FDGG14 : Conférence 2 : « l’Ukraine, entre l’Europe et la Russie »
L’objectif de cette conférence est d’analyser l’évolution du positionnement international de l’Ukraine depuis son indépendance en 1991 jusqu’à nos jours. L’étude des grandes étapes qui ont marqué la politique étrangère de Kiev, notamment ses relations avec la Russie et l’Union européenne, permettra de décrypter les enjeux de la crise actuelle qui affecte le pays.
Intervenante : Emmanuelle Armandon – Politologue, directrice des études de la formation Hautes études internationales – INALCO
Emmanuelle Armandon est l’auteure d’une thèse très remarquée sur « la Crimée entre la Russie et l’Ukraine ». Comme l’histoire s’est emballée depuis le mois de décembre, sa conférence devrait nous permettre d’y voir plus clair…
Présentation : Jean-Marc Huissoud, co-fondateur du Festival de Géopolitique et directeur du master en relations internationales de l’école de management de Grenoble.
Personne ne pouvait imaginer que quand Viktor Ianoukovytch a refusé le partenariat avec l’UE, les événements allaient se précipiter.
Pour mieux comprendre, retour sur le passé de la politique étrangère de Kiev, à travers 4 grandes phases récentes :
1- 1991-94
2- 1994-04
3- 2004-10
4- 2010-14
1- Les débuts post-soviétiques sont très difficiles pour elle : l’Ukraine indépendante n’intéressait personne. Le scepticisme était général quant à son avenir. G Bush père en 91 est à Kiev et reproche aux dirigeants « leur nationalisme suicidaire ».
Giscard avait d’ailleurs considéré que cette indépendance n’avait pas plus de valeur que celle de la région « Rhone-Alpes ». Mais l’hostilité la plus forte venait de la Russie, car l’Ukraine y reste considérée comme une composante de la nation russe, avec un dialecte régional, une grande partie a toujurs été russe et est même le berceau de la Russie. L’Ukraine comme état indépendant ne durerait que quelque temps. Ce facteur n’est pas négligeable et explique l’émotion et l’agressivité russe.
La CEI devait être l’instrument privilégié d’une nouvelle intégration. Or, pour les dirigeants ukrainiens, il s’agissait bien d’un chemin vers l’indépendance, clairement exprimé depuis le début des années 90. Léonid Kravtchouk l’a dit et a recherché un partenariat à l’Ouest.
D’où des tensions particulièrement vives et les pressions importantes sur la Crimée avec la flotte de la mer Noire. 67% de la pop criméenne est russe. Elle a été rattachée par Kroutchev (lui-même Ukrainien) en 1954, comme commémoration de l’alliance Russo-Ukrainienne de 1654.
Historiquement, la Crimée est conquise sous Catherine II, puis russifiée au XIXème siècle. N’oublions pas les poèmes de Pouchkine et pièces de Tchékhov, le lieu de villégiature pour l’aristocratie impériale et ensuite le tourisme soviétique de masse. Sébastopol est une ville russe, avec un patrimoine culturel russe.
Il est important d’avoir à l’esprit que les frontières de l’URSS étaient poreuses à la différence de celles de l’UE qui laissent des « Russes » hors de la mère patrie.
Tout ceci peut expliquer que la région souhaite retourner sous giron russe : Une 1ère grave crise éclate en 1994 avec le président de Crimée qui souhaite officiellement le rattachement à la Russie. Le parlement russe lui même va contester le transfert de la Crimée à l’Ukraine en 1992 puis en 1994.
Kiev disposait à la faveur de la Guerre froide du 3ème arsenal nucléaire mondial. La signature en 94 du mémorendum de Budapest par l’Ukraine, la Russie et l’Otan fait qu’elle accepte le démantèlement de ses armes nucléaires en échange de l’intangibilité de ses frontières. Pendant ce temps, les relations UE/EU et Ukraine favorisent de nouvelles relations, et elle adhère au partenariat pour la paix proposé par l’Otan, ainsi qu’un accord de partenariat (Accord d’association) entre UE et Ukraine (1994).
2- L’élection de Leonid Kouchma permet l’apaisement sur un programme électoral qui prône un rapprochement entre la Russie et l’Ukraine.
En 1997, un accord sous l’égide de l’Osce permet la location pour 20 ans du port de Sébastopol à la Russie, contre la souveraineté ukrainienne sur la Crimée et Sébastopol. Mais le parlement russe reproche à Eltsine d’avoir bradé la Crimée. En fait LK a surtout agi par opportunisme et certainement pas au détriment des relations occidentales. Dès 96, il annonce un rapprochement avec l’UE et la signature d’un partenariat spécifique avec l’Otan, la CEI ne pouvant être qu’une structure de dialogue et en aucun cas l’anti-chambre d’une nouvelle union pan russe.
Concernant l’UE, les dirigeants se contentent de discours, ce qui retarde le partenariat (réformes économiques et état de droit). Les relations se dégradent avec la mise en cause de LK à la suite de l’assassinat d’un journaliste d’opposition, ainsi que la vente secrète de radars à l’Irak malgré l’embargo de l’ONU. L’Ukraine se retrouve isolée diplomatiquement, mais cet isolement est rompu avec l’élection de Vladimir Poutine en 1997 à la présidence de la Russie, et qui cherche d’emblée le rapprochement.
Mais à l’automne 2003, l’affaire du corridor construit sur une ile de la mer noire et devant relier à terme la flotte au territoire russe, provoque une très grave crise entre Kiev et Moscou.
3- L’élection au 3ème tour de Viktor Iouchtchenko en 2004, se fait après un scrutin entaché de fraude et une agression du futur président, élu avec un projet pro-européen et un programme libéral.
VI bénéficie d’un fort capital de sympathie et un plan de soutien économique et financier est adopté en 2006 dans le cadre de la politique européenne de voisinage. Ce soutien a cependant des limites :
– l’UE ne répond pas à la reconnaissance d’une perspective d’adhésion, ce qui est une source de tension pour les dirigeants ukrainiens qui hésitent à se lancer dans des réformes qui seront impopulaires.
-L’est et le sud industriels du pays ont voté pour le parti des Régions, favorable au rapprochement avec la Russie et hostiles à un modèle économique qui menacerait le système économique hérité de la division du travail dans l’empire soviétique.
Le mandat de VI aura ainsi été marqué par une instabilité permanente, notamment due aux divergences entre les 2 principaux protagonistes de la Révolution Orange, qui eut pour résultat de paralyser la vie politique ukrainienne et d’empêcher une stratégie cohérente en matière de réformes.
4- Quant le chef du parti des Régions, Viktor Ianoukovytch, est élu en 2010, celuis veut une politique extérieure d’équilibre et des relations apaisées à l’intérieur : apaisement des contentieux avec les Russes (Sébastopol, statut de la langue russe,) mais aussi vélléités d’indépendance en politique extérieure avec des critiques sur l’union douanière, l’annexion de l’Ossétie du sud lors de la guerre de Georgie. Quant aux négociations avec l’UE, elles sont même plus prometteuses qu’avec le président précédent.
Mais en 2012, l’UE reporte la signature des accords d’association, au vu du non-respect des valeurs démocratiques par le gouvernement (liberté de la presse, niveau élevé de corruption, nominations contestées de gouverneurs, sort réservé aux membres de l’opposition dont Tymotchenko).
L’affaire T. pose un grave problème à l’UE et fait douter des bonnes volontés du régime. L’équipe au pouvoir est mise en cause. Au 2nd trimestre 2013, l’accord semblait pourtant possible avec le transfert de IT dans un hôpital allemand, mais en novembre 2013 le parlement refuse le transfert de YT et le président décide de rejeter l’accord d’association…
Au final, un jeune état (23 ans ) indécis en proie à des doutes et des contradictions. La Russie quant à elle, n’a pas fait le deuil de l’empire. L’UE est devenue entre 2004 et 2008 très attractive pour ses voisins orientaux. Mais les choses n’ont-elles pas changé depuis la crise économique mondiale ? Les opinions publiques occidentales sont-elles prêtes à financer l’aide économique à l’Ukraine ? Ou l’Otan reste-t-il face à l’inconstance de l’UE, le seul rempart sérieux ?
Après cette conférence très instructive sur le plan historique, les questions à chaud et les points de vue clivés n’ont pas manqué de fuser face à la situation actuelle de l’Ukraine :
– La conférencière ne parle pas du nationalisme ou de l’extrême-droite ukrainiens au gouvernement. On ne peut écarter cette question et la réaction russe face à ce danger.
– L’Ukraine n’est-elle pas vouée à la partition vu les votes en faveur du président destitué(60% à l’Est, 30% à l’Ouest) ?
– Y a-t-il d’autres clivages Est-Ouest ? industriels, culturels, ethniques qui rendent la partition inévitable ?
– L’Ukraine et la Russie sont soeurs et les liens sont indéfectibles depuis la grande guerre patriotique. La langue ukrainienne n’est pas parlée par la majorité du pays
– Et si le discours dissocié des actes des dirigeants ukrainiens n’était que la recherche désespérée d’un équilibre quasi impossible entre d’un côté la Russie qui ne comprend pas l’indépendance ukrainienne et conçoit la coopération comme une union douanière, et de l’autre l’UE qui a pour règle l’économie de marché ?