Figure de ce festival dès la 1ère édition en 2009, Frédéric Munier a rempli l’auditorium avec cette conférence matinale, rejouée une seconde fois l’après-midi. Le ton est dense, précis , illustré et très bien organisé, comme seul un professeur de CPGE sait le faire. Il y a même ces petites pointes d’humour qui font le sel de toute prestation réussie. Bref, une excellente conférence.


La conférence débute par l’écoute de quelques mesures d’une chanson polyphonique de Janequin, curé de Paris du XVIe siècle (cf. CD Cris de Paris).

Plusieurs monuments de la littérature française ou américaine s’inspirent de Paris. Le moindre classement sur la puissance des villes, qu’elle soit culturelle, économique, financière, place Paris parmi les premiers. Habituellement comparée à New York, Tokyo ou Shanghaï, la ville est pourtant tout à fait exceptionnelle pour une raison : elle est l’une des villes les plus anciennement puissantes. Cela ne veut pas dire qu’en 1500 ans, la capitale de la France n’a jamais eu à se réinventer. Mais quand d’autres n’étaient que des ports de pêche modestes, Paris dominait déjà. Elle est, selon le bon mot de Victor Hugo, une « ville-pivot ».

I. Paris, ville, capitale, mégapole
II. Les secrets de la puissance de Paris
III. Etre et avoir été, les défis de Paris

I. Paris, ville, capitale, mégapole
Jadis le nom des villes était au féminin mais l’usage veut aujourd’hui privilégier le masculin et réserver le féminin à la seule littérature.
Carte : la ville de Paris aujourd’hui

A/ Contours d’une ville
Paris compte 2.25 millions d’habitants intra-muros. C’est la capitale la moins verte qui soit. Paris triche d’ailleurs en comptant les bois de Boulogne et de Vincennes. La ville est 10 fois plus petite que Londres. Elle est la première place financière, culturelle, politique de France, très loin devant Lyon. Cette macrocéphalie diffère fondamentalement de ce que l’on observe en Allemagne.
L’aire métropolitaine de Paris englobe la banlieue, c’est-à-dire les trois départements limitrophes et quelques communes de la Grande Couronne, soit 6.7 millions d’habitants. La Métropole du Grand Paris a d’ailleurs repris ces limites.
L’Île-de-France est la région la plus riche d’Europe, etc. A elle seule, elle pèse plus que la Grèce ! Paris est aussi une capitale européenne. Depuis 1951, le conseil des communes et des régions d’Europe siège à Paris. La présidente d’Île-de-France préside Metropolis, une association des grandes villes mondiales.

B/ Ville globale (S. Sassen)
Au départ, New York, Londres et Tokyo étaient les seules villes globales retenues par Sassen mais, en 1994, Paris a finalement rejoint la liste sur la base de deux critères : la place de la ville dans la mondialisation et une économie tournée vers les services, notamment « sophistiqués ». La « production des informations », qui participe à la capacité de contrôle, est aussi un aspect important.
Paris est au 31e rang mondial en termes de population (12 millions contre 37 à Tokyo). Si on détachait l’IDF, la région serait la 17e puissance mondiale. Paris est un centre de commandement important avec la Défense, les universités, les industries… Elle est enfin au carrefour de toutes les grandes voies de communication du pays.

C/ Ville attractive
Sur les 10 critères du classement du PwC (coût de la vie, transport, innovations, développement durable…), Paris arrive 3ème ; c’est la seule ville qui figure pour chaque critère dans les 10 premiers rangs.
La capitale attire des étudiants, des salons (2ème ville d’accueil au niveau mondial), des touristes (30 millions à Paris, 40 millions pour l’IDF), des étrangers… Il faut bien sûr moduler ces bons scores avec d’autres moins reluisants : Paris est la 52ème ville pour l’accueil (sur 60).

II. Les secrets de la puissance de Paris

A/ Paris est le lieu du pouvoir
Par rapport à Shenzhen (10 millions d’habitants aujourd’hui, 30.000 il y a un siècle) ou les villes de la Ruhr, Paris a une puissance ancienne. Ce n’est pas le cas de Tokyo qui a dû prendre la relève de Kyoto. En Italie, Turin ou Florence rivalisèrent avec Rome. Au Brésil, Brasilia a remplacé Rio. Paris est capitale depuis 1500 ans, depuis que Clovis a déplacé sa capitale de Tournai à Paris.
La carte de la capitale au XVe siècle montre les murailles de Philippe Auguste, la place de Grève dédiée au commerce, des palais, des églises, le port fluvial (le premier du pays). Jusqu’en 1700, c’est la ville la plus peuplée d’Europe. La France est alors la « Chine de l’Europe ». Quand François Ier impose le français, il impose le francilien.
Paris, c’est enfin le le lieu des révolutions pour Victor Hugo. C’est la ville où se prend le pouvoir, en 1789, en 1892, en 1830, etc. Elle devient capitale de la République. La période du régime de Vichy constitue l’exception.

B/ Paris et les lieux du pouvoir
A Paris, tout est concentré. Des urbanistes se sont ingéniés à construire et et reconstruire les lieux de pouvoir, quitte à détruire des vestiges du passé. Par exemple, au XVIIe siècle, on a abattu l’église Sainte-Geneviève qui était située entre Saint-Etienne-du-Mont et le lycée Henri IV. Au XVIIIe siècle, on a aussi dû raser pour bâtir le Panthéon, sans parler des gigantesques travaux du baron Haussmann sous Napoléon III. Le Louvre est régulièrement reconstruit, augmenté et aménagé jusqu’à la récente pyramide.
Malgré ces remaniements, ces lieux ne s’opposent pas. Paris a réussi à opérer une belle synthèse mémorielle. C’est une ville de la suture.

C/ La ville du melting pot
Paris a fait les Français selon D. Roche. Au XVIIIe siècle, 1/3 des Parisiens n’étaient pas de souche. J.P. Rioux a attiré Bretons, Auvergnats, Creusois, etc. Ville d’acculturation, ville du melting pot. Ville a fondu les populations plus que New-York.

III. Etre et avoir été

A/ Une ville affaiblie, un risque muséal ?
La population atteint son apogée dans les années 1920, puis diminue lentement jusqu’en 2000. Après une légère embellie, la population stagne de nouveau. Paris n’est pas aussi attractive que ce que l’on pense. Selon une étude de cadreemploi d’août 201, 80% des cadres veut partir. En cause, le coût du logement (50% du budget), le temps de transport, les pollutions. 48 % envisagent une reconversion. A 8500 euros le m², le prix moyen constaté est devenu prohibitif pour le plus grand nombre..
Facteur aggravant, 20.000 logements servent à Airbnb. Il y a désormais concurrence entre les résidents et les touristes, surtout dans les quartiers comme le Marais. En 2008, le célèbre architecte Jean Nouvel avait mis en garde contre le risque muséal.

B/ Le Grand Paris, nouvel horizon de modernité
Depuis 2015, un projet de loi entend fusionner la Ville de Paris avec le département du 75. Depuis 2016, la Métropole du Grand Paris a vocation à rassembler Paris et les communes limitrophes. Et à côté de cette révolution de la gouvernance urbaine, il y a le projet titanesque de transport express dit du Grand Paris, qui pourrait être enfin mené à son terme avec les Jeux Olympiques de 2024.
Ce nouvel horizon de la modernité ne doit pas faire oublier que Paris a épuisé bon nombre de politiques d’aménagements. On se souvient de l’échec des villes nouvelles.

C/ Paris contre la France ?
Dans son dernier livre, le géographe Ch. Guilluy oppose les très grandes villes des classes privilégiées aux banlieues des classes. La fameuse « classe créative » de Richard Florida, apparemment très tolérante et ouverte au monde, est passée maître dans l’art de l’entre-soi. Paris révèle ces fractures.
Ce n’est plus la rive droite contre la rive gauche mais ceux du-dedans contre ceux du-dehors.

Article Diploweb sur le Grand Paris et géopolitique des communes