Chloé Rosner, historienne, a mené des recherches doctorales pour le Centre d’histoire de Sciences Po et elle est aussi membre du Centre de recherche français à Jérusalem. Dans le cadre du FIG, elle nous présente son ouvrage Creuser la Terre-Patrie, une histoire de l’archéologie en Palestine-Israël, édité au CNRS en 2023.
Les enjeux archéologiques
La découverte de vestiges en Palestine-Israël s’appuie souvent sur une démarche de patrimonialisation, reprise par la presse et elle exerce aussi une certaine fascination. Le patrimoine de la Palestine est le berceau des civilisations, celui de l’accomplissement du récit biblique et de la Terre sacrée. Les découvertes en ce lieu sont souvent reprises dans les médias comme « l’autre guerre des pierres », l’archéologie étant alors au service d’une guerre des mémoires et fortement imbriquée avec le conflit israélo-palestinien. Depuis 1970, l’intérêt est porté à l’étude de cet engouement et aux enjeux autour de l’archéologie mais aussi aux interactions que cette science peut avoir avec la société et la politique.
Dès le XIXe siècle la fascination pur l’orientalisme
Au XIXe siècle, sous le joug ottoman, l’archéologie se déploie en Palestine et se détache d’une pratique antiquaire. De nombreuses missions étrangères voient le jour. Une véritable fascination pour l’orientalisme se développe et s’accompagne d’une volonté de prouver la véracité des textes bibliques. À la fin du siècle, les pratiques archéologiques sont institutionnalisées. Les Etats-Unis mais aussi des acteurs locaux ottomans jouent un rôle majeur. C’est un monde de contact mais aussi de rivalités. L’archéologie est alors utilisée à des fins politiques et religieuses et passe par l’affirmation des puissances européennes dans la région, tout comme elle contribue à leur expansion, en donnant des moyens de légitimer les discours.
Au début du XXe, les institutions juives construisent un projet politique
On voit apparaître parallèlement à cela le développement d’institutions juives concomitantes au mouvement sioniste en Palestine mandataire de 1920 à 1948. Il s’agit pour elles de se faire une place dans le milieu scientifique européen en s’intéressant à l’histoire juive, en défendant l’idée d’un peuple juif, d’une nation historique en terre d’Israël tout comme en s’associant à un projet politique et idéologique. C’est un des moyens pour faire basculer la préhension de l’histoire du sacré vers l’histoire nationale.
Sous le mandat britannique, les fouilles archéologiques se démultiplient à proximité des lieux et colonies agricoles comme dans la vallée du Cédron à Jérusalem. La terre du passé est découverte par les travailleurs du présent qui oeuvrent à l’émergence de l’histoire nationale. C’est ainsi que se développe alors une société scientifique juive au même titre que les autres qui, en conduisant ces chantiers, se met au service du politique et de l’idéologie et porte sur trois directions :
1) disséminer l’archéologie au grand public, en créant dans la logique Balfour un lien pour les émigrés juifs, un attachement. Les vagues d’émigration qui arrivent en 1930 viennent alors par défaut, par refus de l’antisémitisme. L’archéologie va servir à enraciner ces nouveaux immigrés .
2) pouvoir s’adresser à toutes les générations et à tous les publics, que ce soit dans le cadre des écoles, lors de conférences publiques ou dans le cadre de l’offre touristique grandissante.
3) prévenir de la destruction de traces luttant contre l’oubli et comme un moyen de prévenir les désastres.
Après 1948, « Israéliser le territoire »
Avec la création de l’Etat d’Israël en 1948, l’archéologie prend à nouveau une place de choix et elle est le résultat d’un long processus. Le premier chantier archéologique non loin de Tel-Aviv pendant la première guerre israélo-arabe vise à israéliser le territoire mais aussi à fédérer la société juive marqué par des identités plurielles. Le passé devient alors l’outil idéal pour légitimer l’existence de l’Etat d’Israël. Les outils de diffusion se poursuivent et l’archéologie est nationalisée. Un lien fort est établi avec l’Armée (donne des rails et du matériel). Les chômeurs sont aussi mobilisés pour cette archéologie nationale qui contribue à naturaliser l’identité israélienne.
Enfin, en 1967, la guerre de 6 jours qui se marque par l’occupation de la Cisjordanie relance l’intérêt archéologique dans les territoires occupés, pas toujours en rapport avec le bassin biblique. On voit la résurgence d’anciennes pratiques encore critiquées aujourd’hui comme la main-mise de l’Etat sur l’archéologie au détriment de la société civile.