Anne Carol est professeur d’histoire contemporaine d’Aix Marseille et spécialiste de l’histoire du corps et des pratiques funéraires.
Introduction :
Garder le souvenir des défunts et œuvrer à leur mémoire à travers nécrologie, portraits, etc. Conservation de ce que la mort laisse derrière elle, un cadavre, un corps mort.
On peut adopter plusieurs attitudes : soit éloigner le corps de nos yeux ou alors conserver ou exposer le corps.
Premier exemple : les momies égyptiennes. Le corps des pharaons est un corps à part, emmaillotés dans des bandelettes et mis dans des tombeaux. Ces pratiques s’insèrent dans des croyances religieuses ou le corps est préservé. Ils ont des techniques des conservations propres à eux.
Citons le pharaon Séthi Ier a régné sur l’Égypte pendant plus d’un siècle à partir de 1290 avant J.C. Sa momie fait partie des vingt-deux autres à avoir été déplacée dans un autre musée au Caire, en avril 2021.
Second exemple : les reliques.
On part de plusieurs squelettes, on dissémine des bouts de corps. On mène une série d’opérations de nettoyage, et on expose ces morceaux de corps aux fidèles. On n’aide pas le mort dans l’au-delà mais plutôt pour aider les vivants qui viennent prier.
Troisième exemple : une pièce anatomique.
On voit surtout cela à l’hôpital. Il y a plusieurs préparations, on injecte des produits, on dissèque, on nettoie et on met en scène le mort. On expose le corps comme à la Maison Vétérinaire à Maison Alfort.
On n’honore pas le mort : on conserve et on expose le mort. On parle presque d’une dégradation post mortem.
Quatrième exemple : le cas singulier des momies de Palerme.
On y voit les corps, qu’on expose dans des galeries souterraines, afin de constituer une Memento Mori. On soigne ces corps, on les honore et on en prend soin.
Cinquième exemple : Lénine.
Embaumé en 1924, entretenu soigneusement. Il est dans un mausolée et cela attire bon nombre de visiteurs. Pourquoi ? Cela relève d’un culte de la personnalité, mis en place dès sa mort. On se pose plusieurs questions, notamment de l’enterrer.
Sixième exemple : La cryogénisation : conserver dans le froid.
Exemple : James Bedford : sa mort qui le rend célèbre : il est considéré comme la première personne à avoir été cryogénisée. Son corps est conservé à l’Alcor Life Extension Foundation. Le jour de sa mort et de sa congélation est surnommé le « Bedford Day ». Dans quel but ? Conserver un potentiel vivant et pourquoi pas le ramener à la vie.
On remarque des pratiques très différentes et cela fait émerger des questions ? Quelles morts ont fait l’objet de conservation ? Quelles modalités sont mises en œuvre ? Pourquoi s’est on efforcer de conserver ces corps ? Quel rapport cela entretient avec les morts ?
Aujourd’hui : on fait des soins de conservation.
1) Embaumement : réservé à de grands personnages qui seront exposés post mortem comme les chefs d’Etat.
2) La thanactopraxie
On en fait beaucoup en France. C’est une pratique en expansion et en cours de banalisation. Les professionnels sont formés dans des écoles (1976). Dans les années 1960, la thanatopraxie s’est développée et popularisée en France : c’est un néologisme formé par André Chatillon et Jacques Marette à partir des mots grecs « Thanatos » (divinité de la mort) et « praxein » (exécuter une opération manuelle au sens d’opérer). Il s’agit donc d’une chirurgie (au sens étymologique du terme) post-mortem, visant à conserver le corps d’un défunt. Jusqu’au milieu des années 1960, ce sont souvent des médecins qui pratiquent les « embaumements ».
On nettoie le corps, on va réduire la rigidité cadavérique, on va mettre des lotions et enlever le sang et autres fluides. Le corps est habillé, maquillé, coiffé puis le corps est mis en exposition. Consensus entre les corps qui sont susceptibles d’être vus et un corps qui va évoquer la décomposition. On veut figer le corps dans le présent.
Le but de ses soins : on ne souhaite préserver éternellement les corps. C’est la question de la durée. On voit bien que la crémation au contraire est en vogue actuellement. la conservation du corps n’est plus en jeu et on ne veut plus subir la dégradation du corps.
Il est difficile de subir l’altération du corps, notamment pour les proches : c’est un argument de service pour les professionnels de la mort.
Dans cette conservation, la religion est étrangère à cette pratique et certaines communautés la prohibent. La conservation des corps n’est pas une opération pour prendre soin des corps eux même mais qui vise à protéger et aider les endeuillés.
À l’époque moderne, on conserve les rois, princes, prélats et princes mort en campagne militaire
Comment ? avec des chirurgiens, avec des méthodes proches de l’Égypte avec des méthodes d’embaumement, on embaume souvent le cœur à part. On nettoyait, vidait et on remplissait le corps et on le parfume avec des aromates. On poudre, on recoud et enfin, on rassemble les membres. On enveloppe les corps et on met dans un cercueil en bois.
Le corps des monarques est visible seulement quelques heures mais parfois l’exposition des corps est longue. Quand Henri IV est exhumé en 1793, son corps est en très mauvais état
J-B Mauzaisse, L’ouverture du cercueil d’Henri IV à Saint-Denis (1844)
Pourquoi ? Faire durer le corps jusqu’aux obsèques et dans la symbolique conserver quelque chose. L’embaumement est un pratique de distinction sociale, comme une faveur royale.
La trace des morts se perd souvent (beaucoup finissent dans des ossuaires) pour le commun des mortels. S’agit-il de faire durer la sacralisation du corps ? Ou un corps incorruptible des saints ? (Le corps du roi ne pourrit pas). Seulement, l’embaumement ne fait pas le Salut.
Cette pratique de l’embaumement se prolonge mais au XIXe siècle, on commence à embaumer les grands hommes (Mirabeau en 1791). On voit l’avènement des grands hommes. C’est toujours un privilège et l’embaumement reste une forme de distinction sociale.
Les formes de conservations sont les mêmes qu’à l’époque moderne mais on n’a pas l’apparence du corps vivant malgré tout. On voit ici les prémices de l’embaumement des corps des chefs d’État actuels.
Au XIXe siècle, on voit l’émergence d’une nouvelle pratique, avec les techniques et les objets
La demande sociale subit une profonde sensibilité face à la mort. Il y a une vraie sensibilisation à ce que le corps va devenir. On parle de transition funéraire. Cela se fonde sur l’impossibilité de la perte des êtres chers par la décomposition.
On n’expose plus les corps mais cela émane davantage d’une demande privée et surtout sur les personnes mortes jeunes : femmes et enfants, pour qui la mort est injuste.
Les nouvelles attentes face à la mort : on doit voir des corps quais parfaits et ne rien voir de la mort.
Dans les années 1830, J.-N. Gannal fonde l’embaumement moderne. Il va s’occuper d’abord des restes d’animaux pour voir comment faire sur les êtres humains. Il propose en 1835 une nouvelle technique : injecter dans le corps des produits via l’artère carotide. Ces techniques de conservations son diversifiées et deviennent raffinées (on arrive garder une certaine souplesse dans le corps et un certain volume proche des vivants).
L’anatomie se pratique sur des corps différents et infâmes. Leur conservation était avilissante.
Les professionnels sont des praticiens à part et inclus dans le monde funéraire. Tout cela est inclus dans un projet commercial (publicité etc).
Conservation des morts : Quelle est sa place dans le culte des morts ?
On fait ressortir le caractère historique et antique de cette pratique à conserver les morts.
Le demande d’embaumement va de pair avec une demande contemporaine avec l’essor des cimetières et des concessions (perpétuité si moyens) : corps indestructible, dans des lieux fixes pour une mémoire perpétuelle. On veut rendre la vision du corps soutenable. Cela avec la demande des portraits mortuaires, les masques mortuaires etc.
Il y a t’il les prémices de la conservation actuelle ? Elle est ancrée et améliorée et s’est beaucoup développée chez les anglo-saxons.
La vogue de l’embaumement au XIXe siècle, décline au XXe siècle, la conservation éternelle a disparu. Avec la banalisation du souvenir au cimetière, ne rend pas nécessaire le passage par l’embaumement car on sait que le corps est sous la tombe. Cela est dû aussi à la laïcisation de la pratique des morts.