« Communiquer pour résister »
Le débat concernant le thème de l’année 2012-2013, est présenté et mené par Mme Joëlle Dusseau, inspecteur général de l’Education nationale groupe histoire et géographie, et présidente du CNRD (Concours national de la Résistance et de la Déportation). Les intervenants sont Monsieur Jean-Louis Crémieux-Brilhac, résistant, historien, spécialiste de la France libre, ancien prisonnier de guerre, cofondateur et directeur de la Documentation française ; Mesdames Christine Lévisse-Touzé, directrice du Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris et le Musée Jean Moulin (Ville de Paris), auteur d’une thèse sur L’Afrique du Nord dans la guerre 1939-1945 ; Aurélie Luneau, journaliste, productrice sur France culture, historienne, auteur de Radio Londres, les voix de la liberté et réalisatrice de séries documentaires sur les combattants ordinaires. Madame Aleth Briat, responsable de la commission « mémoire, anciens combattants, résistants, Shoah, guerre d’Algérie » à l’APHG rappelle toute l’importance et l’intérêt que l’APHG porte à ce concours. L’APHG a organisé cette conférence et travaille avec la Fondation de la Résistance. L’INA et l’ECPAD sont également associés.
Madame Dusseau indique que ce débat se fixe pour objectif de présenter le sujet et de donner des pistes pour la préparation du concours. Le but est de comprendre la Résistance dans sa dimension historique et prendre le sujet comme un objet de réflexion civique afin de faire réfléchir les élèves sur la communication dans un état d’oppression, savoir ce qui se passe ailleurs permettant de construire un engagement. Cette question se pose sous toutes les dictatures et pour toutes les révoltes (printemps arabes ; Chine ; URSS totalitaire). Il faut envisager les communications et contre-communications). Madame Dusseau évoque le livre Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. Le plan du débat est organisé en deux parties : 1940-1942 puis 1942 jusqu’à la fin de la guerre.
I 1940-1942
- Monsieur Crémieux-Brilhac : la Résistance française a existé grâce à la BBC, à la radio des clandestins en France vers la Grande-Bretagne et grâce aux parachutages et atterrissages. Au début, la Résistance est isolée, mais les Britanniques veulent mettre en place une machinerie et une doctrine, car deux formes de guerre coexistent : la guerre ouverte, soumise à la propagande et la guerre subversive sur le terrain. La propagande, c’est la BBC qui s’en charge et la guerre subversive, c’est le SOE – Spccial Operations Executive -, service d’espionnage distinct de l’Intelligence Service, pour « mettre le feu en Europe » en organisant des actes de sabotage et en stimulant la guérilla clandestine. Pour opérer une conjonction entre les deux, il faut créer une 5ème colonne efficace en France. Il fallait instaurer une confiance totale dans la BBC pour que les Résistants obéissent lorsque les ordres seraient lancés. Le 1er juillet 1940, l’émission du soir dure 45 minutes dont 5 minutes attribuées au général de Gaulle et 30 minutes de « les Français parlent aux Français ». Avant cette date sont diffusés six bulletins d’information par jour. En 1944, 70% des ménages français ayant une radio écoutent la BBC.
Le but commun est d’organiser une guérilla comme en Espagne sous Napoléon I. Les Britanniques développent un service d’écoute pour les émissions françaises de la veille (Radio Vichy, Radio Paris) en anglais. En 1942, le général de Gaulle charge M. Crémieux-Brilhac de créer un service d’écoute de la France libre pour piloter la propagande vers les pays occupés et organiser la subversion ce qui va devenir sa spécialité. Les messages personnels diffusés sur la BBC apparaissent en 1941 : « Lisette va bien » annonce un atterrissage par exemple ; 210 messages personnels donnent ordre à toutes les formations de la France d’entrer en action le 6 juin 1944. Mais l’information de Londres est médiocre, la grève des mineurs du nord n’est pas connue avant un an par exemple et progressivement, des opérateurs radio sont envoyés en France pour connaître la situation de l’armée allemande en France et ce qui se passe dans les ports : ils forment le réseau Rémy. L’organisation de transmission radio et de parachutages est ensuite organisé par Jean Moulin. Les opérateurs radio sont les éléments faibles des organisations de Résistance : sur 169 en France, 77 sont morts. Une véritable lutte s’engage pour multiplier les fréquences, la puissance, les heures d’émission de BBC (5h15 par jour en 1944) et pour perfectionner les radio émetteurs – limiter leur poids par exemple-.
En juin 1944, 50 centres d’antennes existent en France, représentant 150 postes émetteurs. Emission et réception sont séparées pour limiter les dangers. Ceci alimente la BBC qui donne aux Français des informations qui leur étaient cachées et crée un outil pour une résistance en mouvement.
Madame Aurélie Luneau : le terrain hertzien est un champ de bataille et la BBC une arme de guerre très puissante qui a permis à des gens de basculer dans la résistance civile. La radio devient une arme de guerre chez les Allemands auquel la BBC répond par un réseau international suffisamment large, au service d’un Empire (9 langues en 1939, 45 langues en 40) pour contrer les ondes ennemies : en 1938 est diffusé le premier bulletin de la BBC en langue allemande. Les Allemands sont les premiers à utiliser des « postes noirs » émettant depuis l’Allemagne mais faisant croire qu’ils émettent en France pour tromper les auditeurs, mais cette méthode est reprise. Dès juin 1940, les médias sont cadenassés en France . Vont s’opposer : Radio Paris, Radio Vichy et la BBC. Le 19 juin 1940, une nouvelle émission, « ici la France », marque les prémisses des « Français parlent aux Français ». L’équipe française est constituée le 7 juillet 1940 : Jacques Duchesne , Jean Oberlé, des journalistes, des poètes, des dessinateurs, un antiquaire … comme une troupe théâtrale. Pierre Dac n’arrive qu’à l’automne 1943. L’objectif est de soutenir le moral des Français, d’informer, de secouer l’apathie, de dire la vérité, de dénoncer Vichy, de lutter contre les Allemands. Aucun message violent contre Pétain avant 1942. La radio est d’abord une guerre des mots, une résistance de l’esprit, avant d’être une guerre d’action avec une règle : ne jamais camoufler la situation sur le front de guerre. Radio Londres diffuse des causeries, des témoignages, des scénettes, des chansons écrites en détournant des airs familiers : » il court il court le Laval » : fredonner suffit. Les Français sifflent dans les rues » Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand » selon rapport allemand de 1940. L’humour est un moyen important pour communiquer. Les auditeurs écrivent à Londres dès l’automne 1940 : ces lettres sont analysées à Londres de manière à suivre l’opinion publique sans la brusquer. Le général de Gaulle se voit confier une émission de 5 minutes, « Honneur et patrie », son porte parole est Maurice Schumann, de Gaulle intervient soixante-sept fois, il est surnommé « le général micro ». Tous les programmes, y compris celui du général de Gaulle, sont visés par la censure. De Gaulle développe aussi Radio Brazzaville, où la liberté de parole est totale
La guerre des ondes est aussi une guerre de techniciens : brouillage, saisie du poste, amendes, il y a eut quelques déportation.
On demande aux Français d’agir, c’est de Gaulle qui le demande le premier, le 11 novembre 1940, les jeunes à Paris et en province ont communiqué entre eux pour dire non. Les alliés ne voulaient pas pousser les Français à entrer en action, c’est de Gaulle qui le fait : de 15h à 16 h dans les villes de zone libre – 16 h à 17 heures en zone occupée, passée à l’heure allemande- , il demande qu’aucun Français ne soit dans les rues et cet appel est suivi. Il organise la campagne des V, les manifestations le 1er mai, le 11 novembre, le 14 juillet où il demande d’arborer les couleurs tricolores : on dénombre 150 000 manifestants à Lyon le 14 juillet 1942. Des Français notent en sténo puis diffusent par d’autres moyens, dont la presse clandestine.
-* Madame Dusseau : la stratégie est mise en place par la Grande-Bretagne et la France libre entre dans cette stratégie et produit sa propre stratégie. La communication est organisée et voulue, mais il faut aussi compter avec les réactions de la population. Des gestes simples apparaissent, les Français s’appuient sur ce qui est le plus sûr : la famille, des amis de classes, des réseaux professionnels. Il faut se donner à soi-même et aux amis des moyens de communication comme forme de résistance : ce sont les premiers journaux. - Madame Lévisse-Touzet : commençons par signaler une ressource précieuse, constituée par les bases Gallica qui permettent d’accéder aux journaux clandestins, dont le nombre est considérable. Durant l’été 1940, une chape de plomb s’abat sur la France, puis l’étau se desserre en juin 1941. Dans la zone libre, le gouvernement est répressif dès le départ. La France est le pays le plus pillé par les Allemands, notamment en papier et en encre. Mais des gestes précoces contestataires apparaissent –on ne peut cependant pas parler de résistance-. Ainsi, Les Conseils à l’Occupé de Jean Texcier sont diffusés sous le manteau, dans un porte-à-porte patriotique. Le groupe du musée de l’Homme en parle, Maurice Schumann en parle sur la BBC. A Brive, Edmond Michelet réagit par un tract, citant Péguy dans les boîtes à lettres.
En septembre 1940, un premier titre est diffusé par la CGT. En octobre 1940 paraît Pantagruel, l’Homme libre à Roubaix. Le 15 novembre, un manifeste, signé par Libération-Nord, en réaction à l’antisyndicalisme de Pétain, en sept exemplaires, tapés par Christian Pineau et diffusés grâce aux postières, dont il faut souligner le rôle. Il y dénonce le pillage de la France, la collaboration, la révolution nationale et les persécutions antisémites. Il est conseillé de le reproduire. Au printemps 1942, la ronéo permet une régularité, une parution hebdomadaire. Des pseudonymes sont utilisés pour faire croire que les journalistes sont nombreux. Pineau est nommé inspecteur du ravitaillement, passe d’une zone à l’autre et rapporte des informations. Le journal Défense de la France est édité par des étudiants de la Sorbonne, à partir d’août 1941, dans les caves de la Sorbonne. On voit donc que la diffusion du journal est le préalable de la Résistance et que les syndicalistes diffusent. Dans l’hypôkhagne du lycée Louis-le-Grand, un outil de propagande, Les Volontaires de la liberté, est créé. La diffusion est réalisée par des agents de liaison, en bicyclette surtout, 11 millions en 1941, 1 million de moins en 1940. La SNCF permet aussi la diffusion des journaux. Au printemps 1942 , la Résistance se structure. Sans l’aide de Londres -argent et moyens de transmission- les moyens de résistance étaient voués à la disparition.
II De 1942 à la fin
- Monsieur Crémieux-Brilhac : Les aller-retour de l’information entre Londres et la France sont nombreux, les journaux clandestins arrivent à Londres, reproduits en 300 exemplaires, diffusés, les journaux britanniques en parlent. Les atterrissages en France se multiplient, ainsi qu’en Grande-Bretagne pour ramener des résistants.
Le rôle des radios clandestines est important : 150 postes en activité lors de débarquement de juin. Elles diffusent d’abord des renseignements puis des centres d’action sont créés par les Britanniques, puis quand la préparation du débarquement se met en place, une décentralisation est prévue car France va être coupée en deux par le débarquement. Douze délégués militaires régionaux ont en leur pouvoir un centre de transmission radio pour demander à Londres des armes et de l’argent et les diffuser dans leur région. Des centaines de millions à partir de mai 1944 sont alors répartis et des centres d’opérations aériennes créés.
Madame Luneau : des tracts, papillons et journaux sont diffusés par la Royal Air Force (750 millions !) et récupérés notamment par les enfants. A partir de l’année 1942, l’opinion publique bascule, il faut « faire autrement » à la radio : moins d’humour et plus d’informations. Une campagne britannique fait croire à un débarquement sous le slogan « mettez-vous à l’abri » mais les Français sont déçus, ils en ont assez. Au tournant des années 1942 et 1943, le Service du travail obligatoire (STO) est instauré et induit une campagne radiophonique pour s’y opposer. Une autre campagne « Economisez le poste » demande aux Français de préserver les postes de radio, dont le coût est élevé à l’époque : entre 5000 et 7000 francs quant un ouvrier spécialisé est payé 10 francs de l’heure. Une mobilisation radiophonique des Français est organisée en 1944 pour qu’ils deviennent des auxiliaires des alliés, la radio devient un guide de libération du territoire. Parallèlement Jean Hérold-Paquis et Philippe Henriot sont attaqués.
Madame Dusseau : De Gaulle, en 1942 lance une radio entièrement française à Brazzaville car Churchill ne le soutient pas toujours, lui préférant Giraud. La BBC n’est pas un espace de liberté pour de Gaulle.
Madame Lévisse-Touzé : A partir de 1942, Jean Moulin crée, d’abord à Lyon, puis à Paris, le Bureau d’information et de presse qui est une agence de presse clandestine. Les Editions de Minuit sous diffusées sous le manteau, retapées. Les journaux clandestins se réapproprient les lieux des journaux collaborateurs après le 21 août 1944 : c’est la naissance de l’agence France-Presse, qui, tout comme la radio, couvre la libération. Les réseaux syndicaux sont en général oubliés dans la Résistance, à tort.
Les outils à utiliser :
Les termes à utiliser : propagande, diffusion, contre-propagande ; moyens de diffusion, moyens de transmission ; bouche-à-oreille ; TSF, cinq millions de postes mais il existait une grande diversité par région à cause de l’électrification différente ; agents de liaison.
Gallica : c’est une ressource précieuse, car elle provient de la numérisation de l’intégralité de la presse clandestine (800 titres actuellement, 1000 titres bientôt). L’utilisation en est libre. Les projets sont de numériser les ressources de la BDIC, puis de la presse clandestine conservée dans tous les musées de la Résistance de France. Dans le blog de Gallica figure la liste des titres.