La sortie en novembre 2022 de « ChatGPT« , l’intelligence artificielle de conversation créée par OpenAI aux États-Unis a déchaîné les chroniques, à juste titre. Ce chatbot de dernière génération est capable de répondre à des questions complexes, de compléter des phrases, de traduire des textes, d’écrire des articles, le tout selon un ton, un style et un format défini par l’utilisateur. On peut coup sur coup lui demander quelles variétés de fleurs roses sont adaptées à la fois à la culture en pot, à une exposition très ensoleillée et à un gel modéré, quelles lignes de code fournir pour tel ou tel besoin informatique ou encore quels médicaments ou traitements sont contrindiqués selon les spécificités de santé définies. Les possibilités semblent infinies.
On parle déjà d’une « révolution ChatGPT« , à hauteur de celle qui a permis à Google d’écraser le marché des moteurs de recherche dans les années 2000. Mieux encore, ChatGPT serait une 4ème révolution de l’ère numérique, après l’ordinateur, Internet et le smartphone, selon les mots de Bill Gates, habituellement avare en compliments. Sur le plan strictement historique, la « disruption » précède nettement novembre 2022, entre les machines de Turing dans les années 1930, le chatbot Eliza en 1966, les superordinateurs dans les années 1990, ou encore les recherches pour un cerveau électronique (projet Blue Brain lancé en 2005 par l’École polytechnique de Lausanne).
Toutefois, avec plus de 100 millions de comptes enregistrés sur ChatGPT en janvier 2023, la révolution est médiatique. L’agent conversationnel d’OpenIA et ses concurrents (comme Bard de Google) ont conquis un très large public et il ne s’agissait que la version GPT-3.5. Dans un rapport publié le 5 avril dernier, les économistes Joseph Briggs et Devesh Kodnani de Goldman Sachs ont annoncé que 300 millions d’emplois à temps plein seront affectés par l’IA dans le monde et que 2/3 des métiers aux Etats-Unis seraient concernés par une proportion variable d’automatisation, d’ici les dix prochaines années. L’IA devrait « faire gagner 7 % de PIB », rien que ça.
ChatGPT et les élèves : déjà une relation fusionnelle
Si tous les élèves n’ont pas encore conscience de ce tournant de l’histoire numérique, ils ne sont plus guère qu’une minorité. Il suffit de demander à ses classes pour en avoir une idée. La majorité a déjà utilisé au moins une fois l’IA et en a été très satisfaite. La gratuité, la facilité d’accès, la possibilité de s’exprimer en de nombreuses langues, tout concourt au succès de l’ultime création d’OpenAI, auprès des étudiants, des lycéens et des collégiens.
Il existe par ailleurs déjà de multiples applications pour smartphone, inégalement performantes mais fort pratiques pour un usage de tous les instants, quelle que soit la discipline scolaire du jour, de la plus scientifique à la plus littéraire, sachant que les prochaines possibilités ouvertes par le traitement de l’image et des vidéos approfondiront encore l’ensemble. Le rapport de Goldman Sachs le précise, cette génération occupera des emplois créés par l’intelligence artificielle, au même titre que « 60% des travailleurs d’aujourd’hui sont employés dans des professions qui n’existaient pas en 1940 ».
D’ici là, en tant que professeurs, nous avons besoin de savoir comment réagir. Après les petites gouttes de ces derniers mois, nous nous attendons à une une averse de grands oraux ChatGPT, d’exposés ChatGPT, de dissertations ChatGPT, etc. Ce qui était encore limité en janvier 2023 sera généralisé d’ici septembre 2023. Nous prenons les paris.
Peut-on encore interdire ChatGPT dans les établissements ?
Les bannissements venant des écoles
Au nom de la lutte contre le plagiat, plusieurs écoles ont renforcé le cadre de leurs examens. Certaines ont investi par exemple dans des logiciels spécifiques (GPTZero ou ZeroGPT), voire les ont fabriqués elles-mêmes, comme l’université de Stanford. D’autres ont fait confiance à des prestataires déjà connus comme Compilatio, doté d’un renifleur ChatGPT depuis le début du mois d’avril.
En France, des institutions comme Sciences Po ont d’ailleurs rappelé que, l’honnêteté intellectuelle attendue de tout étudiant exigeait que l’emploi de ChatGPT soit dument et expressément mentionné dans les ressources utilisées. C’est la même règle dans plusieurs écoles de commerce. Aux États-Unis, certaines écoles sont allées plus loin en interdisant purement et simplement toute utilisation à New-York, Seattle, Los Angeles, etc. Pour nous qui avons un peu de mémoire, elles avaient tenté la même chose il y a vingt ans avec Wikipedia. On sait avec quel succès…
Notons d’ailleurs que ce bannissement n’empêche nullement la réflexion sur les mutations en cours. Sciences Po Paris a promis par exemple d’alimenter le débat. Une première pierre a été posée avec cette très grande table ronde sur le sujet organisée il y a quelques semaines :
À l’étranger, signalons également cette conférence de l’université de Montréal :
Les interdictions gouvernementales contre ChatGPT
À une autre échelle, plusieurs États interdisent totalement ChatGPT. Il y a bien sûr ceux qui, de façon générale, sont fermés aux produits américains : la Russie, la Chine, l’Iran, la Corée du Nord, etc.
En Europe, l’Italie a apposé son veto, sur la base du RGPD, le règlement européen sur la protection des données. En effet, ChatGPT commettrait plusieurs infractions :
- le prélèvement non-consenti de masses d’information sur lesquelles s’appuient l’algorithme pour fonctionner,
- l’absence de mesure de vérification d’âge des utilisateurs ce qui exposerait potentiellement des mineurs à des réponses inappropriées du logiciel,
- et l’absence d’information aux utilisateurs de l’usage de leurs propres données.
Dans la mesure où cette interdiction s’assortit d’une menace d’amende record et que la plupart des reproches ne sont pas insurmontables, l’interdiction a été levée à la fin du mois d’avril. De son côté, le Canada a annoncé ouvrir une enquête. On voit mal comment une interdiction générale pourrait s’imposer. L’IA est là, elle est installée, il faudra s’y adapter.
Que fait la France ?
Il n’y a pour l’instant eu aucun article ou communiqué de presse officiel sur le site du ministère. Quelques médias ont toutefois interrogé la rue de Grenelle directement.
Selon un article de FranceInfo du 10 mars 2023, le ministère ne travaille pas actuellement à l’intégration de ChatGPT dans les cours mais au « renforcement des compétences numériques » des élèves, « l’une des priorités de la transformation des classes de 5e, 4e et 3e » d’ici 2027. Selon Sciences et Avenir publié en janvier 2023, le ministère affirme « suivre en effet attentivement cette question et les potentielles utilisations de cette innovation dans les écoles, collèges et lycées. [….]. Il livre par ailleurs l’analyse suivante :
« Il est évident que des élèves pourraient être tentés d’utiliser ChatGPT comme un outil d’aide à la rédaction de leurs devoirs, tout comme ils vont aujourd’hui sur le web, notamment au lycée. Ce n’est cependant pertinent, ni pour faire ses devoirs, ni pour progresser. D’abord parce que, même si la réponse est censée être « originale », elle est en grande partie stéréotypée ; ensuite, parce que ce qui est demandé aux élèves, c’est une réflexion personnelle et argumentée ; or une intelligence artificielle peut traiter de données factuelles, mais pas produire une analyse personnelle et argumentée ; enfin, parce que toute intelligence artificielle comporte des biais, qu’un élève ne sera pas en mesure de distinguer, contrairement à ses professeurs. […] Par ailleurs, le « style » sémantique d’une intelligence artificielle n’est pas celui de l’élève : les professeurs connaissent leurs élèves, leur style, leur niveau. Le décalage, éventuellement flagrant, entre la « réponse » de ChatGPT et celle d’un élève, apparaîtra rapidement, et ne jouera pas en faveur de l’élève. Enfin, il est important de rappeler que l’enjeu pour un élève n’est pas de disposer de réponses toutes faites, mais de progresser, ce qui suppose de revenir à l’information factuelle, et non pas sélectionnée, et d’être capable de l’analyser ».
Propos du Ministère, cité par le journal Sciences et Avenir, janvier 2023
Nous ne pouvons que souscrire à l’analyse qui justifie les devoirs comme une occasion d’expression personnelle des compétences et connaissances de l’élève. En tant que professeurs, nous sommes en mesure,de repérer un texte qui a bénéficié manifestement d’une aide extérieure. De fait, ce n’est pas la première fois que cela arrive. Toutefois, il convient de déterminer ce que ChatGPT va changer pour nous, professionnels de l’éducation en général et professeurs d’Histoire-Géographie en particulier. Quelques collègues ont mené des expériences, comme Jackie Pouzin pour l’académie de Nantes, ou encore Cédric Labrousse sur son site personnel. Nous ne sommes pas encore très nombreux à avoir produit sur ce sujet en France. Gageons que cela va prochainement changer.
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