« La Méditerranée, ce sont des routes de mer et de terre, liées ensemble, des routes autant dire des villes, les modestes, les moyennes et les plus grandes se tenant toutes par la main ». 

Cet extrait, issu de La Méditerranée, L’espace et l’histoire, dirigé par Fernand Braudel (1985) pourrait être au coeur de la réflexion de la nouvelle exposition permanente du MUCEM. En effet, inauguré en 2013, à l’occasion de l’année « Marseille, capitale culturelle de l’Europe », le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée propose depuis le 20 novembre 2017 et jusqu’au 31 décembre 2020, une nouvelle présentation intitulée « Connectivités ». 

Si la  seule évocation de ce nom ne permet pas vraiment de deviner les trésors que la galerie de la Méditerranée recèle, c’est bien Fernand Braudel et La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (1949), qui inspire une exposition, qui s’intéresse aux grandes cités de l’aire méditerranéenne aux XVIe et XVIIe siècles et à l’époque contemporaine.

Véritables lieux de pouvoirs, les populations et les activités continuent de s’y concentrer, ces grandes cités sont au coeur d’un réseau d’échanges, de relations, de tensions et permettent d’appréhender la Méditerranée dans le temps long.

Un mur d’enregistrements visuels accueille le visiteur à l’entrée de l’exposition : des historiens, géographes, chercheurs, intellectuels parlent des différentes facettes de la ville. Qu’ils soient héritiers ou critiques de la pensée de Braudel, ils offrent des clés de compréhension de l’entité qu’est la ville contemporaine. (on retrouve des enregistrements de Fernand Braudel bien sûr, mais également de Michel Agier, Amale Andraos, Virginie Baby-Collin, Michel Lussault, Saskia Sassen, Immanuel Wallerstein, et Serge Gruzinski)

L’exposition est ensuite conçue comme un parcours, oscillant entre le récit historique et l’itinéraire géographique pour lequel six et quatre villes ont été respectivement choisies. 

La partie historique, fidèle au troisième temps de F. Braudel, centrée sur les XVIe et XVIIe siècles, s’attache aux villes, centres d’échanges des empires ottoman et Habsbourg. 

Le visiteur entre ainsi par trois villes en relation avec ces empires : Istanbul, Alger et Venise et poursuit la visite par Gênes, Séville et Lisbonne, trois cités liées par la circulation de l’argent.

La balade géographique tente de montrer les tendances du développement urbain au XXIe siècle  à travers les points de vue de photographes, architectes… : le visiteur pourra poursuivre sa visite en passant par deux mégapoles : Istanbul, Le Caire et deux métropoles : Casablanca et Marseille.

Partie historique : 

Istanbul, première mégapole du monde au XVIe, est le siège du pouvoir de l’Empire ottoman, mais également un haut lieu intellectuel et artistique, grâce au rôle de Soliman le Magnifique, qui accorde une importance particulière à l’embellissement de la ville. Cette partie de l’exposition présente notamment des tableaux et des céramiques d’Iznik. On notera la présence récurrente de tulipes, y compris dans l’huile sur toile présentant deux ambassadeurs de Charles Quint (Jean-Baptiste Huysmans et Ogier de Busbecq, achetant l’étendard royal d’Espagne à Constantinople. Car en effet, des bulbes de tulipe, dont le nom de vient de sa forme en turban (en turc, tülben) et symbole du pouvoir du sultan, ont été offertes à Ogier de Busbecq qui les a ramenés aux Pays-Bas, faisant de ce pays celui des tulipes !

Jean-Baptiste Huysmans, Ogier de Busbecq achetant à Constantinople l’étendard royal d’Espagne à des pirates turcs. 1904, Huile sur toile, Bousbecque, Mairie de Bousbecque

 

La bannière de Lépante orne le plafond et fait le lien avec la cité suivante. Découverte dans les réserves du palais de Doria à Gènes, il y deux ans, elle est significative du rôle que Venise joue avec Istanbul. La paix est indispensable pour une cité-Etat, bénéficiant d’une situation géographique privilégiée, entre Orient d’où elle reçoit des marchandises, et Occident où elle les écoule, et qui construit sa richesse sur le commerce. Indubitablement associée à Istanbul, on comprend les réticences de la « sérénissime » à entrer dans la sainte Ligue et la signature d’un nouveau traité de paix signé au lendemain de Lépante.

 

Etendard ottoman pris à la bataille de Lépante. Empire ottoman, XVIe siècle. Taffetas de soie polychrome, Gênes, Palazzo Del Principe

 

De l’autre côté de la Méditerranée, la ville d’Alger apparaît à travers une maquette représentant la ville telle que Charles Quint l’a découvert en 1541. Fortifiée, Alger, au XVIe siècle, pratique une économie de la rançon où les frères Barberousse sont particulièrement efficaces grâce à leurs chebeks. Mais après le siège de Vienne et la bataille de Lépante, la rive Nord de la Méditerranée suscite les convoitises des Habsbourg. Véritable enjeu de pouvoir, elle s’offre au sultan en échange de sa protection et devient un bastion encore plus étendu pour l’Empire Ottoman.

L’immense fresque mettant en scène l’arrivée de Don Juan d’Autriche reçu par le doge de Gènes, montre toute la puissance de cette cité aristocratique et qui connaît son apogée économique entre 1530 et 1630. Ayant restauré une république oligarchique, de grandes familles se succèdent au pouvoir et s’imposent en qualité de banquiers de l’Espagne. La célèbre phrase de l’écrivain espagnol Francisco de Quevedo (1580-1645) « L’or naît aux Indes occidentales, meurt en Espagne, est enseveli à Gènes » reflète bien le système financier mis en place.

 

Lazzaro Tavarone, Le doge Giacomo Durazzo Grimaldi reçoit Don Juan d’Autriche en 1574 au port de Gênes. Première moitié du XVIIe siècle. Fresque reportée sur vitro-résine, Gênes, Museo di Sant’Agostino

Puis en lien avec le commerce atlantique, Séville et Lisbonne connaissent un essor fulgurant et reflètent une Méditerranée qui perd sa position centrale et stratégique

Enfin, si les motivations économiques dominent, il n’en demeure pas moins que les raisons politiques et religieuses existent également comment peuvent en témoigner les trois statues de taille humaine représentant des japonais chrétiens convertis par les missions jésuites dans les nouvelles colonies espagnoles et portugaises. Réalisées par des sculpteurs sévillans, 10 ans après les persécutions des japonais contre les chrétiens elles servent à la propagation de la foi chrétienne.

Un espace de transition, salle de cinémas où sont diffusés documentaires et fictions, permet d’effectuer le passage qui nous ramène au temps présent.

Partie géographie 

L’exposition se poursuit avec la Méditerranée aujourd’hui et les tendances du développement urbain. Quatres cités sont mises à l’honneur : Istanbul et Le Caire, mégapoles à l’urbanisme déraisonné et Marseille et Casablanca, deux métropoles qui tentent d’organiser leur centralité.

Notons tout particulièrement le travail d’étudiants de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Marseille qui ont réalisé une interprétation cartographique permettant de comparer les quatre cas d’expansion urbaine.

On retrouve respectivement : Casablanca, Istanbul, Marseille et Le Caire. Les données cartographiques ici : la tâche urbaine, le relief, la forêt, le désert et l’hydrographie, mais également les infrastructures : autoroutes, voies principales, aéroport, port…

 

Istanbul et Le Caire, deux mégapoles à l’urbanisme déraisonné sont mises en scène. 

Les photographies de Serkan Taycan veulent relever l’urbanisation sans frein d’Istanbul où le pouvoir en place liquide peu à peu le foncier sans souci de préservation des ressources, comme en témoignent aussi le projet de 3e pont sur le Bosphore ou la construction du nouvel aéroport. 

Serkan Taycan, Shell #08, 2012, Photographie, collection de l’artiste. Le travail de Serkan Taycan montre l’évolution galopante des villes turques et plus particulièrement celle d’Istanbul.

Marseille et Casablanca, en voie de métropolisation, livrent leur fonctionnement interne grâce à de nombreuses oeuvres, comprenant des travaux de photographes, vidéastes et plasticiens qui offrent des points de vue particulièrement intéressants

Commissariat d’exposition : Myriame Morel-Deledalle avec la collaboration de Sylvia Amar-Gonzalez, Jean-Roch Bouiller et Emilie Girard, et assistés de Lise Lézennec, Clémence Levassor et Céline Porro

 

 

Intérêt pédagogique

L’histoire des rapports des Européens au monde : 

Cycle 3_5e : Thème 1 : CHRETIENTES ET ISLAM (VIe – XIIIe s.) DES MONDES EN CONTACT : Byzance et l’Europe carolingienne, de la naissance de l’Islam à la prise de Bagdad 

Seconde : Thème 4 : NOUVEAUX HORIZONS GEOGRAPHIQUES ET CULTURELS DES EUROPEENS A L’EPOQUE MODERNE 

La partie réservée à Istanbul permet ainsi de travailler sur cette première « mégapole » du XVIe siècle, ses richesses (céramiques d’Iznik) et surtout les relations complexes qui l’unissent aux autres villes européennes faite de diplomatie (Jean-Baptiste Huysmans, Ogier de Busbecq achetant à Constantinople l’étendard royal d’Espagne à des pirates turcs. 1904, Huile sur toile, Bousbecque, Mairie de Bousbecque), de rivalités (Etendard ottoman pris à la bataille de Lépante.

L’histoire des mutations des sociétés : 

Cycle 3_5e : Thème 2 : SOCIETE, EGLISE ET POUVOIR POLITIQUE DANS L’OCCIDENT FEODAL (XIe – XVe) : L’émergence d’une nouvelle société urbaine.

Seconde : Thème 3 : SOCIETES ET CULTURES DE L’EUROPE MEDIEVALE DU XIE AU XIIIE SIECLE : Sociétés et cultures urbaines.

La partie réservée à Venise illustre l’essor d’une ville qui s’urbanise grâce au commerce et correspond parfaitement aux thèmes indiqués ci-dessus.

  • En géographie, l’exposition s’inscrit aussi parfaitement dans les thématiques  :

Développement et de l’urbanisation :

Cycle 4_4e : Thème 1 : L’URBANISATION DU MONDE : Espaces et paysages de l’urbanisation et Des villes inégalement connectées aux réseaux de la mondialisation

Les 4 exemples proposées par le parcours de l’exposition peuvent donner lieu à des études de cas . 

La mondialisation et ses manifestations

Cycle 4_4e : Thème 2 : LES MOBILITES TRANSNATIONALES : Un mode de migrants

L’oeuvre présenté par Patrick Guns dans son gigantesque mobile Que Dieu nous aide (référence à Géricault et au nombre approximatif de rescapés du naufrage de La Méduse) est une ressource intéressante pour travailler sur les migrations en Méditerranée. De plus avec la référence de l’artiste à l’oeuvre de Géricault, il est même possible dans ce cadre d’envisager un travail interdisciplinaire.