La question des ressources, un débat national récurrent
En introduction, le professeur Enrique Aliste rappelle que la question du lien entre exploitation des ressources naturelles, croissance économique et développement est ancienne au Chili. Elle a été posée pour la première fois à la fin du 19ème siècle avec le salpêtre (el salitre) dans le nord du pays ; puis avec le cuivre au 20ème siècle dont le Chili est devenu le premier producteur et exportateur mondial ; enfin, de nos jours, avec le lithium, matière première stratégique pour la fabrication des batteries.
À chaque fois, les mêmes questions se posent : celle de la dépendance au marché mondial, celle du rôle des grandes entreprises, en particulier étrangères ; celle des tensions entre politique intérieure de développement et relations internationales.
Autre défi permanent au Chili : la protection contre les aléas naturels liés à la forte sismicité qui met le pays sous la menace de tremblements de terre et de de tsunamis parmi les plus dévastateurs du monde. Enfin, de nos jours, tous ces débats récurrents s’articulent avec le défi du développement durable.
Cette présentation par Enrique Aliste est globalement confirmée par les deux intervenantes. Sofia Perez, qui réalise un doctarat sur le lithium au Chili, rappelle que le président actuel, Gabriel Boric, considère que le lithium est un enjeu national, comme le fut le cuivre, au temps de l’Unité Populaire. La géographe Audrey Sérandour ajoute qu‘aujourd’hui comme hier, l’économie chilienne est basée sur l’extractivisme, aux mains d’intérêts privés et, que par conséquent, le débat actuel porte sur le rôle de l’Etat dans l’exploitation des gisements. Les mines d’extraction du lithium se situent au nord du Chili dans le désert d’Atacama, comme l’étaient les gisements de salpêtre. Le sous-sol au Chili est propriété publique mais l’exploitation des gisements a été confiée à des concessions privées, dans le cadre du système économique libéral, mis en place dans les années 70 sous la dictature et jamais remis en cause depuis.
Conflits d’usage et conséquences environnementales
L’extraction du lithium est réalisée au nord du Chili, dans le salar d’Atacama, grande étendue naturelle de sel, riche en lithium. Dans cet environnement désertique, on compte 18 villages aux environs du salar, dont le plus connu, San Pedro d’Atacama, situé à une cinquantaine de kilomètres. Ces villages sont en grande partie occupés par des communautés autochtones dont les réactions sont diverses. Si certaines communautés ont négocié avec les deux compagnies minières qui exploitent le salar d’Atacama et ont obtenu des compensations, d’autres sont opposées à l’exploitation, au nom de la préservation de leur environnement. Il existe donc un conflit d’usage entre les entreprises extractives qui assimilent le salar à des mines à exploiter, face à certaines communautés autochtones et mouvements écologistes qui le conçoivent comme un écosystème à préserver.
On retrouve la même problématique du droit des peuples autochtones au sud du pays avec l’exploitation intensive du bois, sur des terres revendiquées par les Mapuches. Dans ce cas précis, le conflit d’usage génère de graves violences qui dépassent la question de l’exploitation des ressources et touchent aux droits despeuples autochtones.
Face à ces conflits d’usage, les moyens de l’Etat sont faibles face à des intérêts privés puissants qui exploitent les ressources au profit d’une petite élite, dans un des pays les plus inégalitaires au monde…
Audrey Sérandour estime que les politiques publiques, définies à Santiago dans la région centrale, oublient souvent le Nord et le Sud où s’effectue l’exploitation des ressources naturelles et qu’en outre, la conscience des problèmes environnementaux et climatiques n’est pas la même au Nord, au Sud et au Centre du Chili, tant les milieux sont différents. Cependant, l’Estallido de 2019 et les débats sur la nouvelle constitution (qui a été rejetée lors du réferendum de septembre 2021) ont permis d’apporter un éclairage médiatique sur les questions environnementales et sur le droit des peuples autochtones.
Comment dépasser le modèle économique basé sur l’extractivisme?
Le Chili est depuis des décennies le premier producteur de cuivre au monde et actuellement le deuxième producteur de lithium. Le Chili a passé de nombreux accords commerciaux avec des pays du monde entier. Il exporte son minerai de cuivre, surnommée « le salaire du Chili » (el sueldo de Chile) mais les câbles de cuivre utilisés au Chili viennent de Chine!
Le constat est le même pour le lithium et les batteries, malgré la création d’un institut du lithium pour former une main d’oeuvre qualifiée. Selon Audrey Sérandour, la solution passe évidemment par l’industrialisation afin de transformer les matières premières et développer ainsi la chaîne de valeur. Cette problématique se pose pour tous les pays qui vivent de la rente des matières premières et n’est pas propre au Chili. En outre, le système de concessions minières par l’Etat à des entreprises privées puissantes génèrent des conflits d’intérêt et de la corruption.
Au Chili, Le dépassement du modèle économique fondé sur l’extractivisme ne semble pas pour demain…
C’est un problème général dans le monde, particulièrement s’agissant du pétrole. Je ne connais qu’un seul pays au monde qui n’est pas été ruiné par sa richesse naturelle. C’est la Norvège, parce que c’est une démocratie rigoureuse et surtout parce qu’elle a décidé de ne pas se servir de l’argent et de le laisser dans un fond intouchable sauf projet particulièrement utile (un vaste programme de formation professionnelle, de mémoire)
Créer une compagnie d’Etat est pire que de mal. Les gouvernants ne résistent pas à la tentation de puiser dans sa caisse. C’est arrivé un tout petit peu avec Elf en France, mais c’est pratiqué à une échelle gigantesque au Mexique, au Venezuela, en Algérie…
Il n’y a pas de solution miracle. Il faudrait une démocratie rigoureuse avec une justice indépendante. Beaucoup de gouvernants n’en veulent pas.