Les aléas de la circulation en région parisienne font que nous avons manqué l’essentiel de l’intervention introductive de Marc Vigié (IA/IPR, Académie de Versailles) : « Enseigner et commémorer la Grande Guerre au collège et au lycée : pourquoi ? Comment ? », dont le texte sera lisible en ligne sur le site Strabon
Par ailleurs, il s’agit d’une prise de notes en direct. On voudra donc bien excuser les éventuelles coquilles non repérées à la remise en forme, et l’imperfection de celle-ci.
Colonel Michel Goya (IRSEM, analyste des opérations militaires françaises et étrangères pour l’armée de Terre) : « La chair et l’acier »
Exposé sur les transformations de l’armée française pendant la Première Guerre mondiale, sujet de sa thèse dont a été tiré l’ouvrage La Chair et l’Acier
Cette guerre fut un phénomène dynamique : on est passé de l’armée napoléonienne en 1914 à l’armée moderne en 1918
L’armée française en 1914
C »est une armée d’infanterie avec essentiellement des Lebel et des baïonnettes, une artillerie de campagne (canon de 75), une cavalerie (surtout renseignement) : bref proche de l’armée napoléonienne, mais avec des moyens et des compétences insoupçonnés (quant à leur efficacité) après 43 ans de paix
Il y a des présupposés stratégiques
- la France ne tiendra pas une guerre longue donc on envisage une guerre courte et offensive, on cherche bataille décisive, d’où le choix du nombre : autant de soldats que les Allemands (plus sélectifs sur leurs appelés : incorporent 50% des appelés) mais moins bien formés
- on attaque en Lorraine principalement : guerre des frontières, que des échecs meurtriers qui permettent de se rendre compte qu’on n’est pas bons
- peu après (15 jours) bataille de la Marne : affaiblissement allemand (soldats prélevés pour l’Est, échec du commandement par télégraphe) et transformation française : par exemple l’artillerie n’est plus utilisée seulement à vue (4 km maximum) mais avec ballons ou dirigée du front par téléphone.
- les innovations sont permises car 40% des généraux sont limogés : renouvellement par ceux qui réussissent (Pétain par ex) et grande circulation des expériences (par réseaux de promotion, CR des opérations effectuées, avec retour au GQG, de façon honnête en signalant les erreurs)
Puis arrivent les tranchées : phénomène imprévu, pratique spontanée des soldats qui s’enterrent, d’où la formation du front. Les tranchées résistent, ce qui n’était pas prévu non plus. Bref la pratique l’emporte par la suite, mélange de culture, de structures, de compétences, d’équipement : enn 1917 par exemple, on change de point de vue sur le sergent, simple exécutant qui devient le chef d’un groupe de combat spécialisé et qui prend des décisions. Ce bouillonnement au front est permanent
Il s’agit d’un jeu à trois : armées au combat, GQG, ministère qui fournit les équipements
- la pratique des unités au combat ce sont des savoir-faire implicites, pas écrits. Pour changer cette somme d’habitude, on fait des CR, des analyses qui remontent au GQG lequel produit des doctrines et règlements qui redescendent, c’est conflictuel car GQG ne connait pas cette guerre nouvelle. En 1917 ça va mieux car GQG a appris.
- dans l’armée française il y a la majorité qui applique la ligne du GQG et l’opposition qui innove, dans les 3 groupes d’armées
Les innovations
- doctrine de la guerre courte toujours mais avec tranchées d’où la percée : on expérimente en 1915 mais les armées ne sont pas adaptées. Par exemple on envoie dans les tranchées d’abord des capacités de défense (mitrailleuses) qui défavorisent infanterie ce qui suppose une adaptation avec des moyens offensifs plus légers : 1916 mortier, fusil-mitrailleur ; 1918 chars légers
- Artillerie : le problème français est de créer une artillerie lourde contre les positions enterrées. On récupère la vieille artilleriedes forteresses, qui tire très lentement (les Allemands tirent 4 fois plus vite). En 1917 apparaît une artillerie lourde moderne française pour tirer à 10-15 km ce qui suppose un travail scientifique et du réglage en créant l’aviation, essentiellement d’observation. En 1918 c’est l’artillerie moderne qui peut tirer sans réglage, ce qui signe la fin de la préparation d’artillerie massive de plusieurs jours (la dernière en 1917), remplacée par une artillerie qui tire quelques heures puis attaque, ou des chars.
- Aviation : pilotage d’en haut (du GQG, pour l’observation) et création spontanée de l’aviation de chasse par des pilotes, souvent venus de la cavalerie, qui veulent se battre et s’arment
- Cavalerie menacée par la guerre de tranchées : pour survivre, pratique de la percée et reconversion dans l’aviation (avec leur culture offensive : cavalerie aérienne, chasse) et les chars
Toutes ces innovations sont heurtées et décalées par rapport au GQG. Le GQG défend la grande percée dont l’échec apparaît en octobre 1915 (1915 = 50% des pertes de la guerre, pas de permissions, premières mutineries). On change donc pour une guerre qui économise les hommes : front-repos-instruction (les trois 8).
La nouvelle doctrine d’artillerie méthodique (Foch) est aussi un échec, d’où l’arrivée de Nivelle qui pense que les armées sont maintenant préparées à la grande attaque : c’est par exemple le Chemin des Dames, et les mutineries (grèves de l’attaque en fait).
Puis Pétain arrive, abandonne la bataille décisive et adopte les petites batailles en 1917, quand l’industrie de guerre à sa pleine puissance et en avance sur l’automobile : on crée des unités automobiles, une division aérienne, des bataillons d’autos-mitrailleuses. Cette armée moderne renforcée par moyens mobiles (l’Allemagne sépare le défensif et l’offensif) lance des offensives simultanées en 15 jours en 1918 contre le front (l’Allemagne a besoin d’un mois).
En 1918 l’armée française la plus moderne, la plus motorisée du monde avec des moyens de communication en avance et des modèles de combat très sophistiqués, avec un service de santé très moderne et efficace ; L’armée américaine est d’ailleurs équipée par la France. L’armée allemande a moins réussi à s’industrialiser (même si elle s’est adaptée et améliorée) et s’est épuisée plus vite (choix d’une armée d’assaut qui subit les chocs, plus d’1M de déserteurs en Belgique en 1918).
Vincent Auzas (IHTP / CNRS): « Commémorer la guerre, de 1919 à nos jours »
V. Auzas a soutenu sa thèse sur ce sujet.
Définition : cérémonie publique mêlant hommage, volonté politique, sensibilité
La création de la commémoration
11/11/1920 soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe et débat parlementaire sur un jour férié
En 1919, le gouvernement est hostile à la célébration de l’anniversaire de la victoire (pétition de lycéens pour 1 jour férié) car il estime en avoir assez fait
- Défilé du 14 juillet 1919 : cénotaphe « aux morts » sous Arc de Triomphe, hommage diplomatique avant le défilé
- Loi d’octobre 1919 imposant à chaque municipalité une cérémonie publique de glorification des morts de la guerre le 1er ou le 2/11
En Grande-Bretagne le roi George V accepte 2 mn de silence le 11/11. Poincaré est à Londres alors, parle de célébration mémorielle. La presse française parle de ces 2m n en montrant son incompréhension. Une manifestation cortège de lycéens a lieu le 11/11 à la Concorde, les élèves de l’Ecole de Guerre allant à l’Arc de triomphe.
La commémoration commence en 1920 en réaction :
- à l’adoption le 14/7/1920 d’une 2ème fête nationale, celle de Jeanne d’Arc
- au projet de célébration des 50 ans de la République prévue le 4/9 avec transfert du cœur de Gambetta au Panthéon. L’Assemblée se soulève (les anciens combattants veulent une cérémonie à l’arc de Triomphe célébrant les victimes militaires) contre le projet de l’exécutif, déplacé alors au 11/11 avec un jour férié. Dans ce cadre on pavoise Paris en octobre
La commémoration naît aussi d’un 2ème mouvement de patrimonialisation de la mort de guerre :
- Création de la mention « Mort pour la France » en 1915
- Tombe individuelle promise pour chaque mort français
- Loi du 25/10/1919
- Soldat inconnu : choix organisé par Maginot avant même le vote de la loi le 8/11/1920. Ce processus est intégré par le Président du Conseil à la célébration du cinquantenaire de la République : cercueil du soldat inconnu dans le cortège
Suivent 2 périodes de débats parlementaires avant la formule définitive de la commémoration
- 1e loi : Célébration publique sous l’Arc de triomphe le dimanche après le 11/11, donc le 13. On fête aussi la victoire. Le Président de la République et Madame ont célébré le 1/11 et sont absents absents
- Les anciens combattants vont faire pression pour une commémoration, acceptée mais arrangée par l’exécutif et l’armée, le 11/11/1920 à l’arc de Triomphe : l’armée est mise au 1er plan, les anciens combattants au 2ème, on célébré les morts et les vivants, en présence du Président de la République Poincaré, avec 1mn de silence reprise une 2ème fois. L’émotion domine
11/11/1932 une initiative militaire change le sens de la cérémonie : un prélude musical, inspiré de musiques militaires britannique et américaine, est joué pour la minute de silence : c’est la sonnerie aux morts pour tambour et trompette. On est au début du cinéma parlant (avant aux Actualités on ne savait comment montrer la minute de silence, sinon par un carton). L’attention se déporte donc du défilé militaire vers la minute de silence qui passe de 6 secondes au cinéma à 90 secondes avec une sonnerie aux morts funèbre
11/11/1936
De 1923 à 1935, une foule d’anciens combattants est à l’arc de Triomphe, le défilé militaire est « horizontal », devant une barrière humaine traversant l’esplanade
En 1936 la voie est libérée autour de l’arc de Triomphe pour le défilé, les troupes sont dans l’aire commémorative sur la place. Le Président doit descendre de voiture à l’entrée sur la place pour recevoir les honneurs militaires, on ne garde près du soldat inconnu que les grands mutilés de guerre. La population parisienne est éloignée de l’ère commémorative et placée le long des Champs Elysées. Il y a un défilé d’enfants, filles et garçons (seuls filmés) qui croise un défilé d’anciens combattants.
L’éloignement des anciens combattants sur des emplacements précis est dû aux défilés martiaux des anciens combattants des ligues avant 1936 : en 1934 et 1936 les ligues veulent saboter le 11/11 (de La Rocque) : salut romain (fasciste) aux troupes
L’arc de Triomphe est transformé en cimetière du Front place de l’Etoile (tombes avec de la terre des zones du front)
Jusqu’à 1936 le PCF est hostile à la commémoration et le dit. La SFIO aussi mais ne le dit pas. Après 1936 comme le Front Populaire organise la commémoration, les conservateurs sont hostiles
En 1939 le temps présent s’impose à la commémoration : cérémonies publiques interdites mais cérémonie légère sans invitation ni public, avec troupes des Alliés et 2 compagnies du front qui viennent de combattre victorieusement. On décore des soldats. Bref on commémore les deux guerres et le Président de la République prononce un discours de mobilisation des forces
11/11/1940 commémoration à Clermont-Ferrand mais ce n’est plus, en droit administratif, une célébration publique
Retour de la commémoration en 1944, volonté de De Gaulle, organisation par le grand résistant Alexandre Parodi. De Gaulle la fixe à 30mn, organise l’arrivée surprise de Churchill. Il y a un défilé militaire (de la victoire) sur les Champs Elysées.
En 1945 Henri Fresnay organise une cérémonie de 2 jours (10-11/11), dans tout Paris, plongé dans le noir dans la nuit du 10. On choisit 15 morts combattants y compris coloniaux pour le Mont Valérien. De Gaulle parle le 11/11 à l’arc de Triomphe
Sous la IVe République la pratique est dans le style des années 1930
Dans les années 1960-70, la TV change les choses : documentaires, incarnation télévisuelle des anciens combattants et on peut filmer en direct les cérémonies qui sont donc reconfigurées pour la diffusion.
- En 1974 Giscard intervient directement dans la cérémonie : marche funèbre de Chopin ralentie quand il monte au tombeau du soldat inconnu. Bref présidentialisation des cérémonies. Mitterrand vient sur un véhicule de commandement et avec la Garde Républicaine pour rappeler à ses partisans qu’il est chef des Armées. On incorpore des éléments patrimoniaux : musique par exemple (La Madelon)
- Chirac s’inscrit dans sa continuité avec cependant une question nouvelle : que faire après la disparition des anciens combattants ?
- Sarkozy en fait plus un moment politique qu’un moment de commémoration. Hollande envisage un Mémorial Day
Nicolas Beaupré (Université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand) : « Ecrire en guerre, écrire la guerre »
N. Beaupré a soutenu sa thèse sur ce sujet. L’exposé sur les textes publiés : « littérature de témoignage »
Les pratiques d’écriture sont très variées pendant la guerre (correspondance, témoignages, littérature). Mais attention aux dossiers scolaires de textes qui aplatissent tout et réduisent tout à une fonction testimoniale !
Les combattants, qui écrivent des lettres, sont familiarisés avec l’écriture. Il y a des écrivains mobilisés et envoyés sur le front (mobilisés ou volontaires). Chez les intellectuels l’enthousiasme est assez large pour la guerre.
L’entrée en guerre est un basculement, une découverte de la violence, d’un autre temps, celui de la guerre : dès 1914 on parle partout de la « Grande Guerre »
L’expérience du feu est individuelle et collective : très vite il y anarration/représentation de la guerre (textes et arts), dans tous les milieux
L’écriture favorisée par
- un contexte de moyenne durée: sociétés alphabétisées, même dans l’est de l’Europe. École, presse de masse, alphabétisation avec des valeurs politiques et patriotiques qui sont des clefs de lecture de la guerre
- la forme du conflit : dans les tranchées on a du temps libre, en particulier à l’arrière-front (artisanat, dessins, photos…)
Les écrivains établis voient leur engagement mis en avant :
- cf. Richard Dehmel (poète symboliste allemand volontaire, né en 1863, l’armée le refuse puis l’accepte et le médiatise). Cf.Barbusse qui se justifie dans L’Humanité : contre le militarisme et l’impérialisme, pour la liberté et l’émancipation internationaliste. Cf. en Italie en 1915 l’engagement de D’Annunzio, Marinetti, etc. Les écrivains étrangers vivant à Paris s’engagent : Blaise Cendrars par ex (suisse).
- Très vite ils publient (d’autres le font après 1918) et s’érigent comme portes-paroles des combattants. La construction de l’expérience combattante est faite d’abord par eux. Très vite ils justifient leur écriture par le fait qu’ils font la guerre : cf. Dorgelès. Ils écrivent contre le bourrage de crâne mais sont d’abord publiés par la presse : Le Feu publié en feuilleton. Il y a utilisation patriotique ou pacifiste de leurs écrits au fur et à mesure, dans des revues d’avant-garde (poésie plus dure à censurer) : en 1914 Die Aktion rend hommage à Péguy mort à la guerre
Cette littérature devient vite un phénomène éditorial de grande ampleur, dès 1915, avec des collections de guerre (Berger-Levrault, Hachette, NRF, Ullstein en Allemagne) et des gros tirages. On cherche de nouveaux auteurs, il y a de la publicité (l’expérience combattante est mise en avant, comme légitimation). Les prix sont décernés à ces textes : prix Goncourt de 1914 à 1918 par exemple.
Des écrivains deviennent combattants, des combattants deviennent écrivains. Barrès parle des « écrivains soldats », on retrouve des expressions similaires ailleurs. Il y a un Bulletin de liaison des écrivains (front-arrière) et une association en 1919
La mort de l’écrivain au combat est misé en scène : Péguy est le grand sacrifice qui en appelle d’autres, August Stramm (poète expressionniste allemand tué en 1915 sur le front de l’Est) est l’objet d’un culte par sa revue Der Sturm, avec des lectures médiumniques, Rupert Brooke au début de la guerre (il est belliciste, sa mort permet une célébration de la guerre) et Wilfred Owen à la fin (pacifiste : sa mort s’explique par l’absurdité du conflit) sont aussi célébrés, avec des intentions différentes donc, en Grande-Bretagne. Le Bulletin de liaison des écrivains devient une vaste rubrique nécrologique, on sort des anthologies des écrivains morts à la guerre (Larousse, préface de Barrès). On pose des plaques au Panthéon en 1927 pour les 527 écrivains français morts.
Les questions du trauma, de la blessure deviennent progressivement des thèmes centraux : cf. Apollinaire et le Bulgare Géo Milev : gueule cassée pacifiste qui interroge dans ses écrits le trauma physique et psychique après guerre
Après la guerre la fictionnalisation est plus grande que pendant la guerre, surtout à la fin des années 1920 (d’où les polémiques sur Jean Norton Cru, Remarque, Sassoon).
Retour à la normale en 1918 : Goncourt à Proust en 1919 (Dorgelès favori). Il y a un désintérêt du public par ex. pour les livres sur la guerre publiés en 1918
Il y a aussi dans les années 1920 une internationalisation (traductions) et une transnationalisation : les 2 grands succès sont
- Barbusse Le Feu
- Remarque À l’Ouest rien de nouveau
André Loez (Sciences-Po Paris) : « Les tranchées, lieux d’histoire, lieux de mémoires »
C’est Verdun le lieu de mémoire chez Nora (article d’Antoine Prost), pas les tranchées qui sont depuis devenues les lieux de mémoire, très souvent dans les projets de commémoration. Il faut pourtant, en historien, mettre les tranchées à distance.
Les tranchées comme lieux attendent encore leur historien. Les archéologues y ont vraiment travaillé depuis 20 ans (objets du quotidien, construction des tranchées, tombes, lieux d’artisanat). La bibliographie historique sur les tranchées est réduite.
Les origines
- Art du retranchement dès Rome, siège avec tranchées théorisé par Vauban
- Apparition vraiment au milieu du XIXe car on entre dans une guerre où la puissance de feu (fusils à âme rayée) rend les mouvements de troupes cpérilleux en terrain découvert : tranchées en Crimée (1865) et pendant la guerre de Sécession (Petersburg, 1864). On en trouve aussi dans la guerre des Boers, dans la guerre états-Unis/Cuba (1898), dans la guerre russo-japonaise de 1905 très observée par les états-majors mais surtout par les officiers de terrain. La tranchée n’est pas envisagée de façon centrale même si elle existet dans des manuels et dictionnaires militaires. Les doctrines sont avant tout offensives et font 235 000 morts français en août-septembre 14
- 1es tranchées dès le début de la guerre mais on connait mal cette phase initiale : témoignages sur Charleroi avec des tranchées dès mi-août dans des phases de guerre de mouvement : trous individuels, puis tronçons puis liaisons. L’initiative part d’en bas et se prolonge après la Marne. La dotation en outils passe en France d’une pelle/2 soldats à une chacun. Les tranchées sont peu étayées au début puis bois, sacs de sable, plancher, béton par la suite…
- de nombreux témoins notent leur surprise face à cette guerre nouvelle : on est tué dans les tranchées par des obus, pas comme dans l’imaginaire de la guerre d’offensive. On n’imagine pas que ça va durer 4 ans
- la perception à l’arrière est tardive : en une du Petit Journal, la tranchée n’apparaît que le 6/12/1914. Le public va mettre du temps à comprendre. Dans Lectures pour tous qui reparaît le 24/10/1914, un article est consacré, très tôt donc, à la nouveauté : « Dans les tranchées »
2ème temps : l’appropriation
- par les combattants journaux de tranchées
- par les états-majors : renoncement à la guerre apprise, obsession de la percée à partir des tranchées
- par l’arrière : éditons sur les vertus paysannes du soldat français qui tient du coup dans les tranchées, articles sur les sillons ensemencés par le sang français
En fait la tranchée se généralise sur tous les fronts ( moins dans les Balkans et sur le front Est plus étendu : bastions et tranchées plus légères / pas de tranchées en Afrique) et le système des tranchées se complexifie : plusieurs positions successives constituées de plusieurs lignes de tranchées spécialisées et tracé qui serpente (contre tirs en enfilade) , avec des petits postes en avant et des boyaux vers l’arrière. Bref un système spatial qui nécessite des travaux gigantesques et qui varie selon la nature des sols (renforts souvent en béton dans les sols meubles et humides). Les tranchées allemandes sont de meilleure qualité, mais on tient un territoire envahi.
Le quotidien des tranchées
- lieu de combat quotidien : créneau de tir, artillerie de tranchée (mortier), grenades, sorties d’assaut, nettoyage de tranchées (au revolver, à la grenade surtout). Fraternisation dans les moments et les secteurs plus calmes. Le fantassin tue très peu (à l’arme blanche 1% des pertes), on meurt souvent tué par des tirs d’artillerie
- lieu de travail : consolider la tranchée en continu, pomper l’eau, creuser des abris… Travail manuel
- lieu de protection, beaucoup moins meurtrier que les grandes offensives
- lieu de vie : rendre les tranchées habitables : on les nomme avec des panneaux, loisirs ds tranchées
Il y a des éléments intangibles sur tous les fronts. Mais les modes d’organisation des armes sont différents : roulements temporels et spatiaux en France, plus d’ancrage sur un secteur pour Allemagne (donc lieux plus aménagés). Sous les climats chauds (Balkans, Gallipoli par ex.), on meurt beaucoup plus de maladies (épidémies, problèmes d’évacuation des excréments, chaleur) que sous les climats humides
On sort lors des offensives de 1918 car le système technique et les doctrines d’assaut évoluent : troupes d’assaut allemandes spécialisées, chars alliés
Les tranchées sont devenues des lieux de mémoire cf. cinéma
On en reconstitue : la tranchée des baïonnettes à Verdun est en fait tombe collective aménagée en 1920. Des associations locales en préservent, d’autres en créent aujourd’hui (par exemple en Isère… ce qui scandalise les profs mais a été subventionné par le ministère de la Défense), qui deviennent des supports pédagogiques : cf. The Trench Experience à l’Imperial War Museum (sonorisé) ou le Musée de Meaux
La tranchée icônique tend à faire disparaître d’autres expériences de guerre (mer, désert) et civiles (munitionnettes, orphelins arméniens)
Anne Hertzog (géographe, Université de Cergy Pontoise), Les territoires de la guerre : une patrimonialisation contemporaine
Comment on mobilise, sélectionne, expose ces traces matérielles (objets et lieux) de la Grande Guerre ?
Cette volonté de patrimonialisation existe depuis la guerre. Il y a eu des décennies d’occultation voire d’effacement dans les territoires du front, puis un fort mouvement de patrimonialisation depuis les années 1980
I. Les musées
II. La valorisation d’un cimetière de travailleurs chinois dans la Somme
I. Les musées
Les dynamiques de localisation traduisent une transformation du rapport des sociétés à la mémoire de la guerre et au territoire. La diversification des musées illustre la coexistence de différents modèles et donc de différents regards sur la Grande Guerre.
Il y a eu muséalisation précoce d’une infime quantité d’objets et d’oeuvres, pour témoigner de la violence et du martyr local, pour une mise en récit. On restreint souvent les collections aux militaria (objets de guerre). La circulation des objets récoltés sur les champs de bataille est intense (anciens combattants, touristes), il y a même une production post-conflit. Ça s’internationalise dès la guerre dans de grandes opérations de collecte pour les musées de grandes métropoles (Canada, Australie). Il y a monumentalisation des champs de bataille pour les convertir en espaces sacralisés.
Un département est créé pour cela au Musée de l’Armée. Dès la fin de la guerre, des musées locaux sont envisagés (Noyon par ex., salles à Beauvais pour les œuvres d’un artiste soldat local dès 1917.
Tout cela se pense dans un espace où on reconstruit, on relève, on plante des forêts, bref on efface le paysage des champs de bataille sauf dzns certains sites érigés par gouvernements comme lieux de mémoire et de monumentalisation (sans musée au début)
Le modèle du musée de site s’impose après la Seconde Guerre mondiale : le Mémorial de Verdun en 1967, le musée du Chemin des Dames en 1969, Le Linge en 1981 (projet datant de la fin des années 1960) etc. C’est une vision localisée de la guerre, dans le contexte du cinquantenaire, des transformations du territoire et de la muséologie (écomusées), pour garder une mémoire d’un passé qui s’éloigne et que la Seconde Guerre mondiale recouvre, et our conserver des sites abandonnés
Cf. Le Linge (Alsace) conservation du site dans les années 1960 par l’anthropologue Durlewanger). De nombreux acteurs sont mobilisés dans la remise en état de ce champ de bataille : acteurs locaux, éducatifs, associations politiques et armée qui fait les gros travaux. C’est un monde très masculin et isolationniste (quasi privatisation des sites).
Bref émiettement des initiatives : morcellement des mémoires, concurrences locales et politiques. Les musées de site racontent la bataille locale, les objets témoignent et sont parfois vus comme des reliques.
Années 1980 : changement de registre
Vague de créations muséales dans un contexte de retour de la Grande Guerre (disparition des témoins, fin de la guerre froide, élargissement européen, boum mémoriel et commémoratif, mouvement culturel dans le cinéma, la BD, la littérature, etc. et développement du tourisme de mémoire (politique d’Etat)
Les musées sont construits dans des territoires marginaux par rapport aux hauts lieux comme Verdun : Picardie, Somme, Marne, Meaux, Alsace, Vosges. Ils sont implantés en ville (Péronne (1992) au centre, adossé à un château-fort) et dissociés du champ de bataille. On construit aussi des centres d’expo sitions et de résidences d’artistes. Les musées urbains généralistes valorisent leurs fonds Grande Guerre
implication forte des acteurs publics locaux et régionaux qui s’affirment contre l’État dans la décentralisation. Les collectivités territoriales sont les principaux promoteurs et financiers, les musées sont envisagéscomme des outils d’aménagement du territoire et de renouveau urbain : cf. L’Historial de Péronne (1992), construit dans une ville en déclin, rééquilibrage de l’offre culturelle dans une ville moyennes, démocratisation de la connaissance historique savante, réappropriation d’un passé français dans la Somme haut lieu de la mémoire britannique , moyen de lutte contre un projet d’aéroport, développement économique et touristique. Idem dans la Marne à Suippes (communauté de commune, devenir une capitale de la Grande Guerre contre Verdun). Idem à Meaux.
Bref il s’agit de faire histoire, mémoire et territoire : se repositionner dans des espaces en recomposition dans un contexte d’ouverture européenne (espaces frontières enjeux) et mondiale. Il s’agit de faire aussi le récit de ces territoires : guides, mise en place d’itinéraires touristiques mettant ces sites en réseau pour raconter l’histoire d’un territoire dans la guerre (Nord Pas de Calais : le front, la reconstruction, la guerre de mouvement et l’occupation allemande, le littoral).
3 grands modèles de musée aujourd’hui
- musées de sites qui changent peu, hérités des années 1960 mais qui vont se moderniser c’est prévu à Verdun (Antoine Prost)
- musées d’histoire urbain depuis les années 1980 : muséographie reliée à un discours historien international et tutelle de la Culture (Direction des Musées de France). Renouvellement historiographique approche comparée et internationale
- le 3ème type repose sur la prise en compte des attentes supposées du public, particulièrement des touristes internationaux notamment anglo-saxons : autres cultures et traditions muséographiques privilégiant le pseudo réalisme de scènes de guerre reconstituées pour faire expérimenter l’ambiance de la guerre : musée d’Albert (Somme) dans les années 1990 s’inspirant de l‘Imperial War Museum, plus fréquenté par les Anglais que Péronne (300 000 nuitées déjà réservées dans Champagne et Somme pour 1914 par Anglo-Saxons)
II. Cimetière chinois de Nolette à Noyelle-sur-mer (baie de Somme), créé en 1921
Camp de travailleurs engagés par la Grande-bretagne, la France puis les États-Unis : travailleurs civils recrutés et payés (plus ou moins volontaires) : tranchées, inhumations, reconstructions. Morts souvent de maladies à cause de conditions de vie et de travail effroyables. Le cimetière est géré par la Commonweath War Graves Commission.
Le cimetière est dit chinois, fengshui , et aurait été aménagé par les Chinois. En fait il est comme tout cimetière britannique mais avec un portique à la chinoise qui tient lieu de mémorial (dû à un célèbre architecte colonial aménageur de New Delhi). Bref lieu produit par l’Empire britannique qui ne dit rien du rôle des travailleurs chinois mais raconte une histoire très militaire des combattants britanniques.
il y a quelques années il y a eu réappropriation par des acteurs locaux de la Baie de Somme dans un projet de tourisme et de valorisation patrimoniale du cimetière en musée à ciel ouvert paysager (échec du projet car les agriculteurs locaux n’ont pas voulu lâcher les terres) racontant l’histoire des travailleurs.
Depuis les années 2000 ce lieu est devenu le symbole de l’immigration chinoise et de son patrimoine, dans une réappropriation par des membres de la diaspora chinoise : lieu de mémoire.
Caroline Moine (Université de Versailles Saint-Quentin-en- Yvelines) : « La Grande Guerre et la relation franco-allemande »
C. Moine est spécialiste de l’histoire des relations franco-allemandes
18/1/1871 Empire allemand proclamé danss la Galerie des Glaces à Versailles revanche sur Louis XIV
28/6/1919 traité de paix signé au même endroit 5 « gueules cassées » invités par Clémenceau pour insister sur la responsabilité allemande
Exposé sur l’après 1918 (il faudrait replacer dans l’avant 1914)
I. Années 1920 sortie de guerre douloureuse
II. Nazisme
III. Construction européenne et réconciliation
I. Les années 1920
– Jusqu’en 1925 « guerre froide franco-allemande » : la diplomatie continue la guerre
Le Traité de Versailles (art. 231) rend l’Allemagne responsable de la guerre : réparations, perte de populations et de territoires, Diktat, occupation de la Rhénanie, la Sarre, Memel et le Schleswig-Holstein, la Haute Silésie et la Ruhr (en 1923-24 quand l’Allemagne refuse le montant des réparations demandé) pour garantir la sécurité française et le paiement des réparations
Tout ça danss contexte de deuil : cf. nombre de morts et de veuves, problème des noms non respectés sur les sépultures. En Allemagne désir de revanche sur les monuments aux morts locaux (pas de monument national)
Rares sont les acteurs de la « démobilisation culturelle »
- ligues des droits de l’Homme
- Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté
- Marc Sangnier et L’Internationale démocratique : rencontres pour la jeunesse à dimension religieuse
– 1925 retrait de la Ruhr et Locarno : l’Allemagne entre à la SDN et Briand et Stresemann reçoivent le Nobel de la paix en 1926. C’est le début du rapprochement des deux sociétés civiles par des associations : pélerinages pacifistes sur les champs de bataille. Des intellectuels portent ce rapprochement : Nobel de la Paix 1927 pour Ludwig Quidde (historien pacifiste) et Ferdinand Buisson (fondateur de la Ligue des Droits de l’Homme). Mais on observe la montée du discours anti-Diktat en Allemagne, notamment chez les Allemands expulsés d’Alsace, à l’Institut d’études alsaciennes de Francfort (Hansi les dénonce beaucoup). La tombe du soldat inconnu unifie la nation en France. Ça n’existe pas en Allemagne. Àdenauer, maire de Cologne, en propose un chez lui, dans une optique nationaliste. Hitler se présente lui-même comme un soldat inconnu.
II. Le nazisme 33-45
Les rencontres franco-allemandes continuent mais sont instrumentalisées. La Guerre continue pour les nazis et les contemporains : De Gaulle parle en 1940 de « guerre de Trente Ans ».
Hitler unifie les associations en une seule association d’anciens combattants. Ils sont à Verdun en 1936, en civil, mais avec croix gammée et salut hitlérien. Ils prêtent serment de garder la paix à DouaumontEn 1937 une délégation française est reçue au stade olympique de Berlin par 100 000 anciens combattants. Les anciens combattants français rompent avec l’association nazie en 1939
L’armistice est signé à Compiègne comme en 1918 : la Grande Guerre n’est pas finie pour Hitler, ni en France qui porte Pétain au pouvoir et où la 1e manifestation d’étudiants à Paris contre l’occupant et Vichy se fait sur le tombeau du soldat inconnu. Verdun est utilisé par la Wehrmacht comme lieu d’entraînement et par la Gestapo comme prison.
III. Intégration européenne et mémoires de la Grande Guerre
- 1956 des Allemands sont accueillis par la mairie de Verdun et des Français à Berlin, 2 ans après l’échec de CED où les opposants français ont pris l’argument de toutes les guerres franco-allemandes depuis 1870 et les partisans aussi (plus jamais ça morts)
- 1957 CEE. De Gaulle joue la carte du rapprochement avec Adenauer qui vient en 1962 : la visite se termine par une fmesse de la paix à Reims (symbole de la barbarie boche en 1914-18) : réconciliation inscrite par De Gaulle dans le souvenir de la Première et non de la Seconde Guerre mondiale. Hollande et Merkel l’ont refait le 8 juillet 2012
De Gaulle va en Allemagne en septembre 1962, traité de l’Élysée en janvier 1963. À Verdun en 1966 est célébré le cinquantenaire de la bataille : discours de De Gaulle rendant hommage à Pétain vainqueur de Verdun, insistance sur la réconciliation franco-allemande
VGE en 1975 décide de mettre fin à la commémoration du 8 mai pour la Seconde Guerre mondiale au nom de la réconciliation et de la construction de l’avenir. Il ne touche pas au 11/11. Mitterrand la rétablit dès 1981 et prend la main de Kohl le 22/9/1984 à Verdun (ossuaire de Douaumont ) : c’est très inscrit dans mémoire de la première et non de la Seconde Guerre mondiale, encore trop clivante. Geste télévisé et donc médiatisé
11/11/2009 Sarkozy et Merkel à l’arc de Triomphe. Il a pris la parole le 11/11/2007, il le fait en 2009 et Merkel le fait aussi à son invitation. On joue les hymnes des 2 pays. Gestes télévisés.
La mise en scène des relations franco-allemandes se fait dans les espaces de commémoration de la Grande Guerre. Puis la mémoire de la Shoah l’emporte
Conclusion
Commémoration du centenaire : dissymétrie de la mémoire, plus vive en France qu’en Allemagne (plus de traces). Ce n’est pas un manque d’intérêt allemand : des expositions sont prévues au Musée historique de Berlin (dimension internationale de la guerre), des manifestations dans d’autres villes et Länder, particulièrement aux frontières.
Projet d’album franco-allemand de la Grande Guerre sur le site de la Mission du Centenaire. Rôle des co-écritures historiennes : Manuel d’histoire franco-allemand, livre de J.-J. Becker et G. Krumeich La Grande Guerre. Une histoire franco-allemande, Tallandier, 2008 et Klartext 2010 (en allemand)
Laurent Gayme
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Bonjour Quentin, cet article servait surtout à réactualiser les connaissances des enseignants. Il n’était pas destiné à une transposition sous forme de cours magistral par exemple. Concernant la possibilité d’utiliser des objets du passé, de les intégrer au cours, c’est une pratique déjà bien connue et qui plaît effectivement beaucoup aux élèves. Mon professeur à l’IUFM, Claude Robinot, qui était d’ailleurs clionaute quand il était en activité, avait déroulé tout un cours là-dessus. C’est très efficace et nous sommes nombreux à faire cela déjà.
Bonjour,
Est ce que ces éléments sont toujours d’actualité dans l’enseignement 8 ans après?
Est ce qu’une approche avec présentation d’objets historiques liés à ces conflits, et possibilité de manipulation ne serait pas la meilleure des approches pour intéresser une génération qui ne connaît plus son Histoire et qui a peu de culture générale?
Cela s’intégrerai vraiment bien dans un cursus d’apprentissage, et un « souvenir » serait lié à ces cours.