Respectivement maître de conférences en économie, enseignant chercheur sur les questions de gouvernance européenne, et chercheur, conseiller politique et juridique dans les missions de sécurité et de défense européenne, les trois intervenants ont rappelé que s’il restait beaucoup de chemin à faire pour envisager une défense européenne, de très nombreuses réalisations avaient été mises en place.
Certes, elles portent sur des missions relativement modestes, du point de vue des effectifs engagés. Cela peut aller de quelques dizaines à moins de 200 personnels, souvent dans le cadre de missions de paix, de consolidation politique après un conflit, ou de formation des personnels locaux de sécurité. Ces missions sont conduites sous mandat des Nations unies, en coopération ou en complémentarité avec les différentes agences.
Karim Naidji qui est intervenu en premier a largement fixé le cadre dans lequel les institutions européennes interviennent. On a pu apprécier le rappel historique qui nous a fait remonter au traité de Bruxelles de 1948, et même, celui de Dunkerque, le traité d’assistance mutuelle franco-britannique de 1947, très peu connu.
De très nombreuses actions de coopération en matière de défense et de sécurité ont été abordées par Fanny Coulomb et Delphine Deschaux-Dutard. La question des coûts de la sécurité est évidemment très sensible, et l’amicale pression exercée par les États-Unis qui cherchent à imposer aux pays membres de l’OTAN de passer à 2 % de leur PIB, leur budget de défense, a quand même comme objectif celui de faire acheter à ses partenaires du matériel américain.
On remarquera, comme Karim Naidji que si des partenariats industriels et scientifiques ont pu être mis en œuvre, comme l’Airbus, Eurofighter, le A400 M, et la composante militaire de Galileo, des achats de matériel américain ont tout de même été extrêmement important.
Malgré un accord d’intégration militaire des pays du Benelux, la Belgique a fait l’acquisition de F35 américains, tandis que plus modestement, la Pologne comme la Slovaquie se sont contentés de F 16.
En tout état de cause, la dimension économique de la défense européenne est évidemment essentielle. Un fonds européen de défense a bien été constitué, mais encore faut-il qu’il soit suffisant. En termes de dépenses par rapport au PIB, cela a été souligné, par Fanny Coulomb, on se retrouve avec 1,3 % pour l’Europe, tandis que au niveau mondial le plafond des 2 % a été dépassé, à 2,2 %. En Europe les industries de défense représentent tout de même 500 000 emplois directs et 1 200 000 emplois induits, ce qui est loin d’être négligeable.
Plusieurs éléments sont à prendre en considération, mais en état, et quelle que soient les missions qui ont été entreprises, et qui seront rappelés plus loin, les réalisations concrètes en matière d’industrie de défense qui permettent de véritablement disposer d’une autonomie stratégique relève le plus souvent d’accords bilatéraux. On notera l’entente franco-britannique amorcée en 2014 sur l’avion de combat du futur, amené à remplacer le rafale, tandis que le pour ce qui concerne l’armement terrestre, le projet de char serait franco-allemand. Le traité d’Aix-la-Chapelle du 23 janvier 2019 a d’ailleurs rappelé quelques éléments, notamment sur l’harmonisation franco-allemande des programmes d’armement.
Se pose ensuite la question de la volonté politique, et bien entendu les différences de prisme stratégique des différents états qui composent l’union européenne. La proximité craintive des pays d’Europe orientale avec la Russie les conduits à rechercher une protection américaine particulièrement forte, comme la Pologne prête à financer en partie l’installation d’une base militaire américaine sur son sol pour un montant de 2 milliards d’euros.
Comment on peut le constater sur la présentation de Karim Naidji, la structure d’une défense européenne est déjà prête avec des services de gestion de crise, un bureau politique, et des missions clairement définies. C’est bien sur le terrain politique que le bât blesse, au niveau des états, des opinions publiques, et bien entendu de l’action des États-Unis au sein de l’OTAN qui n’est pas forcément favorable à ce que l’Europe puisse disposer de cette autonomie stratégique qui semble relever de l’arlésienne.
On notera toutefois que le brexit, même si les accords de Saint-Malo entre la France et le Royaume-Uni de 1998 ne semblent pas devoir être remis en cause, révèle son lot d’incertitudes. On notera d’ailleurs le rapprochement, sur des programmes de défense, de l’Italie avec le Royaume-Uni, une sorte de contrepoids à une harmonisation franco-allemande des programmes militaires.
Pour autant, l’union européenne agit dans une certaine mesure comme « fournisseur de sécurité », s’inscrit dans une démarche créatrice de droit, et au final, même si elle est confrontée à de nombreux défis, parvient à faire avancer cette idée que les états nationaux, à moins d’accepter d’abdiquer leur souveraineté à moyen terme, se verront imposer par la réalité une défense commune à l’échelle du continent.