur car ces derniers étaient interdits à son époque. Si on s’appuie sur Suétone dans sa vie d’Auguste, il est limpide que les combats de gladiateurs étaient très quodifiés. Un « rudis », arbitre, veillait à ce que les combattants respectent des règles strictes.
Rudis reconnaissable à sa tunique blanche, maison de Kourion, IIIè siècle, Crète
La mort pouvait advenir mais elle était liée à des accidents, non point à une volonté délibérée. Le parallèle avec la boxe est fait. Les gladiateurs étaient des athlètes qui coûtaient très cher et il n’était pas question de perdre un tel investissement à l’issue de chacun des combats.
=> A ce moment de l’analyse, Pauline Ducret insiste sur la chronologie de la diffusion du « Pollice Verso ». Juvénal au Ier sicèle, Prudence au Vè siècle puis plus rien jusqu’au XIXè siècle. C’est en effet en 1872 que Jean-Léon Gérôme, utilisant le texte de Prudence, peint son fameux tableau, « Pollice verso » ou « Bas les pouces », conservé au Phoenix Art Museum, Phoenix (États-Unis).
Dans un style académique J.L. Gérôme offre une vision romantique du combat de gladiateur qui va imprimer notre imaginaire. La scène est réutilisée au cinéma dans le « Quo Vadis » de 1913 de Enrico Guazzoni, tiré du roman de Henryk Sienkiewicz parut en 1896.
Copyright by George Kleine, Library of Congress
Ces adaptations d’une réalité fantasmée sont légions. Pauline Ducret propose deux diapositives pour étayer son propos.
Qu’il s’agisse du Quo Vadis de 1951 de M.LeRoy ou de l’album d’Uderzo et Goscinny, Astérix Gladiateur (1964), dans les deux cas la source est J-L.Gérôme. Ainsi la célèbre phrase « Ave Caesar morituri te salutant » est attestée dans un cas de figure très précis rapporté par Suétone dans sa vie des Césars à propos d’un spectacle de « naumachiarii », de bataille navale. Toujours selon la même logique, la reprise dans les Mallet et Isaac s’inscrit dans la construction d’un imaginaire d’une antiquité fantasmée, faisant la par belle aux images d’épinal.
=> Les péplum ont donc joué un rôle fondamental pour influencer Facebook mais l’inverse est aussi réel. Les usagers se comptent en milliard (1.8 / 2 milliards quotidiens selon les sources pour Facebook et Youtube), les codes s’imposent jusqu’à la publicité (Emeric Gabot reprend alors le cas de la publicité pour Orangina, Shake the world).
Qu’il s’agisse du film de S.Kubrick, Spartacus (1960), ou de celui de R.Scott, Gladiator (2000), le pouce impérial est devenu le symbole de l’arbitraire. Le scénariste de Spartacus, Howard Fast, proche des milieux communistes américains, peut user de ce symbole pour critiquer en filigrane les USA à travers ce film qui est aussi, surtout, d’essence politique.
De la même façon il est intéresser de noter, rappelle Pauline Ducret, que l’historien Jérôme Carcopino contribue à diffuser cette image du Pollice verso, symbole du pouvoir absolu dans « La vie quotidienne à Rome à l’apogée de l’empire » paru en 1939.
En guise de conclusion, Pauline Ducret s’interroge sur la place de la foule dans le processus de décision. Chez J-L.Gérôme, c’est la foule qui décide ; dans Gladiator, c’est Commode qui impose, seul, sa volonté. Quant au pouce, c’est l’image positive qui s’est imposée sur les réseaux sociaux. Ce rôle positif peut nourrir l’illusion du pouvoir de la foule qui aurait un rôle majeur. Dans tous les cas, la perte de sens historique est totale.
II – De l’origine des Zombies de Walking dead
=> Alice Guilloton et Maëlle Vandergheynst interviennent tour à tour pour questionner l’origine d’une image qui s’est imposée depuis quelques années comme un classique, notamment chez les plus jeunes. L’analyse portera strictement sur les origines occidentales des images ; choix est donc fait de laisser de côté la tradition des Caraïbes, eût égard au temps imparti. Cependant, cette tradition ne doit pas être oubliée.
The Walking Dead est une série d’horreur post-apocalyptique de Frank Darabont tirée des Comics de Robert Kirkman, Tony Moore et Charlie Adlard. De cette œuvre qui appartient à la culture Geek / Pop, on retient les hordes grimaçantes de Zombies avides de chair humaine. Pourquoi cette image est-il si prégnante aujourd’hui ?
=> Pour Alice Guilloton l’une des clés essentielles de lecture renvoie à l’imaginaire qui s’est cristallisé autour de la Grande Peste Noire du XIVè siècle.
Comme le montre cette carte tirée d’un manuel de secondaire, cette maladie s’est propagée rapidement à quasiment toute l’Europe, reculant avec le froid et revenant dès le printemps. Sous sa forme bubonique ou pulmonaire, elle atteint des niveaux de mortalité très important, allant de 50% à 100%. Il est possible de travailler à partir des registres de BMS pour étudier la diffusion de la maladie et la destruction de communautés entières. Maëlle Vandergheynst rappelle à juste titre que cette épidémie s’inscrit dans un contexte de crise plus large, marqué par les guerres mais aussi par les problèmes de subsistance. La désorganisation politique, économique et la très forte mortalité ont bouleversé les mentalités dans un monde très chrétien.
=> Les deux étudiantes s’attardent alors sur les travaux de Jacques Le Goff et Jean Claude Schmitt quant au temps chrétien et à la mise en place du Purgatoire. A partir du XIIè siècle il est plus courant de parler des morts ; les âmes peuvent revenir demander de l’aide pour limiter leur temps au Purgatoire. S’installe ainsi durablement dans les esprits une peur du retour des « revenants ». Ceci explique par exemple les nombreux cas de cadavres découpés au moment de la peste Noire pour éviter un retour dans le monde des vivants. L’extrême mortalité de l’épidémie pousse parfois à des enterrements rapides et la mise en place des précautions d’usages peuvent être occultées. Dans ce cas, souligne Alice Guilloton, le risque d’un retour des morts parmi les vivants est accrue de manière significative dans les imaginaires. Cette évolution des mentalités est perceptible dans les gisants, lesquels deviennent plus horribles.
Le parallèle est ainsi fait avec les peurs contemporaines autour d’Ebola ou du Sida. En effet les croyances populaires s’emparent de ces phénomènes ; peur du toucher du malade, peur du baiser d’une personne atteinte du Sida. Ceci est à mettre en perspective avec le développement d’un culte de l’hygiène dans els sociétés occidentales à partir des années 1980.
=> Un autre angle d’étude permet de mettre en avant la peur de l’invasion et le mythe du zombie cannibale. Ce dernier est perceptible dès les années 1930, lié à une période de crise économique majeure au cours de laquelle l’État est incapable de nourrir la population et de gérer la situation.
Cette approche a été entretenue par l’œuvre de George A.Romero, Dawn of the dead, 1978 et plus récemment par Max Brook et son World War Z ou par les « Marcheurs blancs » de Game of Thrones de G.R.R. Martin. À la peur de la maladie et de l’invasion, ce dernier ajoute potentiellement la question du réchauffement climatique, ici à travers une longue période de froid destructrice. Or, Game of Thrones est une série fortement inspirée par l’univers médiéval, le mythe perdure donc.
En conclusion est rappelé le fait que quelques soient les époques, ces peurs reposent sur des croyances populaires et des volontés de trouver des boucs-émissaires pour expliquer ce qui ne peut l’être. La colère divine peut être utilisée, mais aussi des mythes populaires tels celui des Juifs qui auraient véhiculé la Peste Noire au Moyen Âge. Ces angoisses traversent les siècles et déformes les images héritées du passé et nourrissent les diverses théories du complot.
III – De la Conspiration des poudres à V pour Vendetta : le potentiel protestataire du masque de Guy Fawkes
=> En guise d’introduction, Shorena Asabashvili rappelle la puissance de l’image des Anonymous, ce masque lié de nos jours aux hackers, aux justiciers de l’internet mais aussi à des mouvements criminels.
La source principale est clairement explicite. Ce masque trouve son origine dans la « Conspiration des poudres », au cœur de l’Angleterre du XVIIè siècle. À cette époque le schisme a été acté après la période des guerres de religions mais Guy Fawkes, un Catholique Anglais, participe à une tentative d’attentat contre le parlement et le roi Jacques Ier.
Lithographie, arrestation de Guy Fawkes, 5 novembre 1605
Si l’échec est total car le complot est déjoué et Guy Fawkes arrêté, ce fait alimente une réflexion autour du terrorisme comme réponse aux persécutions dont sont victimes les Catholiques anglais. Par la suite, le « Bonfire night » devient une fête annuelle à Londres et dans plusieurs pays du Commonweath, avec des dates variables, au cours de laquelle on célèbre cette arrestation mais aussi le symbole représenté par Guy Fawkes. En effet, l’homme cristallise petit à petit l’action de résister au pouvoir royal et, par extension, à l’État.
=> C’est Alan Moore qui donne une nouvelle impulsion au phénomène à travers son œuvre V pour Vendetta en puisant dans la tradition de Guy Fawkes et en s’inspirant également du 1984 de George Orwell. À travers un organigramme Shorena Asabashvili propose une analyse de cette double filiation.
Adam Sutler, le héros de V pour Vendetta (Comic Book qui sort en 1988), reprend le masque de Guy Fawkes comme modèle physique. S’y ajoute une critique du totalitarisme et du projet de société de l’Angleterre de Margareth Thatcher. La négation de l’individu, le « V » relatif au 5 novembre deviennent des codes populaires. L’adaptation en 2006 par James McTeigue et les frères Wachowskis achève le processus de popularisation, dépassant clairement la sphère britannique pour le monde acculturé par l’Occident. Dans cette version, la critique du « Patriot Act » du 21 octobre 2001 de G.W.Bush est évidente. Cette version alimente un discours sur la voie de la liberté, devient un emblème pour les mouvements de rébellion anti-gouvernementaux et de manière plus générale « anti-puissants », ce qui inclut les Multinationales ou certains mouvements terroristes.
Les Anonymous explorent en effet l’idée d’une résistance pacifique contre les gouvernements, dans la sphère de l’internet et de la défense des libertés (Mouvement anti ACTA de fin 2012), mais aussi attaques ciblées contre les sites internet de Daesh suite aux diverses vagues d’attentats, ou contre les GAFA.
Dans la culture Geek/Pop, la série Mr.Robot poursuit l’exploration de cette veine contestataire.
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Conclusion : nous utilisons à tort, hors contexte, des images qui ont totalement perdu de leur sens historique, ainsi les spectacles romains, ou à tout le moins évolué, ainsi la révolte contre l’autorité de Guy Fawkes.
Par Sandrine BONNAL et Ludovic CHEVASSUS pour les Clionautes.