Climats et migrations. Sécheresses, érosion des littoraux, incendies… Les événements climatiques et leurs conséquences suscitent, parmi d’autres facteurs, des migrations de toutes sortes. Certains climats entraînent-ils plus de migrations que d’autres ? Le changement climatique est-il un bon angle d’approche pour envisager les futures migrations, d’où et vers où ?
Avec Hervé LE BRAS, directeur d’études, démographe, François GEMENNE, Professeur géopolitique de l’environnement, Sciences Po, Université libre de Bruxelles (Belgique) animée par Ornella PUSCHIASIS, maîtresse de conférences en géographie, INALCO.
Des interactions anciennes, des mutations récentes
François GEMENNE : Cela fait plus de 15 ans que je travaille sur les interactions entre climat et flux migratoires. Quelle est l’influence du changement climatique dans les motifs de migration ? Cela a toujours fait partie des raisons qui amènent des hommes à quitter leur maison, leur région. Les migrations environnementales sont aussi économiques et politiques. Les migrants ne vont plus de A vers B mais connaissent des parcours heurtés et les catégories politique, économique ou autre sont brouillées.
Les grandes dynamiques montrent des flux enchâssés. Par exemple, en Afrique de l’Ouest, il y a d’abord un exode rural lié aux difficultés de l’agriculture de subsistance qui rend les familles plus vulnérables aux variations climatiques.
Hervé LE BRAS : Regardez la migration du point de vue historique. Comment elle se modifie dans le temps. En France dans les années 1950-1970, on accueillait des illettrés pour leur force de travail, en pensant à une migration temporaire avec retour au pays avec un petit pécule. En fait, cela a beaucoup changé. Aujourd’hui les migrants s’appuient sur des réseaux comme au XIXe siècle vers les USA où les migrants partaient avec un contrat de travail en poche.
Le cas africain
Hervé LE BRAS : Les propos de Stephen Smith, dans La Ruée vers l’Europe1, décrivant un flot migratoire à venir en raison de la démographie sont une simplification dangereuse. En fait, quelle est la réalité de la migration en Afrique : le pays qui émigre le plus est la Tunisie malgré un faible taux de natalité. À l’inverse, le Niger, très pauvre avec 7,3 enfants/femme connaît une faible migration. Les Maliens ou les Sénégalais migrent vers leur communauté, nombreuse en France, depuis longtemps (« tirailleurs sénégalais » souvent maliens d’ailleurs). Citons le cas de Montreuil où se concentre une communauté malienne. Les Africains du Sud migrent, non pas vers l’Europe, mais vers l’Inde ou la Malaisie. La pauvreté est une cause des migrations à faible distance.
Aujourd’hui, les migrations sont très sélectives, les 270 000 nouveaux détenteurs d’une carte de séjour en 2019 en France ont un niveau de scolarisation supérieur à la moyenne française. Une étude, déjà un peu ancienne à Sangatte montrait que 55 % des migrants avaient au moins le niveau du bac.
La migration Afrique/Europe est plus liée aux progrès de la scolarisation en Afrique qu’à la pauvreté.
F. G. : Les activistes utilisent parfois la crainte de la migration pour obtenir des mesures environnementales, c’est un danger qui amplifie le ressort xénophobe.
La migration a toujours été une adaptation au changement.
F.G. : Il faut distinguer les migrations liées à une catastrophe naturelle : 25 MH en 2019, soit 3 fois plus de déplacés que pour des raisons politiques ou de guerre mais des migrations à faible distance et temporelle qui parfois deviennent permanentes. Prenons le cas de la communauté noire de La Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina. Elle n’est pas revenue et a été remplacée par des Hispaniques.
Dans le cas de changements plus lents (montée du niveau de la mer par exemple), on voit des liens climat/économie/politique. En Afrique de l’Ouest, on perçoit plutôt un exode rural, en Afrique de l’Est des conflits pour la terre.
L’augmentation des dégradations de l’environnement induit une montée de ce motif dans les décisions de migrer.
Mais quelle peut être la perception des changements environnementaux ?
Au Niger, par exemple, la diminution des pluies est avancée comme cause de migration. Les relevés pluviométriques indiquent pourtant une situation stable. Une perception, même fausse, est très importante dans la décision de migrer.
Si les accords de Paris ne sont pas respectés, que des terres deviennent inhabitables et imposent de déplacer des populations, cela va réduite la capacité de décision des gens. La baisse des revenus rendra la migration plus difficile (coût des passeurs). Les déplacements seront décidés par l’État.
H. L.B. : revient sur la distinction entre migration proche ou lointaine : la migration climatique est plutôt de proximité (ex de la vallée du Mékong).
En réponses aux questions :
En France pas de réelle politique d’asile ou de migration car on considère le phénomène comme conjoncturel ce qui est une erreur.
Les migrations sub-sahariennes vers la France ne représentent que 13 % des migrants.
Conférence visible en ligne (partie 1) et (partie 2)
Vous pouvez également consulter les autres comptes-rendus de conférence du FIG 2020. ————————————
1 Podcat de l’émission de France culture https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/afriqueeurope-defis-demographiques-enjeux-politiques-emission-en-partenariat-avec-la-croix (21/02/2018)