Le grand entretien devait se dérouler avec comme invité Gaspard Koenig mais celui-ci étant bloqué dans les transports en commun, il a été remplacé par un entretien entre Cédric Villani et Eric Fottorino.
Eric FottorinoJournaliste et écrivain. fondateur du « 1 » et de « Zadig ». (EF) : Retour sur l’engagement politique de Cédric Villani, visage de la société civile : quelles ont été les évolutions de votre engagement ?
Cédric Villani Il est un mathématicien français, lauréat de la médaille Fields en 2010, et député de l’Essonne de 2017 à 2022. Il est aussi conseiller du 14e arrondissement de Paris depuis 2020 et candidat à la NUPES en 2022 (CV) : j’ai participé à l’accès au pouvoir de « En marche » avec E. Macron en 2017 (avec beaucoup de regrets aujourd’hui !). Puis, après avoir quitté le gouvernement, je suis resté député de Saclay (territoire de hautes technologie et terres agricoles très fertiles). J’ai occupé une mission Intelligence Artificielle pluridisciplinaire qui pose des questions entre sciences et sciences humaines. IA et démocratie (manipulation, réflexion sur le néo-colonialisme).
J’ai pris conscience en 2020 des questions autour de l’écologie et mon intérêt a été de plus en plus grand pour les enjeux agricoles et à la libération animale =j’ai proposé une loi sur le bien-être animal.
Une autre rencontre intellectuelle a été déterminante : la découverte d’Elisée Reclus qui était un amoureux de la liberté, un grand géographe qui a travaillé sur l’interaction entre paysage et territoire. Il était anarchiste, végétarien, se considérait comme un humain parmi les animaux. Retour de l’importance des différents éléments géographiques (s’intéresse à la personnification des fleuves en Amérique latine).
EF: Comment les sciences abordent-elles la question de l’écologie ? De l’environnement ? Face aux climatosceptiques ?
Cédric Villani (CV) : Il y a eu de grandes recherches scientifiques à partir des années 1980-1990 avec la mise en place du GIEC. Les adversaires de ces recherches se sont aussi mis en place (les « marchand du doute », les lobbyistes). Pendant longtemps dans les rapports du GIEC, il y avait une grande part de doute ou de prévisions sans certitude, ce qui a renforcé la position des lobbys.
Mais le dernier rapport de 2024 repose maintenant sur des certitudes.
Il expose trois données vraies :
- le réchauffement climatique existe : et c’est très grave pour le vivant !
- C’est entièrement la faute des humains = et il faut réagir vite !
- La concentration de CO² et de méthane augmente vite …et renforce le réchauffement.
La problème aujourd’hui = comment réagir ?
Les lobbyistes sont toujours très actifs (1 milliard de budget) et ils ont réussi à maintenir le climatoscepticisme dans une partie de l’opinion publique. C’est là que l’on voit que le monde des sciences n’est pas bon en communication : on a les preuves et pourtant on n’arrive pas à convaincre l’ensemble de la société.
EF : est-ce lié à notre incapacité à faire du commun ?
CV : Faire du commun doit être lié aux idées des anarchistes. (lien des uns avec les autres dans le respect des nuances).
EF : Comment peut-on faire prendre conscience aux jeunes de la nécessité d’agir ?
CV : le problème aujourd’hui est que les jeunes ont souvent très conscience des problèmes et enjeux autour de l’environnement et changement climatique mais ils n’ont pas le pouvoir politique.
EF : revenons sur votre intérêt actuel pour l’agriculture. Quelle évolution pour ce secteur ?
Après la 2nde guerre mondiale, on a industrialisé l’agriculture car il fallait moderniser le secteur et produire beaucoup plus et vite. Les problèmes liés à cette industrialisation, mécanisation et « chimisation » de l’agriculture,ont été la pollution des sols, de l’eau, de l’air.
Dans les années 1990, il y a eu une prise de conscience de ces problèmes (ministre de l’environnement fin des années 1980 = Brice Lalonde qui traite les agriculteurs de pollueurs, ce qui va entraîner des tensions très fortes ).
EF : quel modèle pour l’avenir ?
CV : Il y a tout d’abord un vrai enjeu démocratique autour de l’agriculture. Il faut travailler sur le problème du partage des terres : on voit de grandes concentrations, une capitalisation sur la terre et un accaparement dans de nombreux pays au détriment des petits paysans.
Le 2nd enjeu est celui de la formation : il faut plus d’agriculteurs et il faut qu’ils soient mieux formés et conscients des enjeux environnementaux.
Enfin, le 3e enjeu est celui du réchauffement climatique et de la perte de la biodiversité. Les pesticides, fongicides ont entraîné un chute de la biodiversité. Il faut gérer les terres autrement. Actuellement, des recherches et des actions sont mises en place pour développer l’agroécologie qui pourrait avoir des résultats positifs mais comment amener les acteurs économiques à investir dans ce domaine ? Comment convaincre?
On a aujourd’hui les constats et les plans mais il manque :
- la volonté d’agir politiquement et le financement,
- la gouvernance des projets
- le changement de comportement (l’adaptation à tous ces problèmes)
- les compétences en main d’oeuvre. Il faut former !
EF : que peut faire l’IA pour la terre ?
CV : l’IA sert à aider à réfléchir sur les idées, les plans mais cela ne va pas changer les comportements de consommation. l’ IA ne peut pas tout prévoir et il faut que les humains agissent et régissent !