Caroline Sarrazin est géographe. Elle présente ce dimanche les résultats d’une recherche post-doctorale sur les vulnérabilités sociales et territoriales dans le milieu agricole (INRAE). Elle a également travaillé sur les enjeux de l’eau au Népal ; son intervention est animée par Nicolas Maisetti, Directeur du programme POPSU Transitions.

Mise en contexte de l’élevage en France et dans les Alpes

Si la France enregistre une baisse des exploitations d’élevage moindre que celle de ses voisins européens, elle fait face à un déclin agricole. Cette crise reste cependant moins marquée dans l’élevage ovin (baisse de 30 % contre 60% sur toutes les exploitations confondues entre 2000 et 2022).

À l’échelle européenne, les Alpes sont un territoire aux avant-postes des changements globaux, avec une hausse des températures mais surtout un enneigement fluctuant (fonte des neiges plus précoces). L’élevage dans les Alpes soulève aussi des conflits d’usages entre fonctions résidentielles nourries par l’urbanisation massive en montagne et maintien de l’élevage, mais aussi entre fonctions productives et récréatives par l’utilisation de chiens de protection de troupeaux (patous).

Ainsi, cette communication propose d’interroger les capacités et les stratégies d’adaptation des systèmes agropastoraux ovin/viande face à une crise multidimensionnelle.

Méthodologie et présentation des terrains

L’agro-pastoralisme se définit comme la relation étroite entre les activités humaines et l’environnement. Il y a donc une dissociation entre l’éleveur et le berger dans les Alpes. Concrètement, les bergers font le gardiennage en haute montagne de troupeaux qui appartiennent à des éleveurs différents. En termes de statut, ces bergers peuvent être salariés d’un ou plusieurs éleveurs ou bien d’un groupement pastoral. Le métier se caractérise par une grande flexibilité et surtout par la mobilité. Le transport en camion a pris le pas sur la transhumance à pied et les mobilités peuvent être très locales ou au contraire de grande distance, à travers plusieurs départements.

Au-delà de l’activité productive, l’agro-pastoralisme fournit des services écosystémiques avec une protection de l’environnement et de la biodiversité, et l’entretien des paysages. Cependant, cette pratique ancestrale est prise en compte tardivement dans la loi avec un premier texte dans les années 1970, puis une intégration dans la Politique Agricole Commune. Ces mesures tardives permettent d’expliquer des formes de dissensions entre les éleveurs et les institutions.

Les terrains de recherche se situent dans les Alpes du Sud, principalement dans des Parcs Nationaux, ce qui pose la question des pratiques faites en montagne. Plus précisément, il s’agit des massifs du Queyras, des Ecrins et du Mercantour, qui présentent chacun leurs spécificités. Le plus méridional, le Queyras, se distingue par une mobilité locale très forte en moyenne et haute montagne. Les Ecrins bornent la limite entre Alpes du Nord et Alpes du Sud, avec la présence de troupeaux de très longue transhumance (depuis les Bouches-du-Rhône). Enfin, le Mercantour est pertinent par la double juridiction transfrontalière et une mobilité des troupeaux très localisée.

Sources : Chambres d’agriculture, PNR 2018

Etat de lieux des contraintes liées au changement climatique et aux différentes crises

L’activité agro-pastorale est considérée comme un système avec des facteurs de vulnérabilité multi-dimensionnelle. Tout d’abord, les changements de saison impliquent une montée en estive plus précoce, et par conséquent une croissance de la végétation plus précoce. Ensuite, les précipitations sont de plus en plus variables, y compris dans la saison, et l’accumulation des sécheresses créé des besoins d’achat de foin, qui subit aussi l’inflation.

Dès lors se pose la question de la vulnérabilité économique des éleveurs et des solutions envisagées : faut-il recourir à plus d’aides ?  faut-il aider davantage les éleveurs lors de la vente des agneaux ? Certains éleveurs décident par exemple de faire descendre le bétail plus vite des alpages pour tenter de les réengraisser et les vendre plus rapidement. Toutefois, cela provoque une baisse des prix à la vente car la méthode ne correspond pas au label.

Enfin, le partage du territoire en montagne se pose avec la cohabitation entre les randonneurs et les patous. Les bergers ne peuvent à la fois gérer leur troupeau et la venue de randonneurs, ce qui peut poser problème. À cet effet, l’application pastorando permet de géolocaliser les troupeaux sur les alpages en temps réel, afin que les randonneurs soient informés.

Loup, y es-tu?

La question du loup se situe à la croisée de tous les enjeux précédents. Sur le plan environnemental, il s’agit d’une espèce protégée par la convention de Berne de 1979, et il permet l’équilibre d’un écosystème. Cependant, sur le plan économique, ce prédateur commet des dégâts colossaux sur les troupeaux et les moyens de protection engendrent un coup d’équipement supplémentaire. Le nombre d’autorisations de tir pour le loup en France est par ailleurs plus élevé que dans les pays riverains.

Enfin, cette question soulève aussi des enjeux sociétaux avec des dispositifs citoyens mis en place pour aider les bergers à surveiller leurs alpages (dispositif Pastoraloup).

Sources : Le Monde 2022, association Pastoraloup 2023

Une adaptation de la profession en tension entre urgence et temps long de la durabilité

Les éleveurs mettent en place différents types de stratégie. À court terme, ils essaient d’optimiser la ressource fourragère en utilisant la méthode, inspirée de l’agroécologie, des pâturages tournants dynamiques. Concrètement, il s’agit de faire paître le bétail là où la pousse de l’herbe est la plus productive à un moment donné.

À long terme, certains éleveurs privilégient des races ovines rustiques plus petites en taille, avec des pratiques d’éco-pâturage. Cela permet alors une complémentarité avec les propriétaires fonciers de vergers ou de jardins. Toutefois, la quantité de fourrage obtenue reste restreinte.

Enfin, les espaces interstitiels sont revalorisés. Le bétail peut alors paître dans des espaces plus hostiles mais inutilisés comme les fonds de vallée ou les espaces boisés, ce qui suppose des formes de cogestion entre les forestiers et les bergers.