Yves Raibaud, « Cultures urbaines, cultures masculines »
Samedi 6 octobre 2018 – INSIC, Centre de Documentation
Yves Raibaud, maître de conférences HDR à l’Université Bordeaux-Montaigne, balaie dans cette conférence l’ensemble de ses travaux de recherche sur les relations entre genre et ville. Lui qui se dit aussi porté sur la géographie de la musique et de la danse revendique son affiliation à une géographie culturelle parcourue par le courant féministe. Original, pour un homme : cela l’invite, dit-il, à réfléchir sur les conditions de production de la science et surtout sur la manière dont lui, individu de sexe masculin, fut éduqué et construit pour faire homme (de science). Ce compte-rendu de séance mettra en valeur les éléments que l’auteur pense utiles à la conduite d’une séquence pédagogique relative à l’égalité des sexes en EMC.
Après un retour sur l’archéologie des études de genre, qui prennent racine dans les critiques postcoloniales des années 1970 et les critiques féministes, essentiellement anglo-saxonnes, des années 1980, l’intervenant fait un point rapide sur l’actualité du courant en France. Il présente ensuite les objets sélectionnés dans sa recherche : les loisirs, les sports, l’espace et les jeunes. Les résultats de ces enquêtes en terrain urbain convergent : les garçons sont favorisés par les politiques publiques d’aménagement de l’espace urbain, où les skate parks et autres terrains de jeux de ballon sont légion, et surtout validés socialement par l’accaparement par le public masculin de ces espaces… publics. Trois quarts des dépenses publiques sont consacrés aux garçons – et on observe que cette tendance démarre dès l’école.
La cour de récréation prend en effet la forme d’un terrain de foot et devient, de fait, une centralité masculine. Il emploie même le terme de « colonisation » pour désigner l’invasion par les garçons et par leurs objets, souvent encombrants et élargisseurs de leur emprise (objets roulants : ballon, skate, musique amplifiée) de ces espaces où l’on n’a d’autre choix que de cohabiter (les filles ne peuvent choisir un autre espace de rassemblement, à moins de rester recluses à l’intérieur). Il en déduit que les garçons sont éduqués dès le plus jeune âge à s’approprier le/les centre(s). Mais les résultats des expérimentations proposées aux écoles montrent que d’autres configurations d’espace où les frontières de genre sont abolies ou modérées, changent l’attitude des élèves vis-à-vis de l’autre sexe et les poussent à franchir des seuils ordinairement clivants. Cette transition est nécessaire, dit-il, pour modifier le rapport des filles aux espaces scolaires et réduire les chiffres du décrochage, galopants pour elles à partir de la classe de sixième, pour des raisons qu’il estime liées à leur sentiment d’infériorité par rapport à leurs camarades garçons.
Aux « maisons des hommes » (Maurice Godelier), produits d’une culture urbanistique généralisée à l’heure où les spatialités urbaines s’étendent à toutes les sociétés, s’ajoute « le masculin comme noblesse » (Pierre Bourdieu) : Raibaud livre quelques-unes de ses observations de colloques, comme le Grenelle des mobilités de 2012, où, sur quatre heures de temps de parole, les hommes ont parlé 3h23, et les femmes, 17 minutes. L’inégalité étudiée par les sciences est aussi produite par elles – et pas seulement par l’urbanisme. Telle est la leçon ironique d’un chercheur en sciences sociales sur les sciences sociales, où les régulations internes aux champs défavorisent les femmes. Des bancs de l’école aux tables-rondes, elles demeurent exclues des fonctions sociales dominantes et sont maintenues à l’état de marginaux des espaces publics concrets et métaphoriques.
Après mise en perspective critique (car ces recherches ne sont pas vierges de biais idéologiques, l’auteur ayant déclaré son affiliation aux courants féministes), de tels savoirs peuvent être didactisés et accessibles, dans le cadre des cours d’EMC, à partir de cas concrets tels ceux des cours d’école. Ces exemples, parlants pour les élèves, peuvent susciter leur imagination de solutions possibles pour faire bouger les lignes de genre, effectivement trop ancrées dans les cultures du tout-urbain pour être remarquées par un œil non initié ou sensibilisé.