Les Printemps de l’archéologie, Saint Dizier, 2019
Comment le chat a conquis le monde
Eva-Maria Geigl
Institut Jacques Monod Paris
Le mode de vie des êtres humains a été grandement influencé par le climat, alors que les individus étaient des chasseurs-cueilleurs en Eurasie. Il y a 25 à 20000 ans : c’est le maximum de l’ère glaciaire qui ensuite est suivie par un réchauffement climatique. Il y a environ 14.000 ans, le loup a été domestiqué : il a rendu la chasse des gros gibiers plus efficace. Il y a environ 13.000 ans, le mode de vie a changé au Proche-Orient, avec le réchauffement climatique : on assiste alors à une augmentation démographique, puis à une sédentarisation dans des villes et villages. Les êtres humains deviennent agriculteurs. C’est un événement fondateur de nos sociétés actuelles. L’agriculture et le style de vie néolithique ont débuté et ont progressé en Europe.
Qu’en est-il du Chat ? Ce n’est pas un animal que l’on mange. Qu’en est-il de sa domestication ? On peut faire une comparaison avec le chien : la plupart des chiens sont très différents du loup, alors que les chats domestiques sont très peu différents des chats sauvages. De plus, les chiens sont très diversifiés, alors que les chats sont au contraire peu diversifiés.
Les chiens ont été sélectionnés pour des tâches spécifiques, en fonction de leur morphologie et de leur comportement (travail, protection, chasse, garde …) mais pas les chats. Cette sélection se voit dans leurs génomes. Par exemple, l’analyse des génomes montre que le chien est capable de digérer les carbohydrates.
Chez les chats, il y a une diversité du pelage mais il n’y a pas beaucoup de diversité morphologique (La diversité morphologique ne date que du XIXème – XXème siècle).
Chez le chat domestique, il n’y a pas eu de sélection pour des tâches spécifiques : tous chassent des rongeurs. En plus, ils agressent des animaux venimeux, donc dangereux, comme les scorpions et les serpents.
Qu’en est-il alors de la domestication du chat ? Le chat n’a pas été une espèce de subsistance. On constate peu de différenciation ostéologique entre le chat sauvage et le chat domestique.
L’étude du génome du chat domestique montre que seuls 13 gènes ont changé, et ce sont surtout ceux concernant le comportement. Le chat sauvage est solitaire, alors que le chat domestique supporte d’autres chats et parfois des êtres humains …
A Chypre, le chat sauvage n’était probablement pas une espèce indigène. Les restes de chats les plus anciens datent de 7500 avant notre ère. (Restes d’un chat retrouvé dans une tombe d’enfant). Le chat n’étant pas nageur, on peut donc supposer qu’il serait venu avec les hommes et qu’il a peut-être été apprivoisé.
En Égypte, une autre trace a été trouvée vers 4000-3000 avant notre ère : une fosse circulaire avec les squelettes de 6 chats. Les 6 chats n’étaient pas apparentés et peut-être étaient-ils gardés en captivité avant leur sacrifice ? L’hypothèse est qu’ils étaient apprivoisés.
L’iconographie égyptienne est la source la plus riche et la plus ancienne sur la domestication. Le dieu du soleil Ra a été représenté sous forme du grand chat tuant le démon serpent Apophis. On trouve aussi des représentations d’un chat chassant avec les hommes au marais (« chat au marais »), ou d’un chat sous la chaise de hauts personnages :le « chat sous la chaise », essentiellement dans les maisons d’élites, sous les chaises des femmes. Il y a une sélection des chats habitués au contexte domestique.
En Grèce aussi, le chat apparaît dans des contextes domestiques. Parfois pour les combats avec des chiens ou pour le jeu avec des enfants, par exemple.
Pour mieux comprendre le chemin de la domestication du chat il faut recourir à la génétique. Les analyses génétiques permettent de connaître les caractères héréditaires des êtres vivants. L’ADN est un support. Il est transmis à chaque génération. L’organisation génétique reflète celle des parents : on analyse la généalogie et les caractères morphologiques. La génétique permet de mieux dater l’apprivoisement du chat. L’ADN mitochondrial donne la lignée maternelle. 5 sous-espèces de chats ont existé, dont 3 sont importantes pour notre étude : une répandue en Afrique et au Proche Orient ; une en Europe ; une en Asie du Sud. Ces 5 sous-espèces sont bien différentes. Tous les chats domestiques descendent de la sous-espèce F.s. lybica. Les chats sont solitaires et territoriaux; ils ne bougent pas beaucoup. L’absence d’une structure phylogéographique est due à deux biais :
1. Les chats féraux sont difficiles à distinguer des vrais chats sauvages (biais d’échantillonnage).
2. Les chats sauvages et domestiques/féraux s’accouplent, ils font des hybrides.
Afin de retracer la domestication, il faut s’intéresser à la génétique des chats du passé.
L’analyse de la génétique des chats du passé, avant le Néolithique, permet d’établir un patron phylogénétique.
L’étude de l’ADN se fait sur des restes archéologiques, qui, en Egypte, sont parfois momifiés. On peut récupérer de l’ADN des poils, des griffes, des os, etc. Il reste très peu de molécules endogènes; c’est un vrai défi méthodologique pour les analyser. L’ADN ancien est rare, sensible à la contamination. L’ADN ancien se dégrade le plus quand la température est élevée.
L’équipe a étudié un échantillon provenant du pourtour de la Méditerranée : en Afrique du Nord, au Proche-Orient, en Europe méditerranéenne, sur 351 échantillons, avec une approche méthodologique qui permet d’analyser de tout petits fragments d’ADN.
Avant la néolithisation, il n’y avait que des chats européens en Europe, un chat lybica en Proche Orient. Les populations étaient différenciées géographiquement.
On a trouvé qu’avant la néolithisation, le chat sauvage européen a été trouvé seulement en Europe. En Anatolie, on a trouvé un seul chat F.s. Lybica. Il y a donc bien eu une structuration phylogéographique. Au début du Néolithique, l’agriculture est inventée en Asie du Sud-Ouest. On constate la migration vers l’Europe, avec les agriculteurs néolithiques, de chats anatoliens dans les Balkans, en Europe du Sud Est. En effet, les premiers agriculteurs ont accumulé des graines, cela a attiré les rongeurs qui sont devenus des nuisibles puisqu’ils peuvent détruire toute une récolte. Mais il y avait des chats sauvages à proximité : les moins farouches se sont approchés des villages pour se nourrir de ces rongeurs. Les agriculteurs les ont attirés car ils permettent de se débarrasser des rongeurs. En plus, les chats se sont montrés très efficaces pour tuer les serpents et les scorpions, qui étaient un fléau au Proche Orient et en Égypte : les chats furent donc plus que bienvenus !
Dans les analyses des momies égyptiennes de chat, on a trouvé deux lignées spécifiques égyptiennes qui se sont diffusées dans le bassin méditerranéen à l’époque ptolémaïque . Elles ont remplacé une grande partie des chats anatoliens à l’époque romaine. Les chats égyptiens avaient certainement quelque chose d’attractif pour les êtres humains de l’époque. Dans un port romain égyptien connu pour son commerce avec l’Inde, les restes d’un porteur de la lignée mitochondrial du chat sauvage indien ont été trouvés. Les chats étaient diffusés par bateau.
Les lignées égyptiennes se sont répandues partout dans le Monde Ancien jusqu’à la Mer Baltique, diffusées par les Vikings. Les chats aimant manger du poisson, ils se sont donc rendus dans les ports, et il y avait des rongeurs sur les bateaux : jusqu’en 1975, la Royal Navy impose la présence de chats à bord pour prévenir les destructions causées par les rongeurs . Pendant l’empire ottoman, les lignées égyptiennes reculent pour atteindre l’équilibre actuel avec les lignées proche-orientales.
Il y avait donc un apprivoisement ou une domestication originale au Proche Orient du chat sauvage locale de la lignée IV-A*, puis une diffusion dans le Monde Ancien. Les chats égyptiens de la lignée IV-C ont été diffusés plus tard. Puis ces chats apprivoisés ou domestiqués se diffusent principalement par bateau, le long des routes de commerce et de guerre. Y compris le long des routes de conquêtes des vikings. Les chats ont conquis le monde avec les hommes !
On s’est ensuite intéressé aux modifications des caractères physiques, des couleurs du pelage. Tous les chats sauvages sont tigrés alors que les domestiques sont plutôt marbrés. Sur les images en Égypte ancienne, on trouve des chats tigrés, tout comme dans l’empire romain. Une mutation génétique serait responsable du changement du pelage (biochimiquement et génétiquement) au temps de l’empire ottoman et se serait répandue ensuite (14ème-15ème siècles de notre ère), y compris dans les populations de chats domestiques. C’est une émergence tardive. On peut en conclure que le chat n’a été sélectionné que tardivement et que sa reproduction n’a donc également été contrôlée que tardivement. Le contrôle de la reproduction est le signe de la domestication. Le chat était probablement parfait pour les êtres humains, dès le départ. Le chat est domestiqué maintenant, au moins dans les villes et dans les pays où le chat sauvage n’est plus fréquent. Le chat sauvage est en déclin partout actuellement.
La domestication du chat s’est donc faite au travers de l’établissement d’une relation commensale avec les êtres humains. On constate la mise en évidence d’une sélection tardive des traits physiques puis la diffusion avec les migrations, le commerce et les guerres.
QUESTIONS :
– Peut-on distinguer les chats câlins ou agressifs au niveau génomique ?
Pas de réponse scientifique à donner.
Pb de l’hybridation
– « Chats bleus »
Lignée restreinte dans le Levant (Jordanie, Syrie…).
En complément une vidéo destinée à des élèves de classes de CM,6e.