Dans « Un combat intellectuel à mener », Thomas Reyser, écrivant dans le blog « Parlons d’école », se demande avec raison ce qui en interne dans les enseignements a pu amener aux dérives telles celles de la direction de l’UNEF, dérives produites par nos anciens élèvesUne première mouture de ce texte est initialement parue en tribune libre dans « Parlons d’école »…
L’implication des enseignants quant aux questions de citoyenneté
Contrairement à ce qui est souvent dit dans les médias, y compris par des pédagogues, nos enseignements, et pas seulement l’Éducation morale et Civique, sont depuis longtemps des facteurs d’éveil à l’antiracisme, à l’inégalité homme-femme, à la reconnaissance de l’homosexualité, bref à la tolérance culturelle.
Il est donc certain que nous ayons participé à un éveil des consciences chez nos jeunes et cela ne peut que nous réjouir.
Que cet éveil – corroboré par des faits incontestables – soit appréhendé sur des bases plus émotionnelles que rationnelles, est certainement à interroger. C’est en tout cas ce qui se joue médiatiquement sur les questions d’esclavage et de colonisationCf.« Sauvages, au coeur des zoos humains » de Pascal Blanchard et Bruno Victor-Pujebet (2018, Arte)..
Il revient alors à l’enseignant, quelle que soit sa sensibilité personnelle, d’offrir à l’élève par la mise en contexte de sources diverses et contradictoires, la possibilité et la liberté de se faire une opinion argumentée.
Laïcité contestée à l’école : Que faire ?
La défense de la Laïcité, un combat de tous les instants. Les enseignants face aux contestations de la Laïcité et au séparatisme
Bruno MODICA | 13 Jan 2021 | Clio-Edito |
Des causes profondes extérieures à l’école
Qu’ensuite, devenus jeunes adultes, ils en tirent des stratégies d’action communautaristes et qu’ils en viennent à légitimer le concept de race doit nous conduire à mieux saisir l’entrelacement de mouvements techtoniques qui depuis plusieurs décennies travaillent en profondeur la société française et fracturent son « vivre-ensemble ».
Il est alors tentant de faire fi de la complexité de la situation et d’employer des concepts réducteurs prompts à jeter l’anathème sur le camp d’en face (« l’universalisme laïco-républicain » versus « le communautarisme islamo- gauchiste »).
Les recompositions culturelles à l’œuvre à l’ère de la viralité communicationnelle
Ainsi, la mondialisation de la communication via les réseaux sociaux va activer un puissant effet-levier dans une partie non-négligeable de la société. Il y a celles et ceux qui voient l’actualité étasunienne comme un miroir de nos difficultés à mettre en valeur les minorités. La Cancel Culture résonne chez eux comme un moyen politique légitime d’en finir avec l’universalisme, devenu à leurs yeux le cache-sexe d’un pouvoir capitaliste, blanc et masculin.
Il y a aussi celles et ceux qui au nom de « la communauté musulmane opprimée » ont patiemment tissé des réseaux d’entraide vis à vis de minorités reléguées dans les quartiers, abandonnées ou perdues par le pouvoir central. La nature ayant horreur du vide, ces mouvements ont remplacé dans la sphère sociale et culturelle le rôle que le parti communiste tenait naguère dans les « banlieues rouges ».
De nouvelles convergences d’intérêts ?
Qu’il puisse y avoir convergence d’intérêt entre une certaine gauche et les islamistes dans la défense des nouveaux « damnés de la terre » est alors logique. Mais qualifier globalement ces rapprochements d’« islamo-gauchisme » supposerait de se livrer auparavant à une analyse fine des diverses situations politiques locales et de leurs stratégies d’alliance.
Parallèlement, ce qui est qualifié de « camp laïque » regrouperait un arc allant de la gauche à l’extrême-droite… Là aussi, le simplisme fait son œuvre, alors que les sensibilités et les stratégies électorales sont pour le moins divergentes – voire pour l’extrême-droite essentiellement de circonstance – simplisme que l’on se gêne pas de pimenter à la sauce islamophobe.
Chez les jeunes, une laïcité « à l’américaine » de plus en plus populaire
Troisième mouvement profond que les pédagogues doivent prendre au sérieux, le découplage entre la tradition laïque issue de la IIIe République et de la loi de 1905 avec la montée des valeurs de liberté individuelle et de tolérance, là aussi inspirées du modèle communautaire anglo-saxonNous avions pu déjà constater sa réalité dans les cours d’EMC sur la laïcité, notamment à la suite de la loi sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école de 2004….
« Les Français, c’est les autres »
Documentaire sur les jeunes Français de banlieue (2015, FR2)- Malaise identitaire chez les jeunes de banlieue – Mohammed Ulad-Mohand, cinéaste, Isabelle Wekstein-Steg, avocate.
Ce fossé a continué de se creuser tout au long de la réaffirmation d’une laïcité devenue « de combat » à la suite des attentats islamistes qui ont ensanglanté la France dans les dernières décennies. Le sondage IFOP du 3 mars 2021 confirme selon l’hebdomadaire Marianne « l’existence d’une fracture générationnelle » : les lycéens s’y révèlent, au contraire du reste de la population française, ouverts à l’expression de la religiosité dans l’espace public et majoritairement hostiles à la liberté de critique des religions.Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en recherchant ce sondage dans Google on constate en première page un large consensus des médias sur le sujet – médias qui s’écharperaient sans hésiter sur les 2 premiers mouvements décrits plus haut…».
Or si une forte majorité d’élèves musulmans souhaitent l’abrogation de la loi de 2004 et la possibilité de pratiques communautaires séparées dans l’espace public, c’est aussi le cas d’une courte majorité de lycéens toutes cultures confondues, alors que 71% de ces mêmes lycéens se déclarent soit athées, soit non-religieux.
Il faudra creuser ce lien entre le libéralisme des jeunes en matière de libertés religieuses et la revendication de ne pas critiquer l’islam. Comment ne pas voir par exemple, dans la notion bien mal partagée de « respect », une injonction qui ne va guère avec l’apprentissage de la citoyenneté, la formation d’un esprit critique, la construction d’arguments, si chère à notre tradition des Lumières.
En la matière, l’école est à la croisée des chemins.
Jean-Michel Crosnier pour les Clionautes